La famille au Vietnam

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La famille au Vietnam

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Les appelationsListe de prénoms et traductionsLa famille vietnamienne traditionnelle dans son évolution historiqueEvolution de la famille au Vietnam ces dernières décennies

Les appelations

Contrairement aux occidentaux, les noms de famille vietnamiens sont en nombre très restreint. Les plus courants étant Nguyen et Tran. C'est pourquoi, chaque Vietnamien se doit d'avoir deux prénoms, le premier étant une sorte de patronyme précédant leur prénom principal qui les distingue des personnes ayant le même nom de famille mais aucun lien de parenté. Dès lors, toutes les personnes du même sexe et qui faisaient partie d'une même famille avaient le même "premier prénom".

Mais ceci n'est pas la seule raison. En effet, le premier prénom servait aussi autrefois à désigner la génération à laquelle on appartenait. Dans chaque famille, il existait un cycle de douze noms pour désigner les générations. Ainsi, toutes les personnes d'une même famille et d'une même génération avaient les même "premiers prénoms" même si leurs âges pouvaient beaucoup différer.
Exemple : Une personne s'appelle Lam Tieu Phan, "Lam" est le nom de famille et "Tieu Phan" est le prénom. Tieu représente la génération, ainsi tous les prénoms de ses soeurs commencent par "Tieu".

Mais de nos jours, le premier prénom n'a souvent qu'une fonction esthétique. "Van" est souvent choisi pour les garçons car il signifie littérature (qui était exclusivement réservé aux garçons). "Thi", par contre, a une connotation féminine, ce nom fait penser à la douceur, à la gentillesse.

Appellation au sein d'une même famille

L'une des particularités de la langue vietnamienne, et chinoise notamment, est le fait que les titres et noms utilisés au sein d'une famille permettent de savoir où vous vous situez par rapport à celle-ci. C'est-à-dire que l'on peut savoir si vous faites partie de la famille maternelle ou paternelle et le quantième vous êtes par rapport à vos frères et sœurs et ce, grâce à une seule désignation. Ainsi par exemple, la tante maternelle sera appelée "dì" et la tante paternelle "cô".


Tableau reprenant les différentes dénominations des membres d'une famille par rapport à soi-même.
 

 

Liste de prénoms et traductions
 

Voici quelques prénoms vietnamiens divisés en prénoms masculins et féminins avec leur traduction ou leur signification. Cette liste n'est pas exaustive mais vous y trouverez les prénoms les plus usuels. Si vous en choisissez un pour un enfant né en occident, faîtes attention à la prononciation: elle doit être facile et sans contresens! D'autres prénoms existent, par exemple dans les minorités ethniques ou en rapport avec des personnages illustres.

Notez que beaucoup de ces noms sont unisex.

 

Prénoms féminins

Ai Vân : Celle qui aime les nuages
An Binh : Celle qui aime la paix
Anh : rayon de soleil
Anh Dào : fleur de cerisier
Anh Nguyêt : clair de lune
Anh Thu : héroïne

Bach Duong : peuplier blanc
Bach Hac : grue blanche
Bach Kim : platine
Bach Liên : lotus blanc
Bach Tuyêt : blanche neige
Bach Vân : nuage blanc
Bang Tâm : cœur pur
Bang Thuy : eau pure
Bao Châu : perle précieuse
Bao Ngoc : perle précieuse
Bao Trâm : bijoux précieux
Bé : petite - jeune
Bich : couleur verte
Bich Thuy : eau d émeraude
Bich Trâm : épingle de jade

Câm Nhung : velours brodé
Câm Vân : nuage pourpre
Châu : perle
Châu Loan : perle et phénix
Cuc Hoa : chrysanthème

Dao : fleur de pêcher
Dào : fleur de pêcher
Dat : succès
Diêm : beauté
Diêm Hanh : beauté et vertu
Diêm Huong : beauté et parfum
Diêm Lê : belle, magnifique
Diêu Hàng : douce lune
Do : rouge
Doàn : union
Doan Trang : décente
Dung : beauté
Duong : peuplier
Duong Câm : piano
Duong Liêu : saule pleureur
Duyên : grâce

