Lê Ba Dang

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Itinéraire Les Indigènes oubliésA propos de Le Ba Dang

 

Je suis un homme qui vit du rêve de son paradis perdu.

Toute mon œuvre d'artiste n'est que le reflet de cet amour à mille facettes. C’est dans mon pays d'enfance que j'ai appris à découvrir et à aimer l'éternelle jeunesse du monde.

Ce que je traduis dans mon langage de plasticien, c'est le cycle éternel de la lumière et de la vie, dans les choses, autour des choses, au-dessus des choses, au-delà des choses, au-delà du graphisme.Le Ba Dang

 

 Itinéraire

Peintre reconnu internationalement, le vietnamien Lê Ba Dang a ouvert un musée à Hué qui aide aussi d’autres artistes à se faire une place. Retour sur l’oeuvre riche et passionnante de cet artiste encore méconnu dans l’hexagone.

Lê Ba Dang est natif de Hué au centre Vietnam. Mais c’est en France qu’il a fait une partie de ses études dans les années 30 et 40. Il étudie à l’école des Beaux-arts de Toulouse et obtient une première consécration en 1950 par une première exposition à son nom en France. Ce n’est que le début d’un succès qui va l’emmener aux Etats-Unis dans les années 60, à Cincinatti, puis à travers le monde du Japon à la Suède en passant par l’Allemagne.

Avec l’ouverture du Vietnam dans les années 90, il trouve enfin l’occasion de montrer son oeuvre dans sa ville natale et y ouvre un musée également école pour aider les artistes locaux et faire bénéficier de son expérience.

 Dans cette ancienne bâtisse coloniale blanche sur le bord de la rivière des parfums, on peut trouver un florilège de ses oeuvres. D e ses premiers dessins d’étudiant, de ses oeuvres consacrées à la piste Ho Chi Minh à sa recherche sur la lumière et les couleurs, il y a déja à tant à découvrir dans le peu de salles que recèle le musée. Lê Ba Dang a travaillé autant sur des formes simples au trait puissant que sur des visages, des visions de son pays ou des femmes magnifiées par des couleurs aussi subtiles que captivantes.

Ainsi il travaillera aussi sur des collages donnant du relief à sa peinture. Mais il ne faut pas ignorer non plus ses sculptures avec des variations sur les silhouettes.

                       

On découvrira aussi des fresques plus monumentales dont la texture et la lumière ne sont pas sans rappeler les travaux de Turner sur la fin de sa carrière.

On se posera sur un siège afin de contempler les variations de bleus de ses derniers travaux. . Mais pour qui n’a pas la chance d’aller à Hué, il est possible de voir ses oeuvres dans de nombreux musées et collections du monde

Voici quelques liens pour le découvrir : http://lebadang.free.fr/ http://hoamaiparis.com/Lebadang_exh_fr.htm publié sur iceblog.free.fr   Iceman, membre de Cap-vietnam

 

Les Indigènes oubliés

                             

Extrait Libération  25/05/ 2009

Au début de la Seconde Guerre mondiale, l’État français recrute de force des travailleurs indochinois pour remplacer les Français mobilisés. Récit d’un des derniers survivants. Par Nathalie Dubois

Deux, quatre, huit, quinze… Par brassées, Lê Bá Dang sort du fond de son atelier parisien ses toutes dernières toiles, grands espaces mouchetés de mille nuances de bleu. Le visage lunaire du peintre de 89 ans est parcheminé de rides souriantes. Le rire, secret de cette increvable vitalité ? Rire et ne jamais douter que « dans n’importe quelle situation, on peut se débrouiller », dit-il pour résumer les péripéties de sa vie. Les plus sombres années de sa jeunesse, à son arrivée en France en 1940, Lê Bá Dang les a longtemps occultées, « tellement c’était horrible ». Avec 19 750 autres Vietnamiens, l’artiste a fait partie des linh tho (« travailleurs soldats »), ouvriers « indigènes » réquisitionnés par l’État français au début de la Seconde Guerre mondiale. A peine une cinquantaine de ces hommes sont encore en vie, dont un livre retrace aujourd’hui l’histoire méconnue. Recrutés pour la plupart de force, ces jeunes Indochinois devaient remplacer dans les usines de la « mère patrie » les Français mobilisés. Ils sont en principe destinés à travailler comme civils dans des entreprises relevant de la Défense nationale, et seulement pour « la durée des hostilités ». En fait, bien des linh tho ne pourront rentrer au pays avant le début des années 1950, durablement marqués par le calvaire d’un exil imposé par la puissance coloniale.

