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Guerre du Vietnam : des rescapés de My Laï racontent

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La piste des tueurs a été reconstituée sous la forme d’empreintes de godillots militaires aux semelles crantées dont les responsables du Musée du souvenir, construit juste à côté, ont cimenté la marque dans le sol. Ainsi, quand on arrive de l’ouest, venant de l’espace défini par les rizières en damier, on peut mettre ses pas dans celui des assassins. Le 16 mars 1968, vers 7 h 30 du matin, après avoir bondi de leurs hélicoptères, fusils M16 pointés devant eux, ils ont suivi ce chemin, qui mène à un fossé d’irrigation. Le chemin des tueurs, des morts et de la douleur éternelle, que l’on refait aujourd’hui, en silence.

Ce matin-là, 170 habitants du hameau côtier de Khe Thuan, dans la province vietnamienne de Quang Ngaï (centre du pays), sont regroupés et poussés vers ce canal par des soldats de la compagnie Charlie appartenant à la 23e division d’infanterie américaine. Ils sont jetés dans le fossé, abattus au fusil. Les blessés sont achevés. Laissés pour morts, quatre survivants émergeront du canal après le départ des tueurs en uniforme. Deux femmes et deux enfants.

« J’ai entendu d’autres tirs : les soldats achevaient d’une balle celles qui n’étaient pas mortes »

Ha Thi Quy, 91 ans, est l’une d’elles. Elle est toute ridée, toute plissée, toute courbée, mais joyeuse : en nous voyant arriver, elle fait des grands signes de la main. « Le 16 mars 1968, j’avais 43 ans, j’étais à la maison, comme toutes les femmes. En cette saison, on a repiqué le riz il n’y a pas longtemps, alors les pousses sont encore assez jeunes, et il y a moins de travail parce que l’on attend que ça mûrisse. J’ai été étonnée de voir tant d’hélicoptères se poser. Et puis on a vu tous ces soldats arriver. On ne craignait rien, vous savez. C’était la guerre, bien sûr, mais nous, au village, on ne faisait pas de politique. Souvent, les soldats américains venaient patrouiller au bord de l’océan et, quand ils traversaient nos hameaux, ils jouaient avec les enfants, ils leur donnaient des sucreries. Les Américains, on n’était ni pour ni contre. Mais ce jour-là ils étaient très nombreux. Certains étaient noirs. Je n’avais jamais vu de Noirs, ils me faisaient peur. »

Elle marque une pause et accélère légèrement son débit. « Les soldats nous ont conduits vers le fossé. On entendait des coups de feu, ailleurs dans le village. On a réalisé qu’ils tiraient sur des gens. Des femmes, devant moi, se sont agenouillées, les mains jointes. Elles gémissaient : “Ne nous tuez pas.” Moi aussi, je me suis agenouillée, je les ai implorés. A ce moment, j’avais déjà compris qu’ils allaient nous tuer, mais ça ne fait rien, je les ai quand même suppliés. Mes deux enfants étaient avec moi. Mon fils de 6 ans et ma fille de 17 ans. Quand on est arrivés devant le canal, ils ont ouvert le feu. »

« Demain, tuez tout le monde ! »

Sa voix est plus basse maintenant. « Dans ma famille, on a eu trois morts. » Elle ne dit pas qui. Seulement : « J’ai basculé dans la fosse, j’avais une balle dans la cuisse. » Elle remonte son pantalon de paysanne, montre la cicatrice sur sa vieille jambe. « J’ai entendu d’autres tirs : les soldats achevaient d’une balle celles qui n’étaient pas mortes. » Puis : « Les morts, c’était ma belle-mère et mes deux enfants. Quand les soldats ont tiré, j’ai vu leur tête exploser devant moi. » Elle finit par dire : « La douleur, elle est là, elle est en moi. » Après 1968, elle a eu deux autres enfants, un fils et une fille ; ils habitent avec elle.

Certains soldats qui ont participé aux tueries ont témoigné plus tard avoir vu ce jour-là un bébé en pleurs, que le corps de sa mère avait protégé des balles, et qui essayait de s’extirper en rampant du monceau de corps empilés. Lelieutenant William Calley, plus haut gradé sur les lieux, a alors saisi le nourrisson, l’a rejeté sur le « tas » avant de le tuer d’une rafale.