En : hirondelle

Gai : fille
Giang : rivière, lac

Hà Giang : rivière
Hà Thanh : rivière à l eau limpide
Hai Au : mouette
Hai Yên : salangane
Hàng : lune
Hanh : vertu
Hanh Dung : vertu et beauté
Hiên : douce et paisible
Hoa : fleur
Hoa Lê : beau et bien décoré
Hoa Mi : rossignol
Hoai : qui se souvient
Hoài Huong : nostalgie de son pays
Hoàng Mai : fleur d abricot jaune
Hoàng Yên : canari
Hông : rose
Hông Dào : couleur rouge
Hông Hac : flamand rose
Hông Loan : phénix rose
Hông Ngoc : rubis
Hông Nhan : visage rose, femme
Hông Quê : rosier cannelle
Hông Vân : nuage rose
Huê : lys
Huong : parfum
Huong Lan : parfum d orchidée
Huyên Trân : merveille

Khanh Ngoc : grande plaque en jade
Khanh Vân : nuage coloré
Khuê : jeune fille ou jeune femme
Kiêu : belle et gracieuse
Kiêu Diêm : belle et gracieuse
Kim Anh : platine
Kim Chi : branche d or
Kim Cuong : diamant
Kim Huê : lys d or
Kim Liên : lotus d or
Kim Thoa : épingle d or
Kim Xuyên : bracelet d or
Ky Duyên : heureuse coïncidence

Lam : bleu
Lan : orchidée
Lan Anh : orchidée blanche
Lan Chi : branche d orchidée
Lê : larmes
Lê Thu : larmes d automne
Liên : lotus
Liêu : saule
Linh : âme
Linh Huê : lys sacré
Loan : phénix
Luu : grenade
Luu Ly : myosotis

Mai : fleur d abricot
Mai Lan : fleur d abricot et orchidée
Mai Phuong : parfum de fleur d abricot
Minh Châu : perle lumineuse
Minh Hiên : intelligence et doucheur
Minh Nguyêt : lune qui éclaire
Minh Tâm : coeur pur
Minh Thu : jeune fille intelligente
Minh Tuyêt : neige étincelante
Mông : rêve
Mông Ngoc : perle de rêve
My : belle
My Châu : amérique
My Duyên : beauté et grâce
My Hanh : belle vertue
My Hiên : beauté et douceur
My Kim : dollar
My Lê : splendide
My Tâm : grand cœur
My Thu : bel automne
My Tiên : fée resplendissante

Nam Phuong : sud
Nga : belle
Ngân Hà : voie lactée
Ngoc : Pierre fine
Ngoc : pierre fine
Ngoc Anh : perle lumineuse
Ngoc Bich : émeraude
Ngoc Dung : belle physionomie
Ngoc Giao : larme de perle
Ngoc Huong : parfum précieux
Ngoc Lan : ylang-ylang
Ngoc Loan : phénix de jade
Ngoc Suong : gouttelettes de rosée
Ngoc Trân : perle précieuse
Ngoc Yên : hirondelle de jade
Nguyêt Anh : clair de lune
Nguyêt Nga : déesse de la lune
Nhan : hirondelle
Nhu Quynh : comme le rubis
Nhung : velours
Nuong : mademoiselle

Oanh : loriot

Phi Yên : dauphinelle
Phong Lan : orchidée
Phuong : Fleur flamboyant
Phuong : fleur de flamboyant
Phuong Anh : senteur de fleur de cerisier du Japon
Phuong Liên : senteur de fleur de lotus
Phuong Mai : senteur de fleur de cerisier de Chine
Phuong Thao : herbes parfumées

Quê : cannelle
Quynh Anh : beauté du rubis
Quynh Chi : branche de jade
Quynh Dao : sorte de pierre précieuse