Lê Bá Dang fut un des très rares jeunes à se porter volontaire auprès de la main-d’œuvre indigène, nord-africaine et coloniale (MOI) : À 18 ans, je rêvais d’aventure et ne pensais qu’à m’évader de mon village perdu au fond de l’Annam, raconte-t-il aujourd’hui. Mais 96 % de ses camarades, pour la plupart des paysans illettrés arrachés à leurs champs et à leurs rizières, furent, eux, recrutés de force, souligne Pierre Daum, ancien journaliste à Libération, dans son livre d’enquête. Des paysans contraints à devenir ouvriers.

En septembre 1939, Georges Mandel, le ministre des Colonies, ambitionne de faire venir 500 000 travailleurs de l’empire d’outre-mer, pour l’effort de guerre contre l’Allemagne. En fait, à peine 10 % de ces effectifs seront réunis, dont les Indochinois vont constituer le plus gros contingent, loin devant les Marocains ou les Algériens.

L’expérience de 1914-1918 a montré que les tirailleurs africains et maghrébins font de la bonne chair à canon, tandis que les Indochinois - 50 000 amenés en métropole à l’époque - s’avèrent une main-d’œuvre habile et docile. Lê Bá Dang se souvient encore du passage du recruteur français, en 1939, dans son village de Bich-la-Dong, au centre de l’Annam. Ordre a été donné à toutes les familles ayant au moins deux fils d’en offrir un à la mère patrie. Lê Bá Dang signe. Il n’a que 18 ans et s’est inscrit en cachette de ses parents : Ma mère a suivi le camion en pleurant. Mon père n’a pas réussi à faire annuler mon engagement.

Lorsque je suis parti, il pleurait lui aussi, mais en retrait, caché derrière un arbre. Le futur peintre ne les reverra jamais. Lui rêve de la France, d’autres veulent surtout fuir le joug humiliant du système colonial, mais la grande masse part à contrecœur pour un pays et un conflit dont ils ignorent à peu près tout. Hormis une prime de départ de 10 piastres (100 francs de l’époque), ces jeunes hommes ne savent ni quand ils rentreront ni de combien sera le pécule qu’on leur fait miroiter.

La traversée augure mal du sort qui les attend : trente à quarante jours à fond de cale, le mal de mer, la promiscuité des châlits de deux ou trois étages, la nourriture infecte, la pluie de coups et de brimades. Cité dans le livre de Pierre Daum, le témoignage d’un commandant français corrobore que les « Nha qué », ainsi que les colons désignent avec mépris les autochtones, sont traités sur ces bateaux « comme autrefois les esclaves sur les négriers ». L’arrivée en mars 1940 au pays de la liberté et de l’égalité n’a laissé que des souvenirs glacés à Lê Bá Dang : « Un froid horrible, pas de feuilles aux arbres, pas d’oiseaux. Je me suis dit : "C’est impossible de vivre dans un tel pays !" ».

Tous les travailleurs vietnamiens sont parqués à leur arrivée à Marseille dans un bâtiment à peine achevé : la nouvelle prison des Baumettes. Bien que civile, la « main-d’œuvre indigène » est menée à la trique par d’anciens militaires de la coloniale. Répartis en compagnies d’environ 250 hommes, ils vont être dispersés dans les principales poudreries du pays, où, à côté d’ouvrières françaises, ils ont la tâche pénible et dangereuse de remplir les obus et autres munitions. De paysans, ils deviennent des « ouvriers non spécialisés » (ONS, leur dénomination officielle) astreints aux 3 x 8 et à la manipulation de produits toxiques.

Nous travaillons sans gants. Le travail consiste à fabriquer les amorces des cartouches des canons de 75 à partir de cartes de poudre jaune. Cette poudre jaune nous entre dans les cheveux, les yeux, les dents, les narines, les lèvres… De retour au camp, on n’arrive pas à manger, tout est amer. […] Le danger, c’est l’incendie. Toute la tête peut brûler d’un coup, se souvient Le Van Phu, l’un des vingt-cinq anciens ONS qu’a retrouvés Pierre Daum.

Sous-alimentés, mal chaussés, pas assez vêtus Leur travail n’est presque pas rémunéré : 1 à 2 francs par jour pour les ouvriers de base, « soit même pas le dixième du salaire d’un ouvrier de cette époque », démontre Pierre Daum, documents comptables à l’appui. Les seuls à s’en sortir un petit peu mieux - avec 5 à 10 francs par jour -, ce sont les rares ONS promus surveillants ou interprètes parce qu’ils parlent français et ont le certificat d’études.

