Tranches de vie : de flaques en fleuve !

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Tranches de vie : de flaques en fleuve !

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Quand des amis étrangers s'invitent au Vietnam, il est des passages obligés qu'on ne peut manquer de leur faire visiter. La petite ville de Hôi An (province de Quang Nam, Centre) en fait partie, à la fois pour son attrait culturel et architectural, mais aussi pour la chaleureuse ambiance touristique qu'elle a développée. Ville aux mille visages que je croyais connaître, Hôi An vient de m'en montrer un… plutôt humide !

Je n'ai jamais eu pour l'ancienne Faifo le regard de Chimène : trop de touristes au mètre carré, trop de sabir franco-anglais prononcé par des commerçants trop entreprenants, trop de cuisine occidentale dans des auberges d'ambiance…, l'impression de ne pas être au Vietnam ! Seules les promenades vespérales dans les rues éclairées parcimonieusement de lanternes me paraissaient avoir la couleur de l'Orient. Mais à force balades en vélo le long du fleuve, explorations de ruelles sombres délaissées par le flot de curieux et découvertes de petits restaurants aux spécialités locales succulentes, j'en suis arrivé à apprécier les séjours de farniente dans un des nombreux hôtels de charme qu'offre cette destination. Y compris celui de ces derniers jours !

Ciel pluvieux…

Ce matin, les eucalyptus qui bordent la Route Mandarine se cachent derrière un rideau d'une pluie virulente, à croire que le ciel est en colère contre nous.
Hier, nous avions réussi à visiter la Cité Impériale à pieds secs, mais Tu Duc (empereur du Vietnam 1848-1883) nous a accueillis dans le parc de son mausolée avec une bruine de mauvais augure. Et le spectacle d'un Huê illuminé au pont de couleurs changeantes que je voulais offrir à mes amis depuis le toit de l'Imperial Hotel s'est transformé en une imitation des parapluies de Cherbourg, les nôtres ayant été acquis par une providentielle intuition l'après-midi même au marché de Dông Ba. Sans doute énervée que nous soyons protégés par 1 m² de tissu bariolé tendu sur des baleines d'acier, la pluie s'est acharnée à troubler notre sommeil en crépitant toute la nuit sur les vitres de nos chambres. Autant dire que c'est déjà une vieille compagne qui fait la route avec nous de Huê à Hôi An. Nous feignons de l'ignorer en nous arrêtant sur la route pour acquérir un flacon de cette fameuse lotion miracle : l'huile de cajeputier, le "dâù tràm", même si les quelques mètres qui nous séparent de l'échoppe suffisent à ce que nous soyons trempés comme pain dans la soupe !

Par contre, nous ne pouvons que la maudire quand nous arrivons à Lang Cô, au pied de la route qui conduit au col des Nuages : brouil-lard, cascades débordantes…, impossible de monter, inutile et dangereux. Nous sommes obligés de passer sous la montagne en empruntant le tunnel routier. Si notre humeur, tout comme la luminosité, est assombrie, nous avons au moins un moment de répit au sec. Le tout petit espoir que j'avais, en imaginant que la barrière climatique entre Nord et Sud allait avoir un effet magique et que nous trouverions un ciel plus clément, est vite déçu : à la sortie du tunnel, nous n'en voyons pas le bout ! Dà Nang est traversé sous les crépitements et les rafales de vent, rouleaux de la mer à peine visibles derrière une brume grisâtre dans laquelle se confondent ciel et terre. Notre projet d'escalader les Montagnes de Marbre tombe à l'eau, et seule la visite d'un magasin d'exposition nous permet d'apprécier l'art local, tout en mettant à mal nos liquidités… Alors que nous sommes totalement liquéfiés, Hôi An semble prendre pitié de nous, en nous accueillant sous un ciel gris, mais sec !

… et sol spongieux,

En arrivant à notre hôtel, mes amis s'extasient devant son aspect intime, avec le patio offrant une piscine à l'eau bleu clair qui rappelle qu'il y a aussi du soleil sur cette partie du monde. Les chambres et leur balcon qui donne sur le patio invitent à se prélasser sur les grands lits moelleux, mais puisque nous sommes dans la ville de tous les commerces artisanaux, il faut commencer à jouer les chalands !