Sen : lotus
Son Ca : rossignol
Suong : rosée

Tâm : cœur
Tâm Giao : grande amitié
Thai Hà : grand fleuve
Thanh : pure
Thanh Hà : jolie rivière
Thanh Huong : agréable parfum
Thanh Lan : jolie orchidée
Thanh Loan : phénix bleu
Thanh Mai : fleur d abricot vert
Thanh Thuy : eau claire
Thanh Tuyên : source pure
Thanh Vân : nuage bleu
Thanh Xuân : jeunesse
Thi : poésie
Thiên Huong : parfum céleste
Thiên Nga : cygne
Thiêu Hoa : fleurs printanières
Thoa : épingle à cheveux
Thu : automne
Thu Hà : rivière automne
Thu Hông : rose d automne
Thu Suong : rosée d automne
Thu Thao : végétation d automne
Thu Thuy : eau d automne
Thu Trang : maison en automne
Thu Vân : nuage d automne
Thuy Diêm : beauté
Thuy Duong : peuplier
Thuy Ngoc : jade bleu
Thuy Tiên : jonquille
Thuy Trang : douce et décente
Tiên : fée
Tô Nga : belle fille
Tô Tâm : cœur pure
Trâm : épingle à cheveux
Trâm Anh : famille noble
Trân Châu : perle
Trang : décente
Trinh : virginité
Truc Dào : laurier rose
Truc Linh : bambou sacré
Truc Mai : bambou et abricotier
Tu Khuê : jeune fille belle et élégante
Tu My : intelligence et beauté
Tu Quynh : joli rubis
Tuong Vi : rosier
Tuyên : source
Tuyêt : neige
Tuyêt Mai : fleur d abricot blanc

Uyên : Erudit

Xuân : le printemps
Xuân Hoa : fleurs du printemps
Xuân Huong : parfums des fleurs printanières
Xuân Lan : orchidée printanière
Xuân Son : montagne au printemps

Yên : hirondelle

 

Prénoms masculins

Ai : Aimer

Ân : faveur

An : tranquilité
Anh Dung : courageux
Anh Hào : héros
Anh Hùng : héros
Anh Kiêt : héros
Anh Minh : impartial
Anh Tài : talentueux
Anh Tu : élégant

Bach : cyprès
Bao : précieux
Bao Quôc : protectorat
Bay : sept
Binh : paix
Binh Minh : aurore

Cam : orange
Cao Minh : grande intelligence
Cao Son : haute montagne
Chân Ly : vérité
Chi : volonté
Chi Hiêu : très pieux
Chi Linh : très sacré
Chi Tài : grand génie
Chi Thành : très sincère
Chiên : combat, lutte
Chiên Thang : victoire
Chin : neuf
Chinh : conquête
Chinh Truc : honnête, équitable
Chung : carillon, cloche
Chuong : littérature
Chuyên : spécialiste, expert
Công : travail
Công Danh : fonctions honorifiques
Công Minh : équitable
Công Tâm : sens du devoir
Công Thành : œuvre achevée
Cung : flèche
Cuong : fermeté
Cuu : neuf

Dai : Grand, grandiose
Dai Danh : Grande renomée
Dai Hùng : Grand Héros
Dai Nghia : Grand devoir
Dai Phuc : Grand bonheur
Dai Quôc : Grand pays
Dam : Sobre
Dân : Peuple
Danh : Renommée
Dào : Cerisier
Dat : Réussite
Dê : Empereur
Diêm : Imperturbable
Diên : Terre cultivable
Dinh : Maison communale
Dinh : Palais
Doàn : Union
Dôc : Directeur, Chef
Dôc Lâp : Indépendance
Dông : Bronze
Dông Hai : Mer de Chine
Du : Voyage
Duc : Vertu
Duc Tri : Vertu et intelligence
Dung : Courageux
Duy : Unique
Duy Quang : Unique lumière
Duy Tân : Modernisme

Gia : Famille
Gia Bao : Trésor de famille
Gia Khanh : Joie de famille
Giang : Rivière, fleuve
Giao : Doctrine, religion

Hà Giang : Rivière
Hai : Océan, mer
Hai Dang : Phare maritime
Hành : Action
Hào : Généreux, chevaleresque
Hâu : Abondance
Hiên : Célèbre et brillant
Hiêp : Accord, convention
Hiêu : Piété envers ses parents
Hoà : Paix, concorde, harmonie
Hoà Hiêp : Concorde
Hoài Duc : Vertueux
Hoài Nam : Nostalgie du Sud
Hoan : Joie
Hoàn Vu : Univers
Hoàng : Jaune, Royal
Hoàng An : Faveur royale
Hoàng Hà : Fleuve jaune
Hoàng Kim : Or
Hoàng Long : Dragon Royal
Hoành : Monumental
Hoc : Etude
Hông An : Grande faveur
Hông Ân : Grande faveur
Hông Duc : Grande vertu
Hông Hà : Fleuve Rouge
Hông Hai : Mer Rouge
Hông Phuc : Grand Bonheur
Huân : Entraînement
Hùng : Héros
Hung Phat : Prospérité
Hùng Son : Montagne imposante
Huy : Lumière, brillant
Huy Hoàng : Splendide
Huyên : Mystérieux
Huynh : Frère

