Le réveil des tambours de bronze

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Le réveil des tambours de bronze

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Le réveil des tambours de bronzeLa grande épopée de nouveaux tambours de bronze de Dông Son

 

Le réveil des tambours de bronze

Au temps où la France était présente en Indochine, les tambours de bronze mobilisèrent la fine fleur de l’archéologie, tant française qu’étrangère. Puis les Français quittèrent l’Indochine et le tambour de bronze tomba dans l’oubli. Aujourd’hui, les archéologues chinois et vietnamiens ont repris le flambeau et se disputent la paternité de son invention.


Avant qu’ils n’intéressent les archéologues, ces instruments de musique, de toutes tailles et fabriqués selon la technique de la cire perdue, n’étaient pas inconnus. La plus ancienne mention qui en est faite est celle d’un tambour, d’origine ignorée, envoyé en 1684 au grand duc de Toscane par le Hollandais GE Rumphius ; en 1715, le voyageur allemand Barchewitz en signale un dans l’île de Luang, près de Timor. Puis, suite à l’intérêt suscité, des modèles sont mentionnés un peu partout en Asie du Sud-est.
Franz Heger, un archéologue autrichien, pressent le rôle important que ces tambours doivent jouer dans l’archéologie du Viêt-nam. A partir de 165 tambours provenant d’achats, de cadeaux ou de découvertes fortuites dans des bonzeries ou des minorités ethniques, il établit une classification, en quatre types, qui feront l’objet de deux volumes (Alte metaltrommeln aus Südostasien) publiés à Leipzig en 1902.
Dans le type I, il regroupe les tambours qu’il pressent comme les plus anciens, notamment le tambour Moulié (du nom de son propriétaire), aujourd’hui à Paris, au musée Guimet. Ces tambours représentent le type fondamental, appelé plus tard dongsonien. La caisse de résonance est en trois parties : une base tronconique, un cylindre droit ou légèrement incliné, une partie bombée en forme de tore sur laquelle repose le plateau, destiné à recevoir les coups de mailloche. Enfin, la caisse porte quatre paires d’anses.
Sur le tore, on trouve des dessins géométriques et des barques (en général au nombre de six) avec une proue et une poupe symbolisées par une tête et une queue d’oiseau. Ces bateaux portent des personnages emplumés. Sur la partie intermédiaire cylindrique, ce sont des bandes horizontales et verticales, avec entre elles les mêmes personnages à plumes. En revanche, la base tronconique est souvent nue. Le plateau, quant à lui, présente au centre une étoile en relief entourée de zones concentriques, avec entre les branches et en nombre variable divers motifs (personnages, oiseaux, barques, maisons sur pilotis), tandis que des grenouilles ou d’autres animaux, en ronde-bosse, apparaissent à la périphérie.
 