À la question étonnée de mes amis à propos des parapluies mis à disposition par l'hôtel, la réponse est apportée par le ciel qui se déchire brutalement et déverse des tonnes d'eau sur notre tête. Si au début de notre flânerie, c'est en chantant "Toute la pluie tombe sur moi…" que nous passons d'un magasin à l'autre, c'est bientôt en pataugeant dans d'énor- mes flaques que nous essayons d'atteindre les auvents opportuns des échoppes, alors que les touristes refluent de plus en plus vers l'unique rue commerçante de la ville qui ne soit pas inondée.

En effet, les deux rues parallèles à la rivière sont déjà sous les flots, et, alors que mes amis, pris par leur fièvre acheteuse, n'y prêtent pas attention, je constate que mes semelles de chaussure ne sont plus assez hautes pour permettre à mes pieds d'éviter de se transformer en nageoire. Ce n'est pas la montée de la marée au Mont St Michel, mais ça m'inquiète quand même ! Souci partagé par mon épouse qui par un regard acquiesce à mon offre de rentrer immédiatement à l'hôtel…

Une fois tout mon monde à l'abri, nous pouvons nous permettre un repas sympathique à l'hôtel, en regardant la surface de la piscine trembloter d'émotion au contact de l'eau céleste. Nouvelle nuit accompagnée du bruit de la pluie…

Naufrage assuré !

Au réveil, j'ouvre les rideaux pour voir l'état du ciel. Et j'ai l'illustration parfaite du principe des vases communicants. Ce qui était en haut est passé en bas : le ciel est gris, mais sec ; la piscine est noyée (un comble) sous un mètre d'eau boueuse. Les chaises longues et les tables qui l'entourent sont aux trois-quarts immergés. Impossible d'atteindre la salle du petit déjeuner : l'eau a envahi tout le rez-de-chaussée ! C'est "Marina pieds dans l'eau" !

Pendant la nuit, le personnel a sauvé tout ce qui pouvait l'être : l'autel des ancêtres est monté d'un étage, le coffre-fort est monté sur le comptoir de la réception, les motos sont montées sur des tables… La piscine n'est plus dehors, elle est dedans ! Les touristes, massés devant la sortie, s'en donnent à cœur joie en prenant des photos des rues inondées, parcourues par des barques à fond plat qui proposent leurs services comme taxis flottants.

Avec optimisme, je me dis que puisqu'il ne pleut plus, l'eau va descendre et que dans quelques heures, nous pourrons de nouveau parcourir le sentier des vaches. Optimisme déplacé : contre toute attente, l'eau continue à monter, escaladant les premières marches qui montent à notre chambre. Nous ne sommes plus à l'hôtel, nous sommes dans le Titanic !

Déjà, les bateaux de sauvetage arrivent pour se ranger le long de l'escalier, là où hier encore il était possible de consulter son courrier électronique par Internet. Les clients, sous la houlette de leurs guides, commencent à déserter le navire. Piétons avisés, ils se révèlent marins malhabiles, montant à bord des esquifs mi à quatre pattes, mi à genoux. Les valises et les humains tentent de se partager l'espace en un équilibre précaire, entre tangage et roulis…

Avec l'habileté qui révèle une grande pratique, les rameurs redressent l'embarcation et, en deux ou trois coups de rames énergiques, quittent le hall de l'hôtel pour s'engager dans les rues inondées, confluents d'occasion, qui les entraînent vers des lieux où peuvent encore rouler les voitures et marcher les touristes !

Avec mes amis, nous décidons de rester. Après tout, pourquoi se refuser une journée de détente entre sommes et séances de télévision ?! Tandis que la mer monte et que l'hôtel s'engloutit lentement, dans nos chambres des étages supérieurs nous dégustons un film sans saveur, quand soudain l'écran devient bleu ! La télé vient de nous lâcher ! Dans la foulée, c'est l'électricité qui nous abandonne. Nous voilà revenus aux premiers âges de l'humanité ! Pas d'affolement, semble nous dire le calme avec lequel le personnel de l'hôtel réagit à tous ces avatars… Générateur à essence en marche, repas servi en chambre, livré par bateau, sourires…, nous n'avons aucun souci à nous faire, car après la pluie vient le beau temps !

Le lendemain, la piscine réapparaît, gris terne en place du bleu ciel du premier jour. L'hôtel a résisté, les flots se sont retirés, remplacés par une boue sale du meilleur effet… Il est temps de partir !

À bientôt Hôi An, mais à sec cette fois… si possible !

Gérard BONNAFONT
(Le Courrier du Vietnam - 13/11/2011) 
 

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