Khang : Joie et prospérité
Khanh : Allégresse
Khiêm : Modestie
Khoa : Diplômé
Khôi : Bel homme
Kiêm : Examinateur
Kiên : Vaillant
Kim : Or
Kim Hoàn : Orfèvre
Kim Quy : Tortue d or
Kinh : Respect
Ky : Drapeau

Lam : Bleu
Lâm : Forêt
Lân : Licorne
Lâp : Création
Lâp Thê : Création du monde
Lich : Elégant
Liêm : Intégrité
Linh Dan : Médicament miraculeux
Linh Vu : Pluie bienfaisante
Lôc : Prospérité
Loi : Avantage, bénéfice
Long : Dragon
Luân : Rotation
Luât : Loi
Luc : Force, Energie
Luong : Honnête
Luyên : Entraînement

Mân : Esprit perspicace
Manh : Fort
Manh Dinh : Maison communale imposante
Manh Tiên : Avance rapide
Minh : Clair
Minh Duc : Grande vertu
Minh Hùng : Intelligent et héroïque
Minh Mân : Lucide
Minh Mân : Lucide, perspicace
Minh Quân : Roi lucide
Minh Tuân : Intelligent et élégant
Môc : Bois
Môn : Porte
Mông Bao : Trésor de rêve

Nghi : Energie
Nghia : Dévouement
Nghiêm : Sérieux
Nghiêp : karma
Ngoc : Perle, pierre précieuse
Ngoc Duc : Grande vertu
Ngoc Long : Dragon de Jade
Ngoc Son : Montagne de jade
Ngôn : Parole
Ngu : Cinq
Nguyên : Entier
Nhân : Bonté
Nhât : Soleil, jour
Nhât Minh : Lumière du jour

Phap : Aimer
Phat : Prospérité
Phi hùng : Fabuleusement héroïque
Phiêt : Noble
Phôi : Harmonisation
Phong : Vent
Phong Phu : Richesse, abondance
Phu Cuong : Riche et puissant
Phu Gia : Famille riche
Phuc : Bonheur
Phung : Phoenix
Phùng : Heureuse rencontre

Quach : Remparts
Quân : Roi, seigneur
Quang : Sérénité, lumière
Quang Hai : Mer lumineuse
Quang Minh : Intelligent et droit
Quang Vinh : Gloire
Quôc : Patrie
Quôc Bao : Objet précieux pour la nation
Quôc Doanh : Etatisé
Quôc Hùng : Puissance nationale
Quôc Huy : Emblème national
Quôc Thang : Victoire nationale
Quôc Trung : Fidèle à la patrie
Quy : Tortue
Quynh : Rubis