Dans le type II, la caisse de résonance porte deux paires d’anses et ne comprend que deux éléments : une partie droite légèrement évasée vers le bas et une partie arrondie supportant le plateau légèrement débordant. Sur celui-ci sont gravés des dessins géométriques et des zones concentriques entourant une étoile à huit branches avec, à la périphérie, quatre et parfois six grenouilles. La caisse, quant à elle, est ornée de dessins géométriques identiques à ceux du plateau.
Le type III présente peu de différences avec le type II, sauf que les grenouilles sont superposées par deux ou par quatre. Le quatrième type enfin, dit type chinois, à cause de son ornementation et de ses inscriptions, ne comporte jamais de grenouilles et l’étoile centrale est à douze branches. A ces quatre types s’en ajoute un autre que Heger n’a pas décrit car il ne le connaissait pas. Ce sont des tambours originaires de Chine, essentiellement du Yunnan, dont le plateau porte des personnages en ronde-bosse mimant des scènes de guerre, de chasse, de fête ou de cérémonie.
En 1924, l’Ecole Française d’Extrême-Orient de Hanoi, entreprend à Dongson – village de la province du Thanh Hoa au Nord-Viêt-Nam, sur la rive droite de la Song Ma – une série de fouilles qui livrent une nécropole de 200 sépultures contenant de nombreux tambours de bronze, présentant une étroite parenté avec le tambour Moulié et contemporain de celui-ci. Ces tambours furent appelés dongsoniens. A l’époque, les archéologues les datèrent entre – 200 et +200. « Aujourd’hui, ils pensent plutôt qu’ils sont du Vème-IIIème siècle avant J.C., mais certains spécialistes vietnamiens estiment, probablement à juste titre, qu’ils peuvent remonter au VIIème -VIème siècle avant notre ère », corrige Jean-François Hubert, consultant chez Sotheby’s, spécialiste de l’art du Viêt-Nam, qui enseigne et mène des recherches dans ce pays. Par la suite, d’autres tambours dongsoniens furent découverts en fouille dans d’autres sites du Viêt- Nam, principalement dans la province du Thanh Hoa et dans la vallée du fleuve Rouge, mais jamais dans aucun autre pays. Cependant, au Xème siècle après J.C., des copies de tambours dongsoniens seront fabriquées par les Muong, qui les utilisent encore aujourd’hui à l’occasion de fêtes ou de cérémonies. « Ces tambours sont magnifiques, de grande qualité, mais les spécialistes font bien la différence pour les dater », précise JF Hubert.
Au Cambodge, au Laos, en Birmanie, en Malaisie, mais surtout en Thaïlande et en Indonésie, on trouve également de tels tambours dongsoniens, mais ce sont des dons offerts jadis par le Viêt-nam en témoignage de liens culturels ou de relations commerciales. Les plus beaux se trouvent aux musées de Bangkok et de Djakarta, le plus grand au monde, « La lune de Pejeng », qui doit son nom à la légende qui lui est attachée, étant à Bali.
Les tambours de type II, quant à eux, naquirent dans la Chine méridionale et au nord du Viêt- Nam, probablement à partir des XIIème et XIIIème siècles. Ceux de type III, apparus après, virent probablement le jour en Birmanie, où ils sont toujours utilisés par les tribus Shan et Karen. Enfin, ceux de type IV furent fabriqués aux XVIIIème-XXème siècle par de nombreuses ethnies d’Indochine. « Ils sont de facture grossière et beaucoup moins beaux au point de vue décor que les tambours des premiers siècles avant J.C. et n’ont pas grande valeur sur le marché. Néanmoins, ils sont authentiques, contrairement à certains spécimens fabriqués de nos jours, soit à Hanoi et dans le Thanh Hoa, soit en Chine, et frauduleusement introduits au Viêt-Nam», souligne l’expert.
 

Les inventeurs Lac Viet

Les tambours de bronze se confondent avec l’histoire du Viêt-Nam. D’après les Annales vietnamiennes, le premier royaume fut celui du Van Lang des rois Hung, établi pendant le premier millénaire avant notre ère dans la vallée du fleuve Rouge, dont on commémore chaque année le souvenir à Viet Tri, dans des temples à flanc de montagne.

Ces rois Hung étaient les chefs de tribus Lac Viet, constituées de Viet et de Muong formant bloc car ethnologiquement très proches, et ce sont ces Lac Viet qui inventèrent la culture dongsonienne. Bien que cette culture doive son nom à un site de la province du Thanh Hoa, il est vraisemblable que son centre devait être dans la grande périphérie de Hanoi. Puis, en 257 avant J.C., le Van Lang est remplacé par celui d’Au Lac, avec pour capitale Co Loa (17 km au nord-est de Hanoi), dont subsiste la puissante forteresse, tandis que les Lac Viet se séparaient en deux peuples, Viet et Muong. C’est alors qu’en 200 avant J.C., les armées de l’empereur de Chine, Qin Shi Huangdi, pénètrent au Viêt-Nam qui sera englobé dans l’empire Chinois en 111 avant J.C. et le restera pendant mille ans.

Une paternité disputée
Dans les annales du Céleste Empire, on ne trouve nulle part mention de l’invention des tambours de bronze. Ce qui n’empêche pas les Chinois de refuser d’admettre qu’ils aient pu être inventés par un pays qu’ils ont tenu sous leur domination. En 1975, Ils prétendirent avoir mis au jour à Wanjiaba, dans la province du Yunnan, un tambour « dongsonien », antérieur au plus ancien tambour vietnamien. Ce tambour aurait été fabriqué par les Pu, une ethnie autrefois installée dans cette province. Cette découverte n’a cependant jamais été entérinée par la communauté scientifique.

