Vietnam - La «guerre après la guerre» des démineurs

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Un démineur de l’ONG norvégienne Norwegian People’s Aid dans la province de Quang Tri.

Plus de quarante ans après la fin du conflit, le sol vietnamien reste truffé de mines et de bombes américaines, qui mutilent les habitants et polluent les sols. Plusieurs ONG s’emploient à les détruire, comme dans la province de Quang Tri.

Quelque part autour du village de Cam Lo, dans la province de Quang Tri, au centre du Vietnam, une détonation sourde et puissante retentit, immédiatement suivie d’une autre, encore plus forte, faisant légèrement trembler le sol. Au-dessus des cimes des arbres, des flèches de fumée s’élèvent, puis un panache noir au travers duquel se distinguent des étincelles de feu. Ce sont des bombes américaines qui viennent d’exploser, plus de quarante ans après la fin de la guerre, qui a fait, au total, près de 2 millions de morts.

Les habitants de la région sont habitués à ces détonations qui surgissent au moins deux fois par semaine. La guerre est finie depuis longtemps mais le combat n’a pas cessé pour les dizaines de démineurs qui luttent chaque jour pour dépolluer la région des millions de bombes, mines, grenades, obus, mortiers et autres munitions non explosées qui continuent de faire des victimes. Ce sournois champ de bataille chaud et humide semble refuser d’oublier la tragédie qui s’y est déroulée entre 1955 et 1975. Vingt années d’atrocités qui sont gravées partout ici : la région de Quang Tri a été la principale ligne de front lors de «la guerre de l’Amérique», comme on l’appelle au Vietnam. Coincée entre la Cordillère annamitique et la mer de Chine, ce petit morceau de terre ne fait qu’une cinquantaine de kilomètres de large. Son sol marécageux a été labouré des années durant par une pluie de métal. Il est encore aujourd’hui pollué sur plus de 80 % de sa surface, en faisant une région plus bombardée encore que l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce matin-là, comme tous les jours, une douzaine de jeunes hommes se tiennent sur le bord de la route du village de Cam Lo. Tous vêtus d’uniformes beiges, ils écoutent leur superviseur, simplement armés de détecteurs de métaux, de bâtons de couleur et de râteaux. Ce sont les démineurs de MAG, Mine Advisory Group, une ONG britannique spécialisée dans la dépollution de zones contaminées par des munitions non explosées (UneXploded Ordnance, UXO, en anglais), souvent en première ligne dans un combat de longue haleine, comme ce fut encore récemment le cas en Irak dans le sillage des jihadistes de l’Etat islamique. C’est l’heure du briefing de sécurité, durant lequel chacun donne son groupe sanguin et réécoute les règles de sécurité sous le regard d’un secouriste. Sur ce champ de bataille, une seule erreur pourrait être fatale. Tous ici ont encore en tête le visage de leur camarade Thien Khiet, père de famille de 45 ans, récemment tué dans l’explosion de la bombe qu’il tentait de désamorcer.

Génie pervers

Lentement, le soleil se lève alors que l’équipe marche en colonne, dans le silence, sur le site «pollué». Au loin, quelques explosions : «Ce sont probablement les équipes de NPA [Norwegian People’s Aid, une autre ONG investie dans le déminage, ndlr] qui détruisent quelque chose», dit un équipier. La zone du jour à déminer couvre quelques kilomètres carrés de rizières et plantations de taro. Dans les environs, l’équipe a déjà découvert un mortier et deux bombes à sous-munitions. Ils en trouveront sans doute plus encore aujourd’hui.