Rao : Annonce

Sang : Distingué
Sinh : Naissance
Son : Montagne

Tam : Trois
Tâm : Coeur
Tân : Nouveau
Tao : Création
Thach : Pierre
Thai : Très grand
Thai Binh : Grande paix
Thai Hoà : Grande harmonie
Thân : Amical
Thang : Victoire
Thành : Citadelle
Thanh Bach : Pauvre et pur
Thanh Dam : Frugal
Thành Dat : Réussite
Thanh Khiêt : Pureté
Thanh Liêm : Intégrité
Thanh Minh : Azur
Thanh Minh : Clarifier, justifier
Thành Nhân : Devenir un homme bien
Thanh Phong : Vent frais
Thanh Quang : Splendeur
Thanh Thê : Célébrité et influence
Thanh Tinh : Pur
Thanh Tu : Charmant
Thanh Tùng : Beau sapin
Thâp : Dix
Thê : Influence
Thê Phiêt : Noblesse de race
Thê Son : Grande montagne
Thiên : Ciel
Thiên An : Paix céleste
Thiên Dinh : Volonté de Dieu
Thiên Huu : Providence
Thiên Phu : Don inné
Thiên Tài : Génie
Thiêu Quang : Lumière du printemps
Tho : Longévité
Thông : Erudit
Thông Dat : Parfaite connaissance
Thuân Thiên : Conforme à la volonté du Ciel
Thuân Thiên : Soumis au ciel
Thuc : Connaissance
Thuyêt : Discours
Tiên : Progrès
Tin : Croire
Toai : Satisfait
Toàn : Entier
Tong : Obéissance
Tôt : Bon, bien
Tri : Gouverner
Tri Dung : Sagesse et courage
Triêt : Philosophie
Triêu : Dynastie
Trong Hiêu : Respect de la piété filiale
Trong Hoà : Aimant la paix
Truc : Bambou
Trung : Fidèle
Trung Chinh : Droit, loyal
Trung Dung : Fidèle et loyal
Trung Hiêu : Loyalisme et piété
Trung Kiên : Fidèle et persévérant
Trung Luong : Fidèle et honnête
Trung Nghia : Fidélité
Trung Tin : Fidèle
Trung Truc : Franc, honnête
Truong : Long
Truong An : Paix durable
Truong Chinh : La Longue Marche
Truong Giang : Long fleuve
Truong Ky : Longue période
Truong Son : Cordillère annamitique
Tuân : Obéir
Tuân Kiêt : Distingué
Tuân Ngoc : Perle lumineuse
Tuân Tu : Brillant, distingué
Tuê : Intelligent
Tùng Lâm : Forêt de pins
Tuong : Parfaite connaissance

Uy : Majestieux

Van : Littérature
Vân : Nuage
Viên : Eloigné
Viêt : Vietnamien
Vinh : Honneur
Vinh Hiên : Gloire
Vinh Phuc : Eternel bonheur
Vinh Quang : Gloire
Vinh Viên : Eternel, perpétuel
Vo : Militaire
Vu : Pluie
Vuong : Prospère

Xuân Hai : Printemps sur la mer
Xuân Huy : Lumière printanière
Xuân Thu : Printemps et Automne

Source sur : Asia Flash

 

La famille vietnamienne traditionnelle dans son évolution historique

 La connaissance de l’organisation de la société vietnamienne dans le passé, ainsi que de la structure des rela­tions interindividuelles à l’intérieur de cette société, n’est pas aussi évidente qu’on le suppose générale­ment. Car, la compréhension des événements des premiers siècles d’indépendance a été fonction des com­men­taires des historiens des Trần et des Lê, commentaires tout pénétrés de conviction confu­céenne, qui visent à con­damner les effets pervers de la flexibilité inhérente au système social originel du pays, supposés susceptibles de venir troubler la scène politique. Mais cette optique même a fâcheusement conduit à trop mettre l’accent sur la nature sinique du Viêt-Nam et de sa société. [1]