Mais très vite, dès juin 1940, c’est la débâcle de l’armée française. Avec la signature de l’armistice, la France aurait dû organiser le retour des linh tho. En fait, les trois quarts d’entre eux vont devoir attendre huit à douze ans ce rapatriement. D’abord, à partir de l’hiver 1941, la Grande-Bretagne exerce un blocus maritime entre la France occupée et l’Extrême-Orient. Moins de 5 000 ONS peuvent rentrer à la fin de la « drôle de guerre ». Tous les autres restent coincés en métropole, contraints de besogner désormais pour la France de Vichy, et certains même pour l’occupant allemand. Cahin-caha, les compagnies d’ONS se sont repliées en zone libre, où on les maintient dans des camps misérables. A quoi employer ces milliers d’Indochinois maintenant que les usines françaises d’armement sont à l’arrêt ? Après des semaines de désœuvrement, ils sont affectés à des travaux forestiers et agricoles, car les campagnes manquent de bras. Sous-alimentés, mal chaussés, pas assez vêtus, les linh tho s’épuisent à abattre des arbres au fond des Cévennes, assécher des marais en Dordogne ou trimer dans les salines du delta du Rhône.

En Camargue, les ONS ont ainsi laissé deux souvenirs. Leur révolte, à Salin-de-Giraud, contre la société Pechiney qui leur refuse les bottes en caoutchouc et les paie vingt fois moins que les ouvriers français. Et, surtout, legs toujours vivant : la riziculture. En pleine époque de pénurie alimentaire, Vichy a en effet l’idée d’utiliser le savoir-faire des paysans annamites pour faire pousser du riz en Camargue. C’est donc à ces ONS que l’on doit l’essor de cette culture dans le Sud-Est français. Le peintre Lê Bá Dang a participé aux premiers essais près d’Arles : il se revoit, lui et vingt camarades, dévorés par les moustiques, reclus dans une cabane en bois, au milieu de la boue, sans toilettes…

De retour au camp marseillais de la MOI, il insulte un sous-officier qui l’expédie vers un camp disciplinaire à Lannemezan, dans les Hautes-Pyrénées. Son évasion en 1942 - « j’ai réussi à me cacher dans la charrette qui amenait les vivres une fois par semaine » - marque le début d’une incroyable spirale de chance : « Je ne connais aucun ONS qui s’en soit aussi bien sorti », avoue l’artiste au soir d’une très prospère carrière internationale. Dans le chaos de l’Occupation, il atterrit à Toulouse : Personne ne me demandant mes papiers, j’ai trouvé un boulot de balayeur en usine. Je voulais faire des études mais parlais trop mal le français. Un jour, j’ai suivi un ami vietnamien aux cours du soir de l’école des beaux-arts. Je ne savais même pas ce que c’était qu’un dessin, rit Lê Bá Dang.

Son diplôme décroché en 1948, il remporte le premier prix d’un concours d’affiches agricoles : « 70 francs, une fortune grâce à laquelle j’ai pu monter à Paris. » Après des années à tirer le diable par la queue au quartier Latin, à peindre à la chaîne des esquisses pour touristes devant Le Chat qui pêche, Lê Bá Dang a fini par percer sur le marché de l’art américain et japonais. Aujourd’hui, l’ex-ONS n’est pas peu fier d’avoir même un musée consacré à son œuvre à Hué, au Vietnam.

 

A propos de Le Ba Dang

 

Le Ba Dang ou le créateur fou de création

L'âge n'a point de prise sur ce tout jeune homme de quatre fois vingt ans! Sans cesse en mouvement, son regard se plisse de joie, ses sourcils se haussent... encore une idée, une trouvaille à laquelle ses mains habiles vont donner vie.

Le Ba Dang , un extraterrestre? Non, un homme tout pétri d'humanité, d'une humanité profonde, douloureuse même, accessible seulement à ceux qui, ayant tant souffert, ont pu surmonter haine et colère pour demeurer ouverts aux autres, pleins d'une compassion agissante. Les mondes qu'il invente, les rêves auxquels in insuffle la vie, ce sont ses refuges, ses opiums pour s'évader de notre réalité tellement mesquine, égoïste, désespérée et désespérante: alors Le Ba Dang  s'envole, comme Peter Pan, vers une cité céleste, vers des jardins suspendus de l'imaginaire: l’Extrême-Orient dont il est issu lui ouvre des portes, et il nous invite à parcourir avec lui ce monde fermé à nos cœurs d'occidentaux.