D’ailleurs, Charles Higham, professeur d’anthropologie à l’université d’Otago (Nouvelle-Zélande), spécialiste de réputation internationale, cite ces tambours dans son livre The bronze age of Southeast Asia, mais il ne précise pas qu’ils sont de facture dongsonienne. Et puis, lorsque, en l’an 43 de notre ère, le général chinois Ma-Yuan fut chargé de mater une révolte survenue sur les marches du sud de la Chine, il découvrit que les seigneurs locaux qu’il combattait détenaient leur pouvoir des tambours dongsoniens, aussi les fait-il fondre à mesure qu’il s’en emparait. Chinois et Vietnamiens sont très chatouilleux sur le sujet. Au Viêt- Nam, le tambour dongsonien est le symbole du pays. Il s’affiche sur la tunique des hôtesses de Vietnam Airlines et il est défendu mordicus comme un drapeau. Ce qui n’empêche pas les Chinois de continuer à revendiquer la paternité de son invention à coups de colloques et de tables rondes. Les tambours de bronze ne furent pas qu’un symbole de pouvoir. Pour Catherine Noppe, conservateur des arts d’Extrême- Orient au musée royal de Mariemont (Belgique), ils étaient utilisés pour les cérémonies d’invocation à la pluie, dont l’importance était primordiale pour les communautés pratiquant la riziculture. Ils étaient également mobilisés lors des naissances et des mariages. Leur ornementation a fait l’objet de nombreuses spéculations. Divers auteurs l’ont associée à un culte solaire, à des rites chamaniques, à des rituels aquatiques ou encore à des rites funéraires et agraires. Yves Goudineau, qui a repris le sujet, a établi (bulletin de l’EFEO, n° 87, année 2000) que, dans le sacrifice du buffle chez les Kantou (une ethnie de la chaîne annamitique), le tambour de bronze est perçu par les villageois comme le legs d’une transcendance. Mais que signifient les personnages et animaux en ronde-bosse, les barques à tête d’oiseau, les personnages emplumés, l’omniprésence de l’étoile et les signes du zodiaque présents sur certains modèles ?
Autant de questions auxquelles il faudra répondre. Quant à savoir comment les tambours dongsoniens se sont distribués, JF Hubert a une explication : « D’après mon expérience sur le terrain, la répartition géographico-historique de ces tambours est probablement la suivante : pour les plus beaux et les plus anciens, c’est la région de Ha Tay, à 80 km au sud de Hanoi ; puis une séquence rayonnant à partir de la grande périphérie de Hanoi, avec un axe privilégié Hanoi-Viet Tri et, ensuite, une délocalisation vers le Thanh Hoa. Pour les autres types de tambours, il n’y a rien à préciser. »

PIERRE ROSSION

gavroche-thailande.com/

 

La grande épopée de nouveaux tambours de bronze de Dông Son

Dans la province de Thanh Hoa (Nord), où a été découvert il y a 84 ans le tambour de bronze de Dông Son, typique de l'âge du bronze (1er millénaire av. J.-C.), des fondeurs font fortune grâce à la fabrication de reproductions de cet ancien instrument de musique des Viêt. Un travail semblait auparavant impossible, témoins de nombreux échecs.

Le tambour de bronze de Dông Son, spécimen de l'âge du bronze au Vietnam (1er millénaire av. J.-C.), a été découvert en 1924 dans la province de Thanh Hoa (Nord). Le tambour est finement ciselé, le tympan, stylisé et d'inspiration primitive, est gravé de cercles concentriques entre lesquels sont alignés des motifs géométriques. Avant 1975, on a tenté maintes fois, en vain, de reproduire ce fameux tambour.

En 1975, le Musée national d'histoire, en coopération avec des artisans du village des fondeurs de bronze de Ngu Xa (Hanoi), a réussi à reproduire pour la première fois une copie du tambour Ngoc Lu. Cependant, cette reproduction n'est pas satisfaisante : le tambour pèse 50 kg de plus que l'original, sa paroi est épaisse et les motifs sont flous. En effet, la technique de fabrication des fondeurs d'autrefois, qui ont fait le tambour de Dông Son, reste un mystère. De nombreux tambours ont été découverts mais les archéologues n'ont trouvé que des fragments des moules.

Au village traditionnel des fondeurs de bronze

Dans la course à la découverte du mystère de la technique du tambour de bronze de Dông Son, les fondeurs du village de Chè Dông (commune de Thiêu Trung, district de Thiêu Hoa, province de Thanh Hoa) sont arrivés les premiers. À l'aube du nouveau millénaire, la nouvelle du succès de la fonte des premières reproductions du tambour de bronze a été annoncée. Fin 2006, la première compétition nationale de fonte des reproductions selon le procédé traditionnel a eu lieu à Thanh Hoa, avec la participation de 5 groupes de fondeurs.