Les anciennes chroniques rapportent notamment qu’en 979, Ðinh Tiên Hoàng, le « premier auguste souverain », fut assassiné par un officier du palais. Son fils, âgé de cinq ans, fut alors placé sur le trône par les hommes de la cour, parmi lesquels le géné­ra­lissime Lê Hoàn, qui en­tre­tenait des relations d’adultère avec la reine mère Dương Thái-hậu. Quel­ques mois plus tard, les Song voulurent mettre à profit la minorité du nouveau roi pour rétablir la domination de la Chine, et massèrent leurs troupes à la fron­tière. A cette nou­velle, la reine mère couvrit Lê Hoàn du manteau à dragon d’or, et il fut acclamé roi. Grâce à lui, le pays surmonta avec succès l’épreuve que la résurgence de l’impérialisme chinois lui fit subir. Mais les lettrés confu­céens du XVe siècle, en compo­sant les Annales complètes du Ðai-Viêt (Ðại Việt Sử Ký Toàn Thư), allaient porter une appréciation des plus sévères sur Lê Hoàn, et surtout sur la manière dont il s’était em­paré du trône. Ils voyaient dans ses relations adultérines avec la reine de son prédé­ces­seur un exemple d’inconvenance du plus haut degré, contre lequel il fau­drait mettre en garde les généra­tions futures. Ces mêmes anna­listes devaient par ailleurs criti­quer la dynastie des Lý, qui allait supplanter les successeurs de Lê Hoàn au début du XIe siè­cle, de s’être attri­bué une constitution dynastique viciée selon eux par une pro­cédure succes­sorale défectueuse et par la coutume de la polygamie. [2] Nous lisons ainsi dans les Toàn Thư : « La maison des Lý nomme princes (vương) tous les fils des fem­mes légales, et fils impériaux (hoàng tử) les fils de concubines. Mais la position d’héritier impérial (hoàng thái tử) n’est pas éta­blie. C’est sur son lit de mort que l’empereur choisit un de ses fils pour qu’il continue la res­ponsabilité impé­riale. » [3] Une telle procédure était considérée comme à l’origine des difficultés immanentes aux suc­cessions dynastiques : la relation des Annales donne tellement de détails sur ce qui s’était passé lors­que les empereurs étaient mourants qu’elle se lit comme une attestation de la critique sus-men­tion­née. La condamnation des pratiques polygamiques se trouve dans un autre passage des Toàn Thư, relati­vement à la désignation par Ðinh Tiên Hoàng de cinq impératrices en 970 : « Depuis les temps anciens [i.e. dans les classi­ques et l’histoire chinois] une seule impé­ratrice est dési­gnée pour s’occuper de l’administration de l’intérieur du palais; il n’a jamais été question d’en nom­mer jusqu’à cinq. Le premier empereur n’avait pas étudié les livres anciens, mais aucun de ses subor­donnés d’alors n’était capable de l’aider à se corriger, le laissant s’abandonner à ses pen­chants et ins­taller cinq impératrices. Plus tard, les Lê [antérieurs] et les Lý ont souvent suivi son exemple. C’est donc le premier empe­reur qui a initié la pratique du boulever­sement des rangs. » [4]
Ces jugements a posteriori sont intéressants pour une double raison : tout en expo­sant en termes confucéens le déroulement des événements pendant les siècles anté­rieurs, les anciennes chroniques roy­ales ne se cachent nullement de la nature non confu­céenne de la société qu’elles décrivent. En fait, il apparaît bien que le régime social pri­mitif des Viet­namiens a résisté aux efforts faits au cours de tout le millénaire de domi­na­tion chinoise pour le transformer suivant le modèle patrilinéaire chinois, qui est tenu pour orthodoxe. Pendant les premiers temps de son indépendance, la royauté viet­na­mienne a ainsi con­servé encore beaucoup de traits communs avec les pays voi­sins en Asie du Sud-Est. Un règne commence avec un chef exceptionnel soutenu par des parti­sans loyaux; il se consolide ensuite grâce à des alliances matrimoniales qui cependant contri­buent à com­pliquer les problèmes de succession, parce que les épouses roya­les, soutenues par leur propre famille, exercent une influence considérable dans le choix du futur souverain. D’autre part, le rôle primordial de l’élément féminin se révèle aussi dans le fait que la légitimation du change­ment dynastique nécessite, de la même manière qu’ailleurs en Asie du Sud-Est, le mariage avec une femme de la dynastie pré­cédente. C’est contre ces ten­dances flexi­bles propres au sys­tème social primitif que la royauté vietnamienne va devoir lutter dans la suite, en essayant d’établir une certaine rigidité qui puisse convenir à ses propres inté­rêts. Les Trần à partir du XIIIe siècle, et surtout les Lê au XVe siècle, ont institué des règles patrilinéai­res strictes pour par­venir à résoudre les difficultés qu’entraîne la dévolu­tion du trône. Afin d’assurer leur propre succession, les Trần sont même allés jusqu’à prati­quer l’endogamie dans leur système patrilinéaire, [5] et on ne sait pas avec certitude pour quelle raison précisément l’exogamie a été finalement adoptée au Viêt-Nam. En effet, en 1720 encore, un édit fut pro­clamé pour condamner les nombreu­ses infractions aux interdits concernant le mariage dans les villages du Nord Viêt-Nam, surtout les noces entre cousins germains, qui d’après les ter­mes mêmes de l’édit ont été un fait coutumier, et qui à partir de ce moment sont assimilées au crime d’inceste et doi­vent être punies comme telles. [6]

