Vous permettez, génie ?

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Au Vietnam, le génie est un compagnon familier. Toujours disponible, il reçoit nos doléances avec une sérénité constante. Accessible en toute simplicité, il ne se la joue pas. Et pourtant, il y aurait de quoi !

La semaine dernière, nous avions déjà fait une incursion dans le monde des génies. Je vous avais présenté les génies qui veillent sur la famille, trinité bienveillante qui rassure autant qu’elle assure !

Aujourd’hui, je vous propose de rencontrer des génies d’un autre gabarit. Ceux-là, pour les saluer, nous devons aller au-devant d’eux sur leur lieu de résidence : le temple. À ne pas confondre avec la pagode ! À voir les toits de tuiles canal, aux coins recourbés, et les dragons qui souvent ornent le faîte, ajouté aux licornes qui montent la garde, le temple ressemble parfois à une pagode comme deux gouttes d’eau. C’est en pénétrant dans les lieux que la différence saute aux yeux. Car dans le temple, point de Bouddha ! C’est un génie qui nous accueille, humain ou animal, mais toujours doté de pouvoirs destinés à nous protéger des aléas d’une vie pas toujours rose. Ça y est, vous êtes prêts ? Alors, suivez le guide…


Polir le génie pour obtenir du succès ne connaît pas de frontières ! Photo : Gérard BONNAFONT/CVN

C’est le pied

Il est des génies qui portent sur eux les marques visibles de leur renommée. En effet, non contents de leur adresser des suppliques, leurs fidèles s’enhardissent à les effleurer, voire à les toucher de façon insistante. Et le plus souvent, ces privautés s’exercent sur des parties bien précises de leur anatomie, ce qui, au fil du temps, génère une patine à faire pâlir d’envie une ménagère devant ses bronzes !

Ainsi en est-il de cet imposant gardien du Nord, dont le temple fait face au Lac de l’Ouest, à Hanoi. Depuis le XVIIe siècle, il trône dans un écrin rouge et or, blotti dans un nid de verdure et de calme, à quelques encablures de la frénésie de la ville. Devant lui, on se sent tout petit ! C’est que quatre tonnes de bronze inspirent le respect. Et pourtant, c’est sans doute un des génies dont le succès n’a pas fait tourner la tête. D’ailleurs, celle-ci est totalement inaccessible au commun des mortels, sauf à tenter l’escalade du génie par la face Nord, ce qui serait, pour le moins, une marque d’incivilité notoire. Alors, c’est au pied que les quémandeurs présentent leurs requêtes. Au gros doigt de pied devrais-je dire !

En effet, pauvres petits vermisseaux que nous sommes devant le géant impassible, nous sommes à peine à la hauteur de ses pieds, juste assez pour les atteindre de notre main. Et de la rencontre entre les doigts de nos mains et ceux du pied du génie résulte un polissage qui donne aux extrémités géniales un brillant exceptionnel. C’est surtout le pouce du pied qui profite de cette aubaine, sans doute parce que l’on imagine que sa préséance et son gabarit sont proportionnels à ses aptitudes bienfaitrices. Comme quoi, pour avoir de la chance, on peut prendre un pied !

D’autres génies se prêtent au jeu des caresses en d’autres endroits de leur anatomie. Petit détour par le Temple de la Littérature à Hanoi…

Sacrées caresses

Assidûment fréquenté par tous ceux qui ont besoin d’un coup de pouce pour réussir leurs examens, ses génies ne chôment pas. Génies ou faisant office ! En effet, en ce lieu, le maître incontesté est Confucius. Mais le nombre d’impétrants au succès scolaire est tel que même un Sage de son acabit n’y peut suffire. Alors, de nombreux auxiliaires s’y collent.


La tête des tortues de pierre dans le Temple de la Littérature à Hanoi a été sollicitée par des mains poisseuses de la sueur de l’anxiété pré-concours, qu’elles frisaient l’érosion précoce. Photo : CTV/CVN

À commencer par les impavides tortues de pierre, qui supportent les stèles des éminents lauréats des siècles passés. Leurs têtes ont été tellement sollicitées par des mains poisseuses de la sueur de l’anxiété pré-concours, qu’elles frisaient l’érosion précoce.

Perdre la tête pour en aider d’autres à bien se remplir, l’enjeu n’en valait pas la chandelle. À tel point qu’aujourd’hui, un garde-corps empêche les mains fébriles d’atteindre les occiputs chéloniens.

Qu’importe ! Il reste aux adeptes de l’effleurement salvateur, la tortue et le phénix, situés de chaque côté de l’autel précédent le temple lui-même. Crâne pour la tortue, jabot pour le phénix ! Le bronze rutile des pétrissages, frottements et autres palpations quotidiennes, preuves de la réputation accordée à ces auxiliaires de performances intellectuelles. En tout cas, il est une chose acquise : les génies ne sont pas chatouilleux !

Et heureusement, car j’imagine avec effroi des génies de bronze ou de pierre se tordre de rire sous les papouilles humaines. Bien que, à y réfléchir, c’est sans doute ce qu’ils font, là-haut, dans le ciel, à en pleurer de joie. Ce qui expliquerait les pluies fréquentes qui arrosent le pays.

Quoiqu’il en soit, au pied, à la tête, au jabot, ou à d’autres parties du corps, ces génies polis montrent encore une fois toute la complicité qui règne entre le Vietnamien et ce monde parallèle peuplé d’êtres bienveillants. Cette complicité n’empêche pas celui-ci d’enfumer copieusement ces derniers. Pas d’autel, fût-il de fortune, sans que ne grésillent des bâtons d’encens. Y compris sur les pare-chocs de bus pour honorer celui dont on suppose que sa protection permet de prendre des libertés avec le Code de la route.

Heureusement que nos génies sont immunisés contre les hydrocarbures aromatiques polycycliques, à côté desquels la nicotine fait figure de parent pauvre. Mais, je vous l’avais déjà dit la semaine dernière, chatouillé, palpé, enfumé, nourrit d’abondance, la vie de génie n’est pas de tout repos !

Je ne saurais clore cette tranche de vie, sans souligner que, à côtoyer les génies, le Vietnamien est devenu ingénieux. Tout comme le génie, il se rit des contraintes de la physique élémentaire. Ainsi, sur une moto destinée à accueillir deux personnes, voire trois si l’on y ajoute un enfant, le Vietnamien peut agglutiner jusqu’à cinq personnes ! De la même manière, les lois de la gravité, dite universelle, imposent d’arrimer solidement tout objet encombrant et pesant, véhiculé sur un deux-roues. Ici, réfrigérateurs et autres colis monumentaux zigzaguent dans la circulation, sans tendeurs ni cordages, parfois à peine maintenus par une main nonchalante. C’est l’ingéniosité qui frise la virtuosité.

Le génie protecteur ? Un vrai coup de génie !

Gérard BONNAFONT/CVN

(Source media : Le Courrier du Vietnam)

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