La francophonie au Vietnam

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La francophonie au Vietnam

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Intervention de Dao VINH (France-Vietnam) : "La francophonie au Vietnam"Table ronde I — Diversité des francophones, Colloque "Francophonie au pluriel", Paris, du 17 au 20 mai 2001. Nous connaissons tous la géographie de la francophonie. Dans tout le Sud-Est Asiatique, le Vietnam, avec les deux autres pays de l'ancienne Indochine, le Cambodge et le Laos, est un îlot francophone au milieu d'une région presque exclusivement anglophone. Le Vietnam fait ainsi figure d'exception, une anomalie dans ce continent asiatique où l'anglais a exercé une domination écrasante depuis que l'Asie a commencé à s'ouvrir aux influences de l'Occident. Le fait que le Vietnam soit un pays francophone est, comme tout le monde le sait, le résultat de circonstances historiques. La France a entrepris la conquête de ce pays à la fin de l'année 1858 et par la suite elle étendait sa domination sur l'ensemble des trois pays de l'Indochine. L'histoire de la colonisation française au Vietnam fut mouvementée. Dès le début, une longue lutte pour l'indépendance ne tarda pas à se déclencher, lutte qui devait se terminer par le traité de Genève en 1954 mettant fin à la première guerre d'Indochine, ainsi qu'à près d'un siècle de colonisation française. Malgré ce long passé de relations difficiles, le Vietnam revendique aujourd'hui encore son statut de pays francophone. Ces dernières années, des efforts notables ont été entrepris pour faire avancer la cause de la francophonie au Vietnam. En lieu et place d'un tableau détaillé de la situation actuelle de la francophonie au Vietnam, je propose d'axer mon intervention sur quelques aspects historiques en rapport avec l'implantation de la langue française au Vietnam. La conquête de l'Indochine par la France a commencé avec le bombardement du port conflictuel de Da Nang au Centre Vietnamen en septembre 1858. L'escadre française était commandée par l'Amiral Rigault de Genouilly. Quelques mois plus tard, la flotte française faisait route vers le Sud, s'emparait de Saigon et entreprenait la conquête de la Cochinchine. À cette époque, en Chine, éclatait la guerre de l'Opium dans laquelle les Français s'étaient rangés aux côtés des Anglais pour forcer la Chine à des concessions territoriales. Napoléon III ambitionnait de revendiquer pour la France un port sur la côte vietnamienne, à l'exemple de l'Angleterre qui avait obtenu la souveraineté sur Hongkong en 1842. C'est ce qui explique les coups de canon tirés sur la ville de Da Nang en septembre 1858, et la colonisation du Vietnam qui s'en suivit. Avec leur mentalité de conquérants, convaincus de leur supériorité technique et intellectuelle, les premiers colonisateurs français s'attendaient à trouver en face d'eux un peuple arriéré, à peu près illettré, aux mœurs barbares, et auxquels ils devaient apporter les lumières de la civilisation. Ils se trouvèrent, au contraire, confrontés à une civilisation ancienne, extrêmement raffinée. En effet, dès le XVe siècle, à la cour, tous les mandarins et fonctionnaires étaient répartis en grades et échelons administratifs. Des textes réglementaires fixaient les traitements et privilèges accordés à chaque catégorie de fonctionnaires, ainsi que l'âge auquel ils étaient admis à la retraite. Déjà vers le XIe siècle, il a été mis en place un système d'enseignement ouvert à tous et aboutissant à des concours nationaux, et tous les mandarins du royaume étaient sélectionnés parmi les lauréats de ces concours. Il n'y avait pas une noblesse ou une autre classe sociale privilégiée qui accaparait le pouvoir de père en fils, mais un système étonnamment démocratique permettait aux plus méritants d'accéder aux plus hautes charges du royaume. Autre détail intéressant: dans la plupart de pays colonisés par la France ou par l'Angleterre, il n'existait pas une langue nationale parlée par tous mais de multiples dialectes. Ainsi la langue du pays colonisateur devenait un instrument de cohésion nationale permettant à de multiples communautés de se comprendre et de communiquer entre elles. En Inde, il existait des centaines de dialectes et aucune ne pouvait nettement supplanter les autres et s'imposer comme une langue nationale. L'anglais par contre pouvait être adopté sans difficulté en tant que langue administrative et officielle. La situation était totalement différente au Vietnam. Il y existait en effet, une langue nationale officielle, le vietnamien, comprise et parlée par tous, du nord au sud du pays. Il faut souligner que le Vietnam, petit pays adossé à une immense Chine, a subi pendant des siècles d'innombrables assauts de ce puissant voisin du nord. Le Vietnam a été sous la domination chinoise d'une façon ininterrompue pendant plus d'un millénaire, de l'année 111 avant l'ère chrétienne jusqu'au Xe siècle. Pendant ces dix siècles de colonisation chinoise, la Chine n'a pas hésité à employer tous les moyens pour effacer toute spécificité vietnamienne et imposer le modèle chinois, sa langue, sa civilisation, ses mœurs et ses coutumes. Malgré cela, les Vietnamiens se sont obstinés à parler le vietnamien. Le maintien de leur langue a été sans doute un facteur décisif permettant aux Vietnamiens de prendre conscience de leur identité nationale et de poursuivre inlassablement leur lutte pour l'indépendance. Ils ont finalement réussi à se débarrasser du joug chinois et à conquérir leur indépendance au prix de luttes incessantes. Il importe de souligner ici, qu'à peu près à la même période où le Vietnam tombait sous la domination chinoise, les Gaulois subissaient à peu près le même sort lorsque la Gaule fut entièrement conquise par les Romains. Mais la colonisation romaine ne devait durer qu'environ cinq cents ans, c'est à dire la moitié de la période recouverte par la domination chinoise au Vietnam. Pourtant, à l'issue de la colonisation romaine, la langue gauloise avait complètement disparu au profit d'un parler issu du bas latin qui devait donner naissance au français actuel. La disparition de la langue gauloise s'est produite en l'espace de deux siècles, les IIe et IIIe siècles après J.C, durant lesquels les Gaulois ont complètement renoncé à leur langue pour adopter celle de leurs envahisseurs. Ainsi pour les Vietnamiens, il a fallu une grande détermination pour pouvoir maintenir leur propre langue tout au long de plus de mille ans de colonisation chinoise. Sous le régime colonial français, le français devient la langue administrative officielle à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle. L'ancien système éducatif basé sur des textes classiques chinois fut progressivement remplacé par un enseignement de français. Des établissements scolaires français, de l'enseignement primaire au lycée, formèrent des Vietnamiens appelés à servir dans l'administration coloniale. Cet enseignement français a formé peu à peu une importante partie d'une classe privilégiée qui constituait l'élite vietnamienne. L'Orient, malgré sa brillante civilisation et sa splendeur passée, a raté le train de la révolution technique et s'est laissé distancer par un Occident conquérant, sûr de sa supériorité aussi bien intellectuelle que technique et militaire. Le français est devenu ainsi la langue du savoir, la clé du progrès, la condition de la réussite. Les jeunes vietnamiens du début du siècle ont ainsi choisi la voie de la francophonie, non parce qu'il s'agissait de la langue du pays colonisateur, non pas par une nécessité de cohésion nationale en raison de l'existence d'une multitude de dialectes, mais parce qu'ils étaient avides de savoirs, parce qu'ils étaient conscients du retard pris par l'Orient et parce qu'ils étaient convaincus que l'avenir du Vietnam dépendait d'une profonde mutation dans la façon de penser et d'agir. La langue française était l'instrument indispensable pour l'acquisition des savoirs nécessaires qui permettraient au Vietnam de combler son retard, d'accéder à la modernité, et finalement, de conquérir une nouvelle fois son indépendance, ce qui était en fin de compte le but ultime de tout Vietnamien soucieux de l'avenir de son pays.