Malgré tout cela, les écrits sur le Viêt-Nam l’ont toujours décrit comme un pays façonné par son voisin du nord pendant le millénaire d’occupation chinoise à un point tel que tout ce qui est vietnamien doit en réalité être considéré sous un jour chinois, ou plu­tôt confu­céen. Au point de vue de l’organisation sociale, cela signifie par conséquent la famille patriar­cale avec la domination absolue du père (patria potestas), la filiation agna­tique, la lignée (tộc en sino-vietnamien, họ dans la langue vernaculaire) composée d’une branche directe et de branches collatérales toutes issues des mâles. Pourtant, le lignage patrilinéaire, principe fonda­mental le plus manifeste du système vietnamien de parenté, mais qui paradoxalement est le moins bien compris aussi, ne se vérifie appa­remment qu’à partir du XVe siècle, après que les Lê eurent emprunté largement aux Ming leurs con­ceptions et leurs institutions, pour conformer les structures familiales vietnamiennes aux principes confucéens régissant l’ordre social, les « trois liens » (tam cương : loyauté du sujet envers le prince, obéissance du fils au père, soumission de la femme au mari), et les « cinq rela­tions sociales » (ngũ thường : règles de conduite entre le prince et ses minis­tres, entre le père et ses enfants, entre mari et femme, entre frères, entre amis). Dans l’esprit des diri­geants, il s’agit de transformer non seulement les pro­cédures de succes­sion royale, mais encore toute l’organisation sociale vietnamienne, en lui appliquant le système patrilinéaire. La note dominante de cette politique est conte­nue dans les disposi­tions juridiques concer­nant l’institution du hương hỏa (« part de l’encens et du feu », ou rizières destinées au culte des parents décédés). [7] En insistant sur la transmission de ces biens cultuels unique­ment au fils aîné, l’Etat vietnamien fait montre de son souci de restructurer les relations familiales sur la base du lignage patri­linéaire et de la primogéni­ture. En effet, dans tout le Code des Lê, on ne trouve les men­tions de « fils aîné » (trưởng nam) et de « chef de clan » (trưởng tộc) nulle part ailleurs que dans les articles relatifs au hương hỏa.

L’analyse du Code des Lê permet donc de se faire une idée de la famille tradi­tion­nelle vietnamienne. Ce code, dont le titre officiel est Quốc Triều Hình Luật (mot à mot « Lois péna­les de la dynastie nationale » [8] , a été compilé avant 1468, date à laquelle il a été mentionné pour la première fois, puis a subi différentes révisions jusqu’en 1767, date de la publication officielle de l’un des textes qui nous sont parvenus. C’est le code légal le plus ancien qui ait pu être con­servé. Il est modelé sur le droit chinois, puisque plusieurs de ses articles sont des repro­ductions fidèles de ceux contenus dans les Codes des Tang et des Ming. Toutefois, sous les emprunts faits à la Chine, la réalité sociale vietnamienne est préservée, comme des dispositions propres au système indigène y ont été aussi incorporées. Le Code des Lê diffère en cela nota­blement du Code des Nguyễn, qui, compilé au début du XIXe siècle, dérive directement du Code des Qing, et se pré­sente comme une affirmation idéologique de l’orthodoxie confucéenne vis-à-vis des coutumes indigènes locales. Ce caractère pour ainsi dire hybride n’a d’ailleurs pas échappé à un observateur étranger de la fin du XVIIe siècle, Samuel Baron, qui écrit : « Les lois chinoises sont en usage parmi eux [les Vietnamiens]; elles peuvent en fait être considérées comme leurs lois civiles écrites. Mais les édits, statuts et constitutions de leurs princes et principaux docteurs, mélangés à leurs anciennes coutumes, sont de la plus grande force. » [9] Cepen­dant, étant donné qu’il est un code pénal, le Code des Lê tend à se limiter à la considéra­tion d’actions jugées comme n’atteignant pas la norme idéale, et surtout comme compor­tant des conséquences si graves que l’Etat doit inter­venir pour appliquer des sanctions. Il fournit néanmoins un aperçu des principes régis­sant la structuration des relations socia­les. Le rôle de la famille, de la femme et des enfants y est bien représenté (articles 284-341).

