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(Huu Ngoc - Le Courrier du Vietnam) - Mon Hanoi, c'est le banian séculaire qui se dresse majestueusement au cœur de la rue du Chanvre, là où j'ai vu le jour à la fin de la Première Guerre mondiale. Il abrite sous sa frondaison chevelue la maison commune de l'ancien hameau Cô Vu, la rue étant formée du regroupement de deux hameaux...

Tout jeune, les jours de sacrifice, j'accompagnais mon père à ce temple dédié au Cheval Blanc et à un guerrier mythique. Mon grand père, bachelier de l'ancien régime, avait quitté son village sur l'autre rive du fleuve Rouge pour s'installer comme médecin traditionnel à la capitale. Je me rappelle que dernière la maison commune, un atelier de xylographie imprimait des livres en idéogrammes chinois et vietnamiens avec des planches de bois gravés.

Mon Hanoi, c'est le pittoresque vieux quartier datant du 15e siècle, un "must" pour les touristes étrangers en mal d'exotisme. Je garde toute ma vie la nostalgie du brouhaha de l'anarchique marché de Dông Xuân près de la Porte de l'Est, des cris des vendeurs ambulants et du tintin des tramways. Les fêtes populaires étaient annoncées par les cris des vendeurs ambulants : le Têt par "Qui veut acheter les poissons servant de monture au Génie du Foyer ?", - la Fête du 5e jour du 5e moi lunaire par "Qui veut acheter de l'alcool du riz gluant ?" etc. Toute la jouée, les vendeurs ambulants font le tour des rues, vous faisant venir l'eau à la bouche en criant : "Qui veut des bonbons "keo bôt" (farine de riz) "keo vung" (au sésame) ?, - des gâteaux de riz au porc bouillis ?, - du riz gluant bien chaud ?, - de la soupe "pho" ? des vermicelles aux escargots ?, - du pain croquant ?, - du "mi chê" (canne à sucre chauffée) ?, - du "chi ma phu" (potage sucré de sésame noir) ? du luc tào xa (potage sucré de dolique vert ) ?, - du "sua tac" (nouilles avec pâté de porc) ?"... on n'en finit pas. Beaucoup de ces cris se sont tus, éteints par un urbanisme impitoyables. Éteint aussi le tintin précipité de la sonnerie du tram haletant. Les lycéens de l'École des Pamplemoussiers se faisaient un plaisir de rattraper à pas de course cette tortue mécanique.

Mon Hanoi, ce sont ses arbres verts toute l'année, été comme hiver. Les espèces sont très variées. Chacune a son caractère unique, son histoire et ses connotations culturelles. Il en est de même pour chaque arbre au regard des habitants de la rue. Les plus beaux arbres de la capitale sont sans doute les sao (Hopea berrieric) de la rue Lo Duc (Les forges). Leurs fûts s'élancent tout droits vers le ciel comme des colonnes de la pagode. Les blanches fleurs d'alstonia (hoa sua = fleur de lait) enivrent les nuits d'automne de la rue portant le nom du prince des poètes Nguyên Du. Le rougeoiement écarlate des flamboyants au bord de l'Allée de la jeunesse, avec les cris stridents des cigales, annonce aux élèves la venue de l'été, des examens et des vacances.

Dans le concert estival, les fleurs mauves des bang lang (Lagarstroemia flos-reginae-retz) donnent une note de tendresse à la rue des Teinturiers...

Les pancoviers (cây sâu) du boulevard Trân Hung Dao offrent aux Hanoiens des fruits verts servant à la préparation d'une boisson aigre-douce fort rafraîchissante. L'automne pare le Lac de l'Épée restituée de la chevelure des saules pleureurs.

Mon Hanoi, ce sont les fleurs du Têt qu'on vent chaque année sur des étals installés le long de la rue de la Rivière Tô Lich. Les gens chic de la capitale s'y donnent rendez-vous pour admirer et acheter les branches de fleurs de pêcher, des bulbes de narcisses, des pots de chrysanthèmes dits de longévité, des fruits d'or à peau fine des clémentiniers..., de nombreuses espèces de fleurs printanières. La fleur du Têt par excellence est celle du pêcher, les branches de pêcher fleuries ornent chaque foyer au Nouvel An, comme le sapin de Noël en Occident.

Quelques villages au bord du Lac de l'Ouest, - Nghi Tàm, Nhât Tân, Ngoc Hà..., se sont spécialisés depuis longtemps dans la culture des plantes florales pour le Têt. Mais les temps ont changé. On abandonne les fleurs pour des activités plus payantes, par exemple l'élevage des poissons rouges, la production des bonsaïs, ou même la restauration (viande de chien à Nhât Tân). Mais c'est la spéculation foncière qui menace la survie des villages dotés de la culture traditionnelle des fleurs puisque la terre s'y vend à prix d'or aux bâtisseurs d'hôtel et de villas de plaisance. Les fleurs émigrent vers d'autres villages sur l'autre rive du fleuve Rouge.

Mon Hanoi, ce sont ses lacs qui lui donnent une ossature et une âme. Chacune de ces pièces d'eau a sa légende et ses vestiges historiques. Avec ses alentours, elle constitue un vaste club en plein air où les gens viennent pour prendre du frais, se délasser, faire du sport, pratiquer des exercices collectifs "d'entretien de l'énergie vitale" (duong sinh), parler politique, se communiquer des nouvelles et même conter fleurette. Au centre de la cité, le lac Hoàn Kiêm (Épée restituée) présente le temple de la Montagne de jade et la tour de la Tortue qui est un des emblèmes de Hanoi.

Au Nord-Ouest de la ville, le Hô Tây (Lac de l'Ouest) a inspiré à Nguyên Huy Luong (18e siècle) un long poème chantant la beauté du paysage en même temps que le règne des Tây Son qui a redonné au pays la paix et la prospérité après avoir repoussé la puissante armée des envahisseurs Qing :

"Le paysage évoque une plage étoilée ou une vasque de cristal, Les eaux bleues font penser aux flots limpides jaillissant de la Grotte de saphir."

Selon l'architecte français Pedelahore, "les lacs font partie des matériaux bruts, fondateurs de la ville. Ils portent une individualité physique, et matérielle au même titre que les autres matériaux : colonnes ligneuses, moellons de prières".

Mon Hanoi, c'est le Hanoi traditionnel avec la citadelle, le vieux quartier, l'ancien quartier des Occidentaux, et la ceinture rurale... En 2008, en vertu d'une résolution de l'Assemblée nationale, le nouveau Hanoi triplera sa superficie et doublera sa population. Avec la modernisation à outrance, en s'agrandissant, Hanoi risque de perdre beaucoup de son charme indicible. Mon amie écrivaine américaine Lady Borton, amoureuse de la ville, me dit : "Je désire ardemment capter les traces de la cité que j'aime avant que tout ce que j'ai connu disparaisse et que Hanoi n'ait plus rien qui la distingue d'autres centres urbains modernes".

Huu Ngoc/CVN
(28/11/2010)

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