Jeu d’échec… ou de réussite

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Jeu d’échec… ou de réussite

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Le jeu de «cờ tư lệnh».

Jouer ! Moment de détente ou d’évasion, trait d’union entre l’adulte et l’enfant, le jeu ne se prive pas de nous transporter ailleurs, même dans des lieux où l’on ne s’y attend pas.

Tel Janus, Hanoi peut montrer deux faces : une face industrieuse et une face ludique.
 
La première, c’est ce bouillonnement de vie qui emplit la ville d’une activité incessante. Motos affairées qui se faufilent entre voitures empressées, commerces achalandés qui s’offrent à l’appétit des clients, artisans qui soudent, martèlent, scient, vernissent dans leurs ateliers ouverts à la vue des badauds, trottoirs transformés en gargotes improvisées, marchandes à palanche qui sillonnent les rues de leurs déhanchements si particuliers…
 
Mais dès la fin d’après-midi, se dévoile l’autre face. Filets qui se tendent entre un réverbère et un mur pour d’interminables tournois de badminton ou de volley-ball, cercle de joueurs au coin d’une avenue qui rivalisent d’agilité pour d’endiablées parties de «đá cầu», places envahies par des enfants qui, entre rires et pleurs, patinent à roulettes, slaloment en voiturettes électriques, courent derrière des ballons capricieux.


Le "đá cầu" est très populaire au Vietnam.

Hanoi travaille, Hanoi s’amuse ! Hanoi a bien compris que petits et  grands aiment jouer, y compris pour des activités pour le moins éloignées du jeu.
 
Jeux d’enfants
 
Aujourd’hui, le temps est ensoleillé. Une invitation à baguenauder dans les rues de la ville. En compagnie d’une famille amie, je remonte l’avenue Diên Biên Phu, en direction du Mausolée de Hô Chi Minh. J’aime cette avenue car elle possède de larges trottoirs où l’on peut circuler, sans être obligé d’en disputer la possession avec des motocyclettes indisciplinées.
 
En musant entre les magnifiques maisons coloniales devenues ambassades ou commerces de luxe, on arrive à la Place Lénine, où la statue de celui qui a donné son nom à cet écrin de verdure fait face à la Tour du Drapeau, dans l’enceinte du Musée de l’Armée.
 
Pour le moment, nous laissons les enfants libérer leur excès d’énergie dans des courses interminables sur le vaste terre-plein de la place. À cette heure de l’après-midi, seuls quelques audacieux isolés viennent s’exercer à des acrobaties en BMX. Un couple ou deux, abrités par les frondaisons d’un immense jacaranda, esquissent un paso-doble.
 
Mais dès le soir venu, la place deviendra le domaine des loueurs de voitures et de motos électriques pour enfants. Des parents téléguideront des voiturettes dans lesquelles des  bambins qui tiennent à peine sur leurs jambes auront le sentiment d’être Fangio, des adolescents déchaînés enchaîneront des figures de free style en vélo, patins à roulettes ou planche de skate.


 
Dans les hurlements d’enceintes qui rythmeront les mouvements de gym tonic de groupes de femmes en justaucorps flous, les cris de joie des enfants et les exclamations de triomphe des adolescents, la place Lénine semblera bien agitée devant l’impavide Tour du Drapeau. Et pour l’heure, c’est vers elle que nous nous dirigeons. Après avoir couru et sauté tout leur saoul, les enfants nous semblent suffisamment «posés» pour que nous puissions approcher paisiblement l’imposant monument.
 
Aujourd’hui, la partie supérieure est inaccessible au public, mais on peut encore escalader les degrés de pierre jusqu’à la deuxième plate-forme, d’où la vue porte sur l’ensemble du Musée de l’Armée, et au-delà vers la vieille ville.
 
C’est en gravissant les marches de pierre hautes et irrégulières que nous croisons, sous la voûte basse, un groupe de jeunes filles en uniformes et calots militaires. Je dois préciser que dans la famille que j’accompagne, il y a un jeune garçon d’une quinzaine d’années, dont la taille et la tournure semblent impressionner la gent féminine locale. Et au nombre de rires étouffés, de regards troublés et de bousculades imprévues, je constate que les mêmes causes produisent les mêmes effets !
 
Et, bien évidemment, lorsque après avoir répondu à des salutations en anglais par des salutations en vietnamien, j’ai droit aux questions habituelles, du «Oncle, tu parles vietnamien ?» à «Quel âge a le garçon ?».
 
Et dans un naturel échange de don contre don, je m’enquiers également de l’origine de leurs uniformes et de leur raison d’être ici. Il s’agit en fait d’une fanfare qui doit participer à une manifestation à l’occasion de la promotion d’un jeu de société, qui a lieu dans les locaux du musée. Intrigué par cette réunion, je propose à mes amis d’aller y jeter un œil…

Jeu d’adultes
 

Tout au fond de la cour, un hall qui accueille plusieurs tables vides, à l’exception d’une seule, autour de laquelle règne une grande agitation. Ce sont essentiellement des militaires, reconnaissables à leurs uniformes vert bouteille.


 
Curieux de comprendre, je me glisse entre les troupes, qui me laissent passer bien volontiers pour mieux m’encercler.
 
Deux joueurs installés de part et d’autre de ce qui ressemble à un damier, sont au centre de toute l’attention.
 
Zut, me dis-je, ne suis-je donc venu que pour assister à un tournoi de dames ? Même avec l’espérance d’une fanfare, je serais un peu déçu !
 
Cependant, le damier n’en est pas un, et les pions sont loin de ressembler à ceux que je connais. Le tapis de jeu, s’il se rapproche de fort près à celui d’un jeu d’échec chinois, deux territoires séparés par une rivière, présente une particularité : la rivière se jette dans une mer, donc devient fleuve.
 
Mais le plus surprenant, ce sont les dessins qui figurent sur les pions : char d’assaut, batterie antiaérienne, mitraillette, bombardiers, navires de guerre. Tout un arsenal militaire se déploie sur 110 cases. Je viens de découvrir le jeu de «cờ tư lệnh».

Alors que j’en suis à tenter de comprendre ce qui se passe sous mes yeux, l’un des joueurs se lève et me cède la place sur l’insistance de son adversaire, un homme au visage affable, le nez chaussé de lunettes. Je n’ai pas le temps de refuser que déjà les explications sur les règles du jeu fusent. Pas le temps de les assimiler, je dois apprendre sur le tas.


 
À la première partie, je me fais laminer. À la seconde, je me fais écraser et j’évite le déshonneur total, quand mon adversaire me quitte avec un immense sourire pour rejoindre un parterre de personnalités qui attendent devant le perron d’un pavillon.
 
De chaque côté, les charmantes jeunes filles rencontrées plus tôt forment une haie d’honneur et les quelques couacs dans leur musique sont sans doute plus dus au trouble qui les saisit à regarder le jeune Occidental à mes côtés que par l’émotion du moment qui les étreint. Voyant mon partenaire de jeu être le centre d’intérêt de cette cérémonie, je m’enquiers de son identité auprès d’un spectateur. «Comment, vous ne le connaissez pas ? C’est le colonel Nguyên Quy Hai, l’inventeur du +cờ tư lệnh+». On peut dire que pour un coup d’essai, j’ai eu droit à l’œil du maître !
 
Depuis ce jour, je passe des heures à m’exercer, en espérant bien épater mon maître, si je le rencontre à nouveau.
 
Gérard Bonnafont/CVN

(Source media: Le Courrier du Vietnam)
 

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