Les boat people retournent au Vietnam

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Les boat people retournent au Vietnam

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Les deux soeurs Tib et Jap Hoang qui ont grandi à Montréal retournent maintenant au Vietnam

L'histoire des boat people du Vietnam est tragique et rappelle à plusieurs égards celle des réfugiés syriens. Elle nous indique aussi qu'il y a parfois une vie après les conflits. Quatre décennies après avoir fui le Vietnam, les enfants des réfugiés qui ont embarqué sur des bateaux vers le Canada, l'Europe ou les États-Unis retournent maintenant dans leurs terres natales pour profiter des occasions d'affaires.

Parmi eux, deux soeurs qui ont grandi à Montréal. Leur parcours a été semé d'embûches, mais leur ténacité a été plus forte que tout.

L'accent ne trompe pas dès que l'on rencontre Tib et Jap Hoang, et leurs larges sourires peuvent parfois nous faire oublier que les deux soeurs, qui ont grandi au Québec, ont un passé bouleversant qui ressemble à celui de millions d'autres Vietnamiens. Les soeurs ne s'en cachent pas, elles doivent tout à leurs parents et surtout à leur mère, une force de la nature qui a tout mis en oeuvre pour leur assurer une vie meilleure.

« Je pense que c'est tout ma mère », lâche Tib après quelques minutes de discussion. « Si ce n'était pas d'elle, je pense qu'on serait morts de faim ou de je ne sais quoi d'autre. »

La chute de Saigon

Début des années 1970, la guerre fait des dizaines de morts chaque jour au Vietnam. Les deux soeurs Hoang ne sont pas encore nées quand leur père, un haut gradé dans l'armée du sud, combat les communistes du nord. L'une des guerres les plus sanglantes du siècle dernier.

Lorsque les États-Unis quittent le pays en 1975, la capitale, Saigon, tombe entre les mains des communistes.

« Après la guerre, raconte Jap, le Vietnam s'est comme fermé. Alors on ne pouvait pas vraiment quitter le pays de façon légale. On est devenus des boat people, ajoute Tib. »

Selon les estimations, environ 2 millions de personnes embarqueront sur des bateaux pour fuir les nouvelles règles imposées par le gouvernement communiste, et à peine la moitié d'entre eux survivront à la traversée.

Les images des boat people choquent et font le tour du monde. Les conditions de vie sont inhumaines sur les navires. Les bateaux de toutes tailles sont bondés et l'hygiène y est inexistante.

« Mes parents ont failli nous perdre à maintes reprises, explique Tib, parce que les vagues étaient trop grosses. Imaginez, vous voyez un peu ce qui se passe en Syrie, alors c'était exactement comme ça. Quand les pirates venaient, il ne fallait pas que ma soeur, qui avait un an et demi, pleure. Il n'y avait pas de nourriture, pas d'eau. "J'ai soif", ma mère nous disait "on ne peut pas boire on ne peut pas manger, on ne parle pas sinon on va se faire tuer". »

Nouvelle vie à Montréal

Comme bien d'autres boat people, les Hoang atterrissent dans un camp de réfugiés au Cambodge. Leur tante, qui habite Montréal, facilitera leur venue au pays. Elle entre en contact avec Jean Doré, qui travaille alors comme avocat à la CSN. Celui-ci se chargera de faire accélérer les procédures pour que la famille s'installe dans la métropole. Le Canada accueillera, entre 1975 et 1985, 110 000 Vietnamiens, dont 13 000 d'entre eux s'établiront au Québec.


Les soeurs Tib et Jap Hoang lorsqu'elles étaient enfants.   Photo : Yvan Côté/Radio-Canada

L'arrivée à Montréal ne se fera pas sans heurts pour les Hoang, qui réalisent rapidement que la bataille pour la survie est loin d'être terminée. Les parents multiplient les emplois pour payer les factures et nourrir la famille. Le père travaille dans une usine de cadres, la tante fait de la couture et la mère est embauchée dans une usine de ballons.

Malgré leurs maigres salaires, les Hoang envoient chaque mois au Vietnam une partie de l'argent qu'ils gagnent pour venir en aide à leurs proches; et après quelques années de travail intense, ils réussissent à ouvrir une épicerie rue Saint-Laurent à Montréal.

C'est le premier de plusieurs commerces. Suivront un immeuble de logements et un restaurant rue Duluth. À chaque fois, le travail de tous les membres de la famille est requis. Un oncle ingénieur sert aux tables après sa journée de travail au bureau. Un autre oncle est enseignant et travaille au restaurant les fins de semaine.

« De 15 ans à 25 ans, je n'ai pas eu de fin de semaine, dit en riant Jap. C'était quelque chose de normal. Mes parents travaillaient tellement fort. »

Retour à ses racines

Lorsque le Vietnam s'ouvre dans les années 1990, les parents décident de retourner s'installer dans le pays et démarrent, là aussi, un restaurant. Les deux soeurs suivront quelques années plus tard. L'appel des affaires est trop fort. Elles créent avec le conjoint de Jap et un partenaire d'affaires « L'Usine », un café-boutique.


Le café boutique « L'Usine » ouvert par les deux soeurs Tib et Jap Hoang, à Hô Chi Minh, au Vietnam. Photo : Yvan Côté/Radio-Canada

Tout y est fait à la main, même les meubles et les vêtements.

« Quand on a ouvert, il n'y avait absolument rien dans le restaurant, raconte Tib. Il y avait du café, il y avait six sandwichs avec des salades qui étaient les ingrédients des sandwichs (rires). »

L'Usine deviendra malgré tout un succès instantané à Ho Chi Minh-Ville. Une amie leur propose de faire des cupcakes. Les clients aiment tellement les gâteaux que les deux soeurs et leur amie ouvrent une pâtisserie. Les clients aiment aussi les tables et les chaises fabriquées maison. Le mari de Jap et son associé lancent une usine de meubles.

- Combien d'employés avez-vous aujourd'hui?

« On a une trentaine d'employés à la pâtisserie, indique Tib, Darren et Paul [le conjoint de Jap] ont plus de 1000 employés dans leurs usines de meubles et de textiles et le café-boutique l'Usine avait une centaine d'employés avant qu'on le vende il y a quelques mois. »

Une histoire à succès qui ne se serait probablement pas réalisée sans l'épisode Montréal, disent-elles. Elles considèrent d'ailleurs la métropole comme leur maison, même si seule Tib y revient chaque année.

« Ma mère est extrêmement fière, déclare Tib. Mon père, n'en parlons pas, parce qu'il ne fait que parler de nous. Ça en devient gênant [rires]. »

De l'acharnement et un peu de chance, un gage de succès qui prouve qu'il y a une vie après tout conflit.

Texte d'Yvan Côté

(Source info: ici.radio-canada.ca)

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