De jeunes traducteurs vietnamiens venus en formation en France

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De jeunes traducteurs vietnamiens venus en formation en France

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À l'occasion de la saison croisée France-Vietnam, le CNL [Centre national du Livre] recevait du 15 au 25 juillet, onze jeunes traducteurs vietnamiens - certains également éditeurs - et leurs vénérables tuteurs, Mme Le Thi Hong Sam, traductrice de Marcel Proust et Jean-Jacques Rousseau, et M. Nguyen Ngoc, écrivain et traducteur, entre autres de Milan Kundera, pour un séminaire professionnel débuté en septembre 2013 à Hanoi.

Chaque matinée, pendant les neuf jours qu'ont duré les ateliers au CNL à Paris, les jeunes traducteurs vietnamiens se sont penchés sur les deux ouvrages traduits collectivement. Les deux titres présentent des difficultés de traduction bien différentes, puisqu'il s'agit d'une part de Tempête (Gallimard 2014) du Prix Nobel de littérature 2008, Jean-Marie Gustave Le Clézio et d'autre part du récit scientifique de l'astrophysicien Trinh Xuan Thuan, Le destin de l'Univers : Le Big-Bang et après (Gallimard 2008), éminent spécialiste de la formation des galaxies naines et professeur à l'Université de Virginie (USA). Les deux ouvrages paraîtront respectivement aux éditions Nha Nam et Kim Dong.

Le travail en binôme — l'un traduit et l'autre relit — des onze traducteurs, dont neuf traductrices, a débuté cet automne au Vietnam, mais l'idée du séminaire était née à l'occasion de l'ouverture de l'espace francophone à la Bibliothèque nationale du Vietnam à Hanoi en avril 2013. « Au cours des échanges sur place, nous nous sommes rendu compte qu'il était nécessaire de former une nouvelle génération de traducteurs, lesquels sont souvent les meilleurs ambassadeurs de la littérature française à l'étranger », explique Aurélie Latchimy, responsable de la coordination internationale au CNL.

La dynamique compagnie Nha Nam, spécialisée en littérature étrangère

« Dans nos manuels scolaires, nous étudiions des extraits tirés de Mondo et autres histoires de JMG Le Clézio », se souvient Minh Phung (31 ans), qui participe au séminaire. Diplômée du très réputé Centre de Formation des Traducteurs et des Interprètes (CFTI), la jeune femme travaille désormais pour la compagnie (nom donné aux maisons d'édition privées par rapport aux maisons d'édition publiques. Ndlr) Nha Nam, une des plus dynamiques maisons d'édition publiant de de littérature étrangère.

Depuis que le Vietnam a adhéré à la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques en 2004, une nouvelle loi est entrée en vigueur en 2005 autorisant la participation du secteur privé dans le domaine de l'édition réservé jusque-là aux entreprises d'État. Les sociétés d'édition privées, à l'instar de la compagnie Nha Nam, se sont multipliées, mais ne sont pas encore recensées et on compte une cinquantaine de maisons d'édition publiques centrales ou locales, d'après une enquête du Bief de mars 2011.

Malgré les 90 millions d'habitants du pays, le marché de la lecture reste très réduit en terme d'achats et la contrefaçon, un des principaux problèmes des éditeurs. Ainsi, « un livre publié le matin est déjà disponible le soir au même prix  et nous n'avons que la possibilité d'avertir les lecteurs sur notre page Facebook en postant une photo du faux livre », déplore Minh Phung.

Tout Marc Levy, mais aussi Patrick Modiano, Jérôme Ferrari, Marie Ndiaye

« Nous publions 150 ouvrages par an, dont la moitié de livres anglo-saxons et une quarantaine de titres du français », explique-t-elle :  tous les romans de Marc Levy « pour satisfaire un public qui aime les romans à l'eau de rose et les happy ends » et des auteurs « plus difficiles comme Romain Gary, Milan Kundera, Patrick Modiano, Marie Ndiaye ou encore Jérôme Ferrari », dont les tirages sont beaucoup plus limités.  Ainsi, Minh Phung estime qu' « il faut compter deux à trois ans pour écouler 2 000 exemplaires d'un livre d'Italo Calvino ».