Ce fossé n’est que l’un des lieux d’une tuerie de plus grande ampleur : ce 16 mars 1968, les soldats se déploient dans plusieurs hameaux que les cartes d’état-major avaient identifiés sous le nom de My Laï 1, My Laï 2, 3 et 4. My Laï n’est que l’un des hameaux d’une commune nommée Son My, ravagée dans son ensemble, ce jour-là, par l’US Army. L’historiographie américaine a retenu le nom de My Laï pour désigner le massacre qui contribua à faire basculer l’opinion publique contre la guerre.

Du lundi 23 mai au mercredi 25 mai, Barack Obama est en visite officielle au Vietnam, avant d’aller à Hiroshima, au Japon. C’est le troisième président des Etats-Unis à se rendre dans le pays, mais aucun n’a encore prononcé là-bas le nom de My Laï.

 

Quand les GI débarquent dans ces hameaux, ils croient atterrir dans un nid du Vietcong, la guérilla du Sud-Vietnam. Ils ne trouvent qu’une paisible population villageoise, essentiellement composé de femmes, d’enfants et de personnes âgées. Presque immédiatement, pourtant, les soldats tirent sur eux. En quatre heures, selon le décompte officiel vietnamien, ils tuent 504 personnes : 182 femmes, dont 17 enceintes ; 173 enfants, dont 56 bébés ; 60 personnes âgées ; 89 hommes d’âge moyen – susceptibles d’être des combattants. On ignore le nombre de femmes violées. On sait que plusieurs l’ont été, tuées aussitôt après. L’un des tueurs, Varnado Simpson, a raconté devant une caméra avoir « scalpé, coupé les oreilles et les langues » de certains cadavres. Il s’est suicidé en 1997.

A l’issue du massacre, les soldats de la compagnie Charlie font une pause-déjeuner. Les jeunes GI, la tête farcie d’une propagande qui avait largement contribué à déshumaniser l’adversaire – le « Jaune », le « Viet », le communiste –, n’avaient pas d’états d’âme. Pas ce jour-là en tout cas. La veille, leurs officiers avaient dit : « Demain, tuez tout le monde ! »« Tout le monde ? », avait risqué un soldat. « Oui, tout le monde, les femmes et les enfants aussi. S’il y a des gens qui sont encore là quand vous arriverez, c’est que ce sont des VC [Vietcong, dans le jargon des GI] ! »

Dans le musée, on voit la photo du lieutenant Calley, assis dans son hélicoptère après la fin de la tuerie. Il fait le V de la victoire. ­Calley a été, quelque temps, le bouc émissaire d’une opération dont tous les responsables, plus haut gradés que lui, ont été innocentés après la révélation du massacre par le journaliste américain Seymour Hersh, en novembre 1969. Seul inculpé, William Calley a été condamné, le 31 mars 1971, à la prison à vie. Dès le lendemain, le président Richard Nixon demandait qu’il soit libéré et placé en résidence surveillée. Il a été gracié en 1974.

Pham Thi Thuan est une femme de 78 ans. C’est l’autre survivante du fossé. Elle en a réchappé avec ses deux filles âgées de 7 et 3 ans. « Les soldats nous ont poussés vers le canal. Sur le chemin, ils nous disent de nous accroupir. On s’accroupit. Ils nous disent de nous relever et de marcher. On se lève et on marche. Devant le fossé, ils nous disent à nouveau de nous accroupir, puis de nous relever. On s’accroupit, on se relève. Et puis ils nous tirent dessus. »

« Sous un monceau de cadavres »