2003, J. Ph. Picard

Lumière cassée

Si donc il est vrai -ce que je crois- que chez un créateur le principe de toute œuvre se décide dans la petite enfance, le principe de Le Ba Dang saute aux yeux: rien d'autre qu'une extrême soumission à la volonté, aux quatre volontés d'une lumière à la fois engluée et exaltée par la nue vietnamienne. Gigotant, ronflant, bourdonnant dans son piège. Chez nous, dit Le Ba Dang , dans tout ce que l'œil voit, un point vif, un point sombre.

Ce qui donc fait Le Ba Dang si fort qu'on le voit, peintre souverainement détaché de l'anecdote, dont il arrive à ne plus user que comme ponctuation, c'est d'avoir très tôt percé le mystère de ce cristal-là, en vérité très simple, simplissime: point vit et point sombre, maille à l'endroit, maille à l'envers, opposition du vif et du sombre non pas par places, par fragments du ciel, par régions de l'espace, mais sur toute chose que le regard découvre.

Que de fois, n'ai-je pas eu l'image d'un Le Ba Dang à l'affût de la lumière qui allait sourdre de ce substrat, lui ouvrant les voies, cherchant, encore à l'aveugle, les deux ou trois places où le pouls de cette lumière battrait tout à l'heure, idéalement -mathématiquement. Ecoutant la lumière. Ecoutant l'approche de sa nue, guettant le premier murmure du vif et du sombre, du tic et du tac de son mouvement perpétuel.  Georges Conchon   Prix Goncourt

  

Le Ba Dang  est un sage, qui sait que ce qui n'est pas fait avec le temps, n'est retenu par le temps. Alors, il fabrique, il recompose des paysages, des continents à l'image des modèles qu'il assemble. Comme il le dit lui-même, comme il le ressent, c'est le cycle éternel de la lumière et de la vie.

C'est une œuvre où chaque parcelle de cellulose respire profondément la vie et la lumière. L'acte créateur s'affirme dans toute sa plénitude. A bien y regarder, l'œuvre de Le Ba Dang  paraît lunaire, silencieusement lunaire.

Des espaces que l'on observe de haut, où le dénivelé et les aspérités du terrain nous rappellent les terra incognita des premiers explorateurs.Comme si celà était le royaume des esprits, le refuge de la mémoire des morts.

Au premier regard, une œuvre où l'œil balaie des contrées glaciales et désertiques, où seule une nappe bleue vient nous faire soupçonner la présence d'un lac ou d'un glacier.

Entre la sérénité et le silence qui précèdent les tempêtes Le Ba Dang  devient l'architecte de la nature.

François Nedellec  Conservateur Musée de la Castre, Cannes

  

Le marchand d'estampes constatera que l'ouvrage n'est pas un recueil de lithographies, et le libraire traditionnel que ce n'est pas un livre. Déformation professionnelle. Et c'est de cela qu'il s'agit. Le Ba Dang n'a nullement l'intention d'écrire un texte rehaussé d'illustrations, ni de grouper un certain nombre de lithographies pour en faire un album.

Comme seul texte cette pensée de Lao Tzeu: La nature prie sans parole. Le long, autour, au-delà, dans cette pensée les couleurs, les formes, le dialogue de ce qui est regardé avec celui qui regarde. Le mouvement. La lumière. L'intelligence de la nature.

Rejet de la solitude. Chaque lithographie est immédiatement précédée d'une page de callichromie. Les deux pages se lient, se regardent, se comprennent ensemble. Les couleurs, les formes en mouvement se cherchent et déjà sont harmonieuses. Préparée, suggérée par la callichromie, la lithographie renvoie à elle, chacune expliquant l'autre, chacune enrichissant l'autre. Ainsi le lecteur découvre son texte, le spectateur participe à la création picturale.

Lorsque les idéogrammes chinois étaient gravés sur la pierre, les formes en étaient un peu différentes et leur nombre limité. Le pinceau et la soie ouvrirent aux scribes et aux artistes toutes les possibilités calligraphiques. Pourquoi ne pas soumettre la matière à la forme? C'est ce que Le Ba Dang a fait en créant le premier ouvrage.

Que le lecteur, son sens esthétique aidant, jouisse donc de cette œuvre comme le Chinois devant une page calligraphiée ou l'Egyptien devant ses hiéroglyphes. C'est le lecteur qui, par les couleurs, les formes, les harmonies qu'il élira, apportera un texte sans cesse renouvelé et toujours libre: "Plus élire que lire" écrivait Paul Valéry. Ensemble dialectique d'idéogrammes picturaux? Pourquoi pas.

Madeleine Petit

 

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