L'âme des embarcations du Mékong

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Culture

L'âme des embarcations du Mékong

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Comme l'amiral Pâris, dont elle se veut l'une des héritières scientifiques, Laura Bogani, chercheuse italienne aux multiples casquettes (ethnologue, historienne, architecte navale et graphiste), aime le terrain. Pendant plus de deux ans, au milieu des années 1990, elle est partie dans le bassin du Mékong, pour tenter de "sauver la mémoire" des bateaux de l'Asie du Sud-Est. Ses croquis et ses aquarelles ont été choisis pour être exposés à côté de ceux du marin français. "Au Vietnam, le bateau est considéré, encore aujourd'hui, comme un être qui possède une âme, décrit l'ethnologue. Après le calfatage, les marins posent des yeux, ronds ou en amande, à sa proue pour signifier cette spiritualité." Grâce à eux, les navigateurs ne craignent pas les embûches sur le fleuve ou en mer, à l'instar des bancs de sable, par exemple. Mais combien de temps ces rituels vont-ils perdurer ? Les pirogues monoxyles (construites à partir d'un seul tronc d'arbre) ont peu à peu laissé la place à des bateaux de charge plus large pour le transport de briques ou de la canne à sucre. De la voile, on est aussi passé au moteur. Et le bois est de plus en plus délaissé au profit de coques en plastique et en acier. "Actuellement, beaucoup de bateaux en bois magnifiquement décorés, pourrissent, faute d'entretien", regrette-t-elle. Laura Bogani en a donc minutieusement dressé et reproduit les plans afin que cette tradition navale puisse perdurer : "Le Mékong est un fleuve à méandres où il faut parfois affronter tourbillons et rapides. Les nouveaux bateaux en acier sont moins maniables, manquent de souplesse par rapport aux anciens en bois. Et se montrent donc plus dangereux." Au Laos, aux yeux peints de part et d'autre de l'étrave, les marins préfèrent les offrandes pour protéger leurs embarcations des esprits mauvais : "Dès que le bateau approche des rapides du fleuve, le rituel ancestral consiste à lancer par-dessus bord des fruits et des boulettes de riz gluant pour apaiser et remercier les génies des eaux." "Ces traditions, ajoute-t-elle, appartiennent au patrimoine de l'humanité. L'amiral Pâris était un visionnaire."

Marie-Béatrice BaudetArticle paru dans l'édition du 13.03.10 . www.lemonde.fr

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