Des joyaux oubliés

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Des joyaux oubliés

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La pagode de Bao Thap. Photo : CTV/CVN

Par une belle matinée de mai 1999, avec deux journalistes français et canadien, nous avons pédalé jusqu’au village de Thuong Phuc à une dizaine de kilomètres de Hanoï, pour assister au 625e anniversaire de l’immolation par le feu du moine bouddhique Hô Ba Lam.

Le véritable but de notre excursion n’était pourtant pas la cérémonie elle-même, mais plutôt de faire la connaissance d’un complexe architectural  religieux encore ignoré des Hanoïens. Après avoir traversé le pont Câu Biêu situé à moitié chemin entre Van Diên et Hà Dông, nous tournons à droite, longeant la rivière Nhuê. À la lisière du village To, se chevauchent des échoppes où s’étale la pacotille importée : conserves, boîtes et paquets bariolée de bonbons et de gâteaux, Coca-Cola, etc. Le flot d’hommes et de voitures ne s’arrête pas. Invasion de la vie urbaine, désordre et pollution, le cours d’eau charrie des déchets en décomposition.

L’architecture des pagodes

Au-delà du ponton d’acier, quand nous entrons dans le territoire du village de Thuong Phuc, le paysage se fait plus rustique. Des touffes de bambous vert émeraude projettent leur ombre fraîche sur l’eau moins polluée de la rivière. Thuong Phuc a été un foyer bouddhique de l’ancienne région Son Nam Thuong (province de Hà Tây, aujourd’hui attachée à Hanoi). Ses trois beaux monuments architecturaux sont la pagode Bao Thap, le temple Minh Tu et la pagode Phuc Khê.

Bao Thap qui donne sur la rivière Nhuê est construite sur un vaste terrain affectant la forme d’un lotus, selon les canons de la géomancie. Avec ses vieux arbres qui s’insèrent dans les constructions, il respire la sérénité du zen. Il date de 1225, à la fin de la dynastie des Ly. Son créateur fut Ly Tham, oncle du roi, qui avait quitté le faste de la Cour pour venir mener ici une vie monastique.

Un siècle après, un autre bonze éminent, Hô Ba Lam (1), vint de Diên Châu et continua l’œuvre du Maître. Il propagea la pensée bouddhiste de l’École du thiên (zen) vietnamien de Truc Lâm (forêt de bambou-ivoire). Le thiên préconise la transcendance par rapport à l’intellect, la communion entre maître et disciple, et, entre autres moyens, la contemplation en position assise jusqu’à l’éveil. Hô Ba Lam se donna sans compter aux œuvres de charité. Il fit de la pagode un asile pour recueillir les déshérités, vieilles gens sans soutien, veuves, orphelins et enfants abandonnés. Il inaugurera une méthode de pédagogie originale : il dessina avec de la chaux des cercles sur le sol, y mis quelques petits enfants pour les faire étudier et vivre ensemble en bon accord. À l’âge de 88 ans, sentant sa fin venir, il s’immola sur un bûcher.

Devant la pagode se dressent encore deux tours, d’où le nom Chùa Bao Thap, c’est-à-dire la pagode aux Tours précieuses(2); celle de droite, évoque le Bouddha du Paradis de l’Ouest, et celle de gauche rend hommage aux mérites du bonze patriarche Ly Tham.


Au fil du temps la pagode de Bao Thap connaît une dégradation. Photo : CTV/CVN

Un trésor caché à préserver

La pagode, assez détériorée par le temps, conserve encore des ruines inestimables ; 12 brevets royaux dispensant des titres honorifiques aux moines déifiés (datant du XVe au XIXe siècle), une plaque sonore en cuivre (1843), une cloche de cuivre (1813), une magnifique collection de 75 statues (XVIIe, XIXe siècles) comprenant en particulier celles des bouddhas des Trois mondes, d’Amitabha, d’Avalokitesvara, 10 laques rares représentant les juges de l’Enfer (plusieurs en mauvais état), une stèle de la dynastie des Trân (XIIIe siècle), la statue de Hô Ba Lam (1721).

Le temple Minh Tu est situé à quelque distance de Bao Thap. Il est dédié à la reine mère Minh Tu qui s’était retirée dans le village pour fuir une attaque Cham contre la capitale (1371). Elle y a rencontré son oncle Hô Ba Lam et suivi son exemple en se faisant bonzesse. Après sa mort, la population, touchée par sa piété et son dévouement aux pauvres gens, lui a érigé un temple dans sa propre maison.

Un demi-siècle plus tard, Lê Loi, chef d’une insurrection nationale contre l’envahisseur chinois Ming, s’est arrêté dans ce lieu sacré. La déesse lui est apparue en songe pour le guider dans ses opérations militaires. Devenu roi, il lui a décerné un brevet honorifique royal qui existe encore. De son vivant, la reine Minh Tu a bâti la pagode Phuc Khê qui se trouve à deux kilomètres au sud du temple. Cette pagode ravit le visiteur par le sentier rustique qui y mène, ses arbres anciens entre lesquels se blottissent des sanctuaires solitaires, ses statues fidèles à l’art populaire. Le complexe architectural de Thuong Phuc exige des mesures urgentes de préservation.

Le peintre Nguyên Van Chiên a fait de grands efforts pour le valoriser en multipliant ses recherches et en mobilisant l’opinion publique. D’autres joyaux oubliés demandent aussi des gens de bonne volonté. Mais l’initiative privée ne peut donner que des résultats limités sans l’intervention de l’État et des organismes compétents. Le secteur du tourisme de Hanoï a intérêt à créer un nouveau circuit culturel comprenant des villages suburbains de Thanh Tri, circuit dans lequel Thuong Phuc trouvera sa place parmi d’autres villages aux riches traditions tels que Dai Tu, Dai Ang, To, Lu, Thanh Liêt et d’autres encore.

(Septembre 1999)
Huu Ngoc/CVN

(1). Proche parent de Hô Quy Ly, fondateur de la dynastie des Hô (1400-1407).
(2). Autres noms : pagode Bô Dê (Bodhi) ou Bô Tat (Bodhisattva).

(Source media: Le Courrier du Vietnam)

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