Minh Phung a déjà quelques traductions à son actif, dont L'égoïste romantique de Frédéric Beigbeder publié par sa compagnie. Pour redonner l'esprit et les jeux de mots de l'auteur, elle confie avoir eu recours à des amis français. Son prochain projet éditorial est la publication en partenariat avec l'Institut des Métiers de la Ville d'Hanoi d'un ouvrage bilingue sur des clichés d'Albert-Kahn du début du XXe siècle. Mais son plus vif désir serait que lui soit confiée à présent la traduction de Réparer les vivants de Maylis de Kerangal. 

Son travail de traductrice, Minh Phung le réalise en complément de celui de rédactrice, car il reste impossible de vivre du métier de traducteur au Vietnam. Il n'existe pas de tarifs réglementés et les rémunérations tournent autour de 2 euros le feuillet. Durant le séminaire, les participants sont informés des aides dispensées par le CNL. Celles-ci s'adressent soit aux éditeurs étrangers souhaitant publier la traduction d'un livre français (non tombé dans le domaine public, car il s'agit de favoriser la vente de droits des éditeurs français à l'étranger), soit aux traducteurs. Ces derniers peuvent bénéficier d'une bourse de séjour d'un montant de 2 000 euros par mois pour une durée de un à trois mois, s'ils disposent d'un contrat de traduction avec un éditeur.

Depuis 2 000, 52 bourses de séjours ont été octroyées à 38 traducteurs vietnamiens.

Des aides conditionnées à la rémunération des traducteurs

En 2013, le CNL a aidé à la traduction de trois livres français en vietnamien sur les 256 ouvrages dont la traduction en langues étrangères a été subventionnée. Natacha Kubiak du département création du CNL détaille les critères d'éligibilité, rappelle les dates limites de dépôts des dossiers par l'éditeur français détenteur des droits et insiste sur le fait que le niveau de rémunération du traducteur et la conformité de son contrat sont des critères d'examen du dossier. Par ailleurs, « les aides sont versées à parution de l'ouvrage traduit et après réception par le CNL du certificat de paiement du traducteur », précise-t-elle.

Enfin, depuis 2 000, seulement neuf aides ont été versées pour la traduction d'ouvrages vietnamiens vers le français. L'an passé, deux ouvrages ont bénéficié d'une subvention : Une opportunité pour Dieu de Nguyen Viet Ha chez Riveneuve traduit par Doan Cam Thi, maître de conférence à l'Inalco qui est intervenue pendant le séminaire, et Les collines d'eucalyptus de Duong Thu Huong (Sabine Wespieser Editeur), traduit par Phuong Dang Tran.

Un bilan du séminaire très positif

Lors du bilan du séminaire dressé par les jeunes traducteurs, tous soulignent la chance de travailler avec d'illustres traducteurs et trouvent particulièrement enrichissantes les rencontres avec les professionnels : éditeur, libraire, critique littéraire, représentant de l'ATLF [Association des traducteurs littéraires de France]. Le benjamin du séminaire Nguyen Vu Hung, qui se voue à la traduction de l'œuvre de Samuel Beckett sur lequel il rédige une thèse, se dit particulièrement intéressé par le modèle de l'École de Traduction Littéraire du CNL ouverte en 2013. L'Université nationale d'Ho Chi Minh, où il est enseignant titulaire, développe son département dédié à la traduction, explique-t-il, alors que l'école d'excellence qu'était le CFIT depuis 1995 a accueilli cette année sa dernière promotion, faute d'un nombre suffisant d'étudiants…

Mme Le Thi Hong Sam, illustre traductrice de Proust au Vietnam qui encadrait avec M. Nguyen Ngoc les traducteurs lors de leur séjour en France, remercie en conclusion  « tout le personnel pour sa gentillesse et sa sollicitude » et salue cette nouvelle génération de traducteurs, «remplaçants redoutables qui nous dépasseront », suscitant une vague de protestations et un commentaire unanime de ses élèves : « vous êtes irremplaçable ».

(Source media: www.actualitte.com)
 

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