Comme il a été dit précédemment, les Vietnamiens avaient leur propre langue, le vietnamien, qu'ils avaient su préserver jalousement même à l'issue de mille ans de domination chinoise. Ce n'était au départ qu'une langue parlée et il n'existait aucune écriture pour la transcrire. Ce n'est que vers le XIVe siècle qu'on commençait à utiliser les caractères chinois pour inventer un système assez compliqué pour transcrire la langue vietnamienne. Ce n'était pas très commode, mais on pouvait enfin disposer d'une écriture pour transcrire la langue nationale, et une littérature écrite pouvait ainsi voir le jour. À partir du XVIe siècle, avec le développement des communications maritimes, des missionnaires occidentaux, français, portugais, espagnols, commençaient à arriver au Vietnam prêcher la chrétienté. Ils avaient besoin d'une écriture pratique pour diffuser la foi chrétienne par des textes écrits dans la langue du pays. Ils avaient ainsi imaginé un système ingénieux, utilisant les caractères de l'alphabet latin pour transcrire la langue vietnamienne. Cette écriture romanisée s'avérait si pratique qu'elle supplantait progressivement l'ancien système d'écriture. Au XIXe siècle, elle devenait l'écriture officielle. Ce fait mérite d'être mentionné car il s'agit d'un apport considérable de la présence occidentale au Vietnam qui peut se vanter d'avoir une écriture moderne et pratique utilisant des caractères de l'alphabet latin. Cette configuration peut être qualifiée d'unique dans toute l'Asie du Sud-Est.

