Génial, tout simplement

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Si parfois dans la vie, il faut du génie pour se sortir de situations difficiles, le Vietnam n'a aucun souci à se faire. Parce que question génies, il en a à profusion. Et croyez-moi, ils ne chôment pas !

Tout petit, on m'avait raconté l'histoire de cette lampe à huile, résidence principale d'un génie qui aimait bien que l'on se frotte à lui. Capable de tout à partir de rien, il pouvait satisfaire tous les souhaits de son maître. Moi prenant de l'âge, et lui bleuissant par la magie d'un autre génie du dessin animé, nous nous sommes éloignés l'un de l'autre. Il est resté dans un monde, en compagnie d'elfes, de lutins et autres farfadets qui peuplent les rêves d'enfants, et moi j'ai posé les pieds sur terre, au milieu des adultes incrédules à qui on ne fait plus prendre des vessies pour des lanternes.

Et puis, je suis arrivé au Vietnam, et les génies ont envahi mon univers. Où que je me tourne, ils sont là, protecteurs impassibles auxquels les humains offrent le gîte et le couvert pour s'en conserver les bonnes grâces. Bien sûr, au début, j'y voyais là une sorte de folklore : les génies étaient là pour faire exotique. Une façon ingénieuse pour satisfaire les touristes avides d'authentique fût-il de façade. Mais force me fût vite de constater que le génie vietnamien ce n'est pas de la rigolade. Loin de là ! D'abord, être génie ça se mérite, et ensuite c'est un travail à part entière…

Être ou ne pas être

Mais commençons pas le début…
Pour être certifié génie, il faut passer par une série d'épreuves à rebuter un candidat zélé au concours national du Temple de la Littérature. Plusieurs voies sont possibles. On peut ainsi sauver son pays ou sa province d'une invasion, donner sa vie au nom de nobles valeurs, être père fondateur d'un village d'artisans, être maître en élévation de l'âme, ou encore être un as dans sa partie…

Après avoir montré ses aptitudes, le candidat génie est décrété tel par la population ou par décision impériale, et peut alors disposer d'un lieu de résidence permanent où chacun pourra venir lui rendre hommage ou lui faire supplique. En règle générale, il s'agit d'un temple (đên), dans lequel le génie peut, soit siéger en personne sous forme d'une statue, soit se faire représenter par des attributs spécifiques (siège, stèle, lithographie…).


Être génie, c’est une vie géniale.
 
Ensuite, il suffit de laisser venir à soi la vénération de ses fidèles. Nourri, logé, encensé, massé parfois, le génie n'a plus qu'à se laisser vivre. Voire ! En effet, être l'objet de toutes les attentions d'une communauté implique de réaliser à minima les souhaits de ladite communauté. Ainsi, on a vu tel génie de villages régulièrement inondés se faire extirper de son temple et passer une année entière dans une cuvette d'eau, histoire de comprendre ce que c'est que d'avoir les pieds mouillés en permanence. Il en a été de même avec des génies mis au régime sec, en plein soleil pendant douze lunes, pour n'avoir pu prévenir des sécheresses répétées ayant entraîné la famine…

Il arrive même que certains génies soient détrônés au profit de nouveaux plus enclins à satisfaire les caprices des hommes. Mais, la vérité est de dire que dans leur grande majorité, les génies font bien leur travail, et conservent une place de choix dans le cœur des Vietnamiens. Tenez, je vais en profiter pour vous en indiquer quelques uns, auxquels je rends régulièrement visite, histoire de les présenter à mes amis de passage.

Assurance tout risque

Les premiers auxquels je pense sont présents partout. On ne va pas chez eux, ce sont eux qui s'installent chez nous. Et, comme à génie, rien d'impossible, à trois ils ne font qu'un ! Le Génie du Foyer, puisque c'est de lui que je parle, est le résultat d'une belle et tragique histoire d'amour. Les versions diffèrent un peu selon les régions et les conteurs, mais le scénario est toujours à peu près le même...


Les offrandes aux génies du foyer (une femme encadrée par deux hommes) sont posées sur l'autel des ancêtres. Parmi elles, les trois carassins dorés, montures des génies pour regagner le Ciel.

Pour aller chercher fortune ailleurs, un mari quitte provisoirement sa femme. Mais comme souvent, le provisoire semble devenir définitif, et l'époux ne revient pas. Toujours amoureuse, l'épouse attend, attend, mais n'est pas Pénélope qui veut, et, bien que le tissage fasse partie de la panoplie des aptitudes requises chez la femme vietnamienne de l'époque, la vie reprend ses droits. Pensant que son mari était mort, notre belle éplorée, courtisée par un autre homme, finit par céder à ses attentions et devient sa femme. Mais contrairement aux contes de mon enfance, ils ne vécurent pas longtemps et n'eurent pas beaucoup d'enfants...

En effet, quelques années plus tard, un mendiant se présente à la porte de l'ex-veuve, alors que son mari était absent. "Ciel, mon mari !", s'écrie la nouvelle polyandre, en découvrant son premier conjoint. Et, c'est là que tout se complique. Qu'il se pende volontairement ou qu'il soit incinéré involontairement, le premier mari quitte la scène. Par amour, la femme se suicide, suivie par le second époux qui en fait autant. Ces trois-là se retrouvent devant le Roi des Enfers (ou l'Empereur de Jade, selon…) qui, devant de telles marques d'amour, décide de les réunir en un seul Génie, celui du Foyer, de la Cuisine et de la Maison...

Son travail ? Protéger la famille et son domicile de toutes les avanies possibles. Un pack assurance-habitation en quelque sorte. Une assurance à renouveler chaque année, car ce Génie retourne chaque année faire son rapport à celui qui l'a nommé à cette place, et gare à la famille qui n'aurait pas vécu et entretenu la maison selon la bienséance. Plus de Génie pour l'année à venir ! C'est pourquoi, vous pouvez voir dans chaque maison un petit autel, souvent installé près de l'entrée, devant lequel est régulièrement disposée de la nourriture et brûlent des bâtons d'encens. Une façon de se les concilier !

Pour aujourd'hui je range ma lampe, et la semaine prochaine je vous emmène à la découverte des génies polis !

Gérard BONNAFONT/CVN

(Source media : Le Courrier du Vietnam)

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