Mme Pham pose sa tête sur la table de son ­salon, elle met le doigt sur sa tempe, mimant le canon d’un fusil. « Ils tirent sur la tête des gens. On bascule dans le trou. Je crois que je suis morte. Ma fille de 3 ans hurle. Je lui mets le bout de mon sein dans la bouche pour qu’elle se taise. Je n’entends plus rien. Je suis sous un monceau de cadavres. J’entends d’autres coups de feu. Mon téton est toujours dans la bouche du bébé. Je crois qu’elle est morte. Je ne sais pas combien de temps ça dure, deux heures, deux heures et demie, trois heures. Je ne sais pas pourquoi je suis vivante, avec mes deux filles. » Elle dit : « Je n’y pense pas tout le temps, au massacre. Parfois, il faut savoir mettre de côté le grand malheur. »

Pham Dat, un monsieur de 88 ans, habitait tout près de la maison de Ha Thi Quy, dans le hameau de Khe Thuan – l’un des « My Laï ». M. Pham est très sourd, il n’a plus de dents. Il ne donne pas, de prime abord, l’impression d’avoir toute sa tête. L’interprète est obligé de crier. Et puis d’un seul coup M. Pham parle.

Il commence ainsi : « Je vais vous dire ce dont je me souviens : il était très tôt ce matin-là. » Il désigne l’extérieur, la cour de sa maison, reconstruite, ouverte sur un enclos où son chien aboie. L’ensemble est entouré de plantes, de fleurs, un endroit charmant. Le 16 mars 1968, tout s’est passé là, juste devant.

« je ne sais plus. Je me souviens des intestins qui explosaient, c’est tout »

« Les soldats sont arrivés. Un type qui devait être un chef a sorti son pistolet et a fait signe à deux autres soldats. Ils se sont mis à tirer sur les deux bœufs de l’étable. Ils les ont tués. Puis ils ont abattu mes poules et mes canards. Je me suis dis : “Merde ! Mais pourquoi ils tuent mes bœufs et mes canards, c’est incroyable !” Je suis sorti, ils m’ont tiré dessus. J’ai reçu une balle dans le pied, une autre dans la cuisse. Deux enfants de la maison sont sortis. Un petit garçon, qui portait un bébé dans ses bras. Les soldats les ont abattus. Le garçon a essayé de protéger le bébé, mais il était déjà blessé. Il a continué à marcher, puis il s’est écroulé, j’ai vu ses intestins sortir de son corps. J’étais mal en point, mais je voyais tout cela très précisément. »

Ce qu’il ne sait plus, M. Pham, c’est que le bébé, qui avait 7 mois, était sa dernière fille. Le garçon était le cousin du bébé. M. Pham dit : « Je ne me souviens plus, le reste, je ne sais plus. Je me souviens des intestins qui explosaient, c’est tout. » Sa mère et son épouse sont au nombre des tués.

Une figure domine My Laï, son histoire, sa tragédie et le Musée mémorial, dont il est le directeur et le fondateur : Pham Thanh Cong, 59 ans. Fils de cadre communiste, il avait 11 ans le 16 mars 1968. C’est un homme discret, sombre, dont le visage peut soudain s’illuminer d’un vaste sourire. Il a un gros ventre, fume beaucoup, et boit du thé vert. Quand il parle, il ferme souvent les yeux. Après chaque question, qu’il écoute avec attention, il réfléchit longtemps, il prend son souffle.

Le 16 mars 1968, il est dans sa maison, près de la meule de foin. Les soldats arrivent. Ils tuent tout le monde, sauf lui et son père – qui n’est pas là. Comme les autres survivants, il a fait le mort sous le cadavre de sa mère et de ses quatre frères et sœurs. Pham Thanh Cong a cessé de raconter son histoire aux visiteurs. Il a écrit un livre. « Je ne suis pas écrivain, j’ai eu du mal à le finir. J’ai employé des mots simples pour décrire le malheur. Chaque fois que j’écrivais, j’avais un étau dans la poitrine, le malheur remontait, y en avait trop. » Il ferme les yeux, se concentre. « Quand j’ai eu fini, je l’ai fait relire, au lit, par ma femme. J’avais besoin d’entendre les mots que j’avais écrits. Ça a duré deux nuits. A la fin, je me suis dit : “Quand même, j’ai pas eu de chance.” »


http://abonnes.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/05/24/il-etait-7-heures-30-du-matin-a-my-lai_4925293_3216.html?xtmc=my_lai&xtcr=1


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