Alors qu’ils marchent, les détecteurs émettent des bruits stridents. Régulièrement, le son se fait plus aigu : «Peut-être une bombe, ou juste un bout de métal», lâche l’un des démineurs. Parfois, l’un d’entre eux creuse minutieusement pendant une demi-heure dans la boue pour en sortir une simple boîte de conserve. Les plus petites munitions que l’équipe vient de trouver sont sans doute les pires de toutes. Elles sont le fruit d’un génie pervers : larguées par avion à l’intérieur de cylindres métalliques qui s’ouvrent à mi-course, déversant plus de 600 de ces petites bombes - appelées «bombies» -, elles ne sont pas plus grosses qu’une balle de baseball. Certaines explosent au contact du sol, d’autres agissent telles des mines antipersonnel. «La particularité de ces engins est qu’ils ne sont jamais seuls : si vous en trouvez un ou deux, vous pouvez immédiatement en déduire qu’il y en a des dizaines ou des centaines d’autres dans les environs», explique Resad Junuzagic, chef de mission de Norwegian People’s Aid au Vietnam, qui a joué un rôle clé dans la campagne internationale pour l’élimination des mines et la Convention sur les armes à sous-munitions, signée en 2008.

Le temps s’écoule lentement sur le champ de bataille. Quelques bombies ont été trouvées. Trop instables pour être déplacées, elles seront détruites sur place par une équipe de démineurs. Non loin de là, dans un village, de jeunes enfants viennent de signaler aux équipes la présence de quelques obus qui traînent ça et là entre deux tombes, dans des buissons, à côté d’un bac à sable ou à l’arrière d’une maison. En quelques heures, MAG mettra la main sur une dizaine de munitions rouillées de plusieurs kilos que l’ONG fera également exploser sur place, faisant trembler les murs des habitations avoisinantes.

Ho Van Lai, 26 ans, a fait, lui, l’amère expérience de cette «guerre après la guerre». Il n’était pas né quand le conflit s’est achevé. Mais celui-ci est pourtant écrit sur son corps. Chaque mutilation raconte toute l’horreur que la guerre a laissée derrière elle. C’est à l’âge de 10 ans qu’une munition non explosée lui a arraché les bras et jambe du côté droit, ainsi que le pied et la main gauches. Il ne lui reste plus qu’un œil, qui se détériore petit à petit. Lai vit avec sa mère dans une maison modeste de Gio Linh. «J’ai marché sur une bombe qui a explosé alors que je jouais dans le sable avec des amis. Deux sont morts et un seul a survécu», explique-t-il simplement.

Encore 18,8 % du territoire piégé

Voilà ce qui peut arriver lorsque l’on vit dans la région. Personne ne sait vraiment combien de civils ont été blessés ou tués par les UXO au Vietnam depuis la fin de la guerre, mais les estimations les plus fiables évoquent au moins 105 000 victimes, dont 40 000 morts. La plupart d’entre elles sont des fermiers : la plupart des combats et des bombardements se sont déroulés dans des zones rurales et des rizières.

Aujourd’hui, grâce aux nombreuses opérations de sensibilisation menées par le gouvernement et les ONG, les accidents sont beaucoup plus rares. Mais la victoire n’est pas encore acquise, alors que l’on ignore combien de ces engins de mort polluent encore champs et villages, ni combien de temps il faudra pour remporter cette bataille qui semble sans fin.

NPA, MAG et les autres organisations présentent dans la région ont détruit plus de 370 000 munitions sur une surface de 5 600 hectares à Quang Tri depuis 1998. C’est beaucoup, et si peu à l’échelle du pays. Selon les agences officielles vietnamiennes, pas moins de 800 000 tonnes de munitions non explosées seraient encore dissimulées sur 18,8 % du territoire national, entraînant une pollution de la terre, de l’eau, et laissant planer la mort ou la mutilation. Un responsable du comité national en charge des campagnes de déminage l’assure : «Au rythme où va le déminage, la dernière bombe sera retirée dans trois cents ans. Si nous accélérons, avec l’aide des organisations internationales, on peut espérer réduire ce délai à cent ans ou soixante-dix ans

Xavier Bourgois
Envoyé spécial à Dong Ha

(Source info: www.liberation.fr)

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