J'ai également signalé que le français constituait pour toute une partie de l'intelligentsia vietnamienne du début du XXe siècle un instrument indispensable du savoir, la clé de la modernité et du progrès. En outre, à travers la langue française, sont diffusées des idées nouvelles et révolutionnaires sur la démocratie, la liberté individuelle, la répartition des pouvoirs... Le français est la langue de Voltaire, de Montesquieu, de Jean-Jacques Rousseau; c'est l'instrument qui a permis aux Vietnamiens d'accéder aux idées révolutionnaires du siècle des lumières car ces nouveaux concepts sur la démocratie, sur les droits des citoyens, étaient totalement étrangers à l'Orient traditionnel et la langue française, langue du pays colonisateur est devenue, paradoxalement, symbole de liberté.

C'est ainsi que de nombreux révolutionnaires vietnamiens qui se sont engagés dans la lutte pour libérer leur pays du colonialisme français, nourrissaient au fond d'eux-mêmes un amour secret pour le français, parce que Voltaire et Rousseau avaient peuplé leurs rêves de jeunesse.

Les Vietnamiens, en s'appropriant le français, découvrent également une langue complexe certes, mais subtile et belle. On peut apprendre une langue par nécessité professionnelle, par curiosité, mais à mon avis, on n'aime vraiment une langue que lorsqu'on commence à apprécier sa poésie. Pour beaucoup de Vietnamiens, le français n'est pas seulement la langue de Voltaire, c'est aussi celle de Racine. Nous sentons que nous aimons cette langue lorsque nous éprouvons un plaisir indéfinissable à entendre tels vers de Racine: Ariane, ma sœur, par quel amour blessée,Vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée! Ou lorsque nous entendons Baudelaire déclarer à une inconnue qu'il voyait passer en un instant fugitif:O toi que j'eusse aimée, o toi qui le savais! La poésie est par essence intraduisible. On aurait beaucoup de mal à exprimer ces sentiments, même d'une façon maladroite, dans n'importe quelle autre langue. La magie des mots, et l'émotion qui en découle, disparaîtraient. Les Vietnamiens découvrent avec la francophonie, une littérature subtile, riche et raffinée. Le roman moderne vietnamien doit beaucoup au roman français du XIXe siècle et du début du XXe siècle, de Flaubert à Zola. Le romantisme français a inspiré toute une génération de poètes vietnamiens des années 1930, la période la plus féconde de la poésie vietnamienne contemporaine. Tout Vietnamien francophone de la vieille génération connaît par cœur plusieurs strophes de Lamartine ou de Hugo. C'est pour toutes ces raisons que la francophonie au Vietnam, malgré les vicissitudes de l'histoire, demeure vivace. Lors de la dernière guerre du Vietnam, avec l'engagement des États-Unis dans la guerre, la nouvelle génération de Vietnamiens s'est tournée vers l'anglais, au détriment du français. Cela est encore vrai aujourd'hui et cette situation s'explique aisément par la prédominance de l'anglais dans le commerce international, dans l'informatique, surtout au milieu de cet environnement du Sud-Est asiatique, région pour ainsi dire exclusivement anglophone. Pourtant, tout espoir n'est pas perdu au Vietnam, au contraire. Le Vietnam reste un pays catalogué comme francophone. D'ailleurs, La France poursuit une politique qui vise à encourager la francophonie dans ce pays afin de consolider la présence française dans cette partie du monde. Le sommet de la francophonie a été organisé à Hanoï en novembre 1997. Le français recommence à attirer au Vietnam une certaine partie de la jeunesse qui apprend le français dans l'espoir de poursuivre une partie de leurs études en France, ou de trouver un travail dans des entreprises françaises. En dehors de ces raisons pratiques, l'attrait de la langue française aux yeux de jeunes Vietnamiens a peut-être d'autres raisons profondes. La vieille génération de Vietnamiens qui a vécu sous l'administration française et qui n'avait connu que le français comme langue étrangère a presque disparu de nos jours, mais la langue française avait, avec les Vietnamiens, des relations affectives très fortes. Elle avait été pour eux à la fois l'instrument du progrès, le symbole de la liberté et le véhicule d'une littérature riche et belle. Elle était à leurs yeux, et elle l'est toujours, le moyen d'expression d'une grande culture, la plus prestigieuse peut-être de tout l'Occident. Ces relations affectives sont si fortes qu'elles sont probablement restées quelque part présentes dans le subconscient de tout Vietnamien, ce qui explique son attirance persistante, toujours renouvelée pour la langue française. Dao VINH source : http://www.ulaval.ca/afi/colloques/colloque2001/actes/textes/vinh.htm 

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