Des racines contre le Pacifique

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Des racines contre le Pacifique

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Pour rentrer chez elle, dans la commune de Nam Can, Madame Thuy, employée d’école, emprunte la navette rapide à l’embarcadère de Ca Mau, chef-lieu de la province éponyme. L’embarcation file à vive allure dans l’entrelacs de canaux, de bras de mer et de rivières qui caractérise ici le delta du Mékong. Sur les rives, un rideau de végétation laisse de temps en temps entrevoir une habitation en tôle et en bois, ou en béton pour les plus cossues, comme celle de Thuy. Autour de sa maison, des arbres plongent leurs racines dans la boue et l’eau marron du fleuve. Des palétuviers, l’espèce dominante de la mangrove, forêt à cheval sur la mer et la terre. «Cette rangée, je l’ai plantée il y a cinq ans, lance Thuy en désignant la haie sur le chemin du bassin d’élevage de crevettes de son mari, Chi Ngan. Pour retenir le sol.» Car, elle l’a constaté, les marées montent toujours plus haut ces dernières années, grignotant la terre centimètre par centimètre. Selon les prévisions de l’Etat vietnamien, le réchauffement climatique pourrait provoquer le long de ses 3200 km de littoral une hausse du niveau de la mer de 75 cm à 1 mètre au cours du XXIe siècle. La moitié des terres du delta du Mékong serait donc en sursis. Pour ralentir l’érosion, le pays s’est lancé dans une vaste entreprise de reforestation. Sur la côte, mais aussi le long des innombrables ramifications du fleuve, palétuviers, cajeputiers et palmiers d’eau reconquièrent du terrain, et les Vietnamiens, de la terre sur la mer. «A certains endroits, en replantant la mangrove, on peut gagner une bande d’une centaine de mètres», s’enthousiasme Cao Thang Binh, technicien de la Banque mondiale, chargé d’un projet de reforestation à Ca Mau entre 2000 et 2007. Publicité Pour cette province, la plus au sud du pays, c’était urgent: la forêt s’étendait sur 200 000 hectares en 1945. Elle avait diminué de moitié en 50 ans. Meurtrie par l’épandage d’agents chimiques lors de la guerre du Vietnam, puis sacrifiée au profit de bassins d’élevage de crevettes quand les habitants se sont lancés dans l’aquaculture. Pour son exploitation, par exemple, Chi Ngan en a arraché plus de 6 hectares.Mais la salinisation des sols, le typhon Linda en 1997 et des inondations meurtrières en 2000 et 2001 ont fait regretter la disparition de la muraille verte. Car la mangrove, outre son rôle de stabilisation des sols, limite les effets des catastrophes naturelles. En 2005, lors du passage de la tempête Damrey dans le nord du pays, l’eau est montée de 4  mètres… sauf dans les zones boisées où l’élévation s’est limitée à 3,5 mètres. Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que la reforestation privilégie le littoral.«Le rempart est reconstitué à 90% pour la péninsule de Ca Mau», assure Cao Thang Binh, de la Banque mondiale. Pas terminé pour autant. Désormais, les efforts se concentrent dans les méandres du delta. Avec une stratégie: convertir les habitants aux bienfaits de la mangrove. «Elle fait de l’ombre et refroidit l’eau de mes bassins, c’est une bonne chose», constate Hai, éleveur de crevettes installé au bord du canal Mui Dau.Les arbres qui parsèment sa ferme de 7 hectares lui permettent en prime de diversifier ses sources de revenus: les racines abritent des crabes qu’il pêchera et vendra comme ses autres crustacés. Garantir la biodiversité, une vertu supplémentaire de la mangrove. «Ses sédiments attirent nombre de poissons, contrairement aux digues qui appauvrissent les eaux et privent les pêcheurs de ressources naturelles», complète Cao Thang Binh.Pour accélérer la conversion de la population locale à cet écosystème, les autorités fixent des objectifs, plutôt bien respectés en général: ici les fermiers doivent planter 30% de leur superficie, là 60%. Les plants sont fournis gratuitement par le gouvernement. Le Trung Nghia, ingénieur et fonctionnaire, veille sur les arbres du village de Tam Giang, à une heure de bateau de Nam Can. «Quiconque désire couper de la mangrove doit désormais me demander la permission», avertit-il. Derrière la maisonnette qui abrite son bureau s’étend une vaste forêt d’immenses palétuviers. Des colonies de singes y ont élu domicile.Ces étendues sont aussi louées comme «puits de carbone». «Mais elles se révèlent moins efficaces qu’une forêt classique pour capter le CO2, nuance Cao Thang Binh. La mangrove ne peut pas tout.» «Il faut la combiner avec la construction de digues, car elle n’empêchera pas l’élévation du niveau de la mer, ajoute, fataliste, Le Trung Nghia. Rien qu’en un an, j’ai constaté une augmentation de 10 cm.» D’ailleurs, même si elle a planté une centaine de palétuviers sur son terrain, Madame Thuy a pris ses précautions: sa maison est surélevée d’environ 2 mètres.

Hervé Lisandre Hô Chi Minh-Ville - "Forêts" 17/02/2010

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