Cette réussite des fondeurs de Thanh Hoa ne tombe pas du ciel. Le village de Chè Dông connaît l'art séculaire de la fonte de bronze. On peut y admirer le temple dédié au fondateur du métier, Không Minh Không. En fait, ce nom n'existe pas dans les documents historiques. Les légendes populaires ont peut-être mélangé 2 personnages : le bonze Duong Không Lô (?-1119) et le bonze Nguyên Minh Không (1065-1141). Ils sont tous les 2 considérés comme les fondateurs du métier de la fonte de bronze.

À l'apogée de son développement, avant les années 1990, Chè Dông a compté 90% des familles pratiquant le métier et une centaine de fonderies. Partout dans le village, on entendait les coups de marteau et on pouvait assister à la fonte de bronze. De nombreux foyers, à Thanh Hoa mais aussi dans maintes localités du pays, possédaient leurs ustensiles en bronze "made in Chè Dông".

Il y a une vingtaine d'années, l'invasion des produits en aluminium et en plastique sur le marché a mis fin à la prospérité des fonderies de Chè Dông. En 2000, le nombre de fonderies se comptait sur les doigts d'une main et le métier ne nourrissait plus ses artisans. Alors que les produits traditionnels du village perdaient leur marché au profit d'autres marchandises. Quelques fondeurs fidèles à leur métier cherchaient toujours à reproduire le tambour de bronze.

À la recherche de la technique oubliée

L'artisan Lê Van Du, 84 ans, qui a participé à la fonte de la statue du Président Hô Chi Minh, plus d'un an après sa mort, en 1970, faisait partie de ces fondeurs en quête de la technique traditionnelle de fonte. Avec ses 2 fils, Lê Van Duong, 46 ans, et Lê Van Bay, 40 ans, le vieil artisan a essuyé pas mal d'échecs avant d'obtenir des résultats satisfaisants. Enfin, lorsque les premières reproductions du tambour sortent du moule avec succès, Lê Van Du est décoré du titre de "Maître artisan".

Son fils cadet, Lê Van Bay, est considéré comme le plus jeune artisan du village. Fin 2006, il reçoit une commande importante passée par Hoàng Van Thông, patron du premier musée d'antiquités privé au Vietnam, baptisé Hoàng Long, situé dans la province de Thanh Hoa. Ce grand collectionneur veut fabriquer la plus grande version du tambour de bronze du Vietnam pour marquer le coup de l'inauguration de son musée.

Pour réaliser ce tambour gargantuesque, Lê Van Bay et ses assistants doivent consacrer environ 6 mois aux préparatifs avant de pouvoir passer à la phase finale, la fonte et le moulage, en 2 heures. Les travaux les plus pénibles sont la fabrication du moule et la création des motifs sur ce dernier. "Un travail purement artisanal, minutieux et soigné", déclare Lê Van Bay. Pour créer le moule, il faut de l'argile, de la cire et de la balle de paddy, comme l'exige la technique d'antan. Les métaux servant la fonte sont un alliage de cuivre, d'étain, de plomb, mélangés selon certaines proportions. En fait, les tambours de bronze du Vietnam sont les seuls en Asie du Sud-Est à contenir tant de plomb. C'est cette matière qui détermine la finesse des gravures.

Une tonne de métaux fondus a été consacrée à la fabrication du "tambour-record". Après versement de ces alliages dans le moule, l'ensemble pèse plus de 5 tonnes. Le plus grand tambour du Vietnam, d'une taille 3,3 fois supérieure à l'original, fait 1,51 m de diamètre et 1,21 m de haut. Il est fidèle au tambour Ngoc Lu, spécimen de la culture de Dông Son, réputé pour ses grandes dimensions, sa beauté observée sur le tympan et la caisse ornée de gravures (soleil, oiseau Lac, cerf, poisson, danseur, barque…).

L'auteur du tambour record a reçu depuis d'autres commandes. Le plus jeune artisan du village de Chè Dông avoue d'ailleurs : "En pratiquant le métier, nous apprenons la technique de fonte de nos ancêtres. Il est presque impossible de tout connaître de l'art de fonte de bronze de la culture Dông Son".

Hoàng Hà/CVN

 

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