La famille constitue un élément majeur dans cette société vietnamienne. [10] Mais ce n’est pas la grande famille patrilinéaire étendue tant célébrée en Chine. Certes, les mai­sonnées des classes dirigeantes ont tendance à être considérables parce que, à la diffé­rence des familles pay­sannes, elles peuvent se permettre d’entretenir un nombre impor­tant de dépendants. Leurs membres peuvent acquérir des terres en des quantités appré­ciables grâce à leur position offi­cielle, et ils peuvent aussi agrandir leurs propriétés en s'emparant indûment des terres commu­nales ou appartenant à des gens des couches infé­rieures. Comme la désagrégation du clan familial risque d’entraîner la réduction de la richesse et de la puissance économique, ces grandes familles sont naturellement opposées à leur fractionnement. Il n’est pas loisible à leurs rejetons d’établir leur propre autono­mie; du reste, ils ne sont pas, pour leur part, telle­ment désireux de se sépa­rer du milieu familial.
Il en va autrement pour les familles paysannes, pour lesquelles les potentialités d’éclatement sont beaucoup plus grandes. Leurs enfants ont en pratique la possibilité, une fois dépassé l’âge de quinze ans, de quitter leurs parents du vivant de ceux-ci pour fonder leur propre foyer. Chez les Chinois, une telle conduite, relevant de l’impiété, aurait été rangée parmi les abomi­nations qu’énumèrent les codes de loi. En outre, à la mort des deux parents, les enfants ont droit au partage égal de l’héritage familial, ce qui conduit inéluctablement à la sépa­ration des membres de la famille immédiatement après le décès des parents. Le concept chinois xiong di tung ju [frères aînés et cadets vivant sous le même toit] est de la sorte ignoré de la grande majorité des Vietnamiens. Cette tendance à la désagrégation contribue naturellement à la réduction de la taille de la cel­lule familiale. Un facteur économique vient encore expliquer la propension à cette réduc­tion : c’est la redistribution périodique des rizières et terres commu­nales, qui empêche la formation de la grande propriété privée, et rend difficile la constitution d’unités familiales complexes. Pour toutes ces raisons, la structure sociale est en géné­ral constituée de familles minuscules, entre lesquelles les liens sont relativement lâches.
Sur ce tissu social, la volonté du législateur a été d’installer le système patrili­néaire, certains diront patriarcal, quoique la question reste de savoir jusqu’à quel point le terme de patriarcat peut exactement qualifier les caractéristiques véritables de la famille vietnamienne antérieurement au XVIIIe siècle. Certes, la piété filiale, l’une des vertus cardinales du confu­cianisme, est l’un des deux principes fondamentaux du Code des Lê, l’autre étant la loyauté envers le souverain. Par conséquent, l’accent est mis sur l’obéissance et le respect que les enfants doivent aux parents, et sur l’autorité parentale en principe quasi absolue sur les enfants. Cependant, un examen attentif des coutumes indigènes vietnamiennes révèle des disparités entre la théorie et la pratique. L’autorité paternelle de style confucéen n’est évidente que parmi l’élite dirigeante. Là, les parents exercent vraiment leur pouvoir sur les enfants, et la désobé­issance de ces derniers est normalement considérée comme une marque d’insoumission et d’irrespect. Tel n’est apparemment pas le cas pour la plupart des familles vietnamiennes. Gar­çons et filles sont en réalité libres de se déplacer et de choisir leur futur conjoint, et les parents s’opposent rarement à leur choix. Les parents ne peuvent pas non plus obliger les enfants âgés de plus de quinze ans d’habiter avec eux, s’ils ne le veulent pas.

Ces coutumes dénotent incontestablement la faiblesse relative de l’autorité paren­tale dans le cadre familial. L’usage du partage égal des biens ajoute encore au compor­tement indé­pendant des enfants. Comme ces derniers ont pratiquement des droits égaux au patrimoine familial, ils n’ont en principe pas à se soumettre aveuglément à l’autorité des parents afin d’assurer leur part à l’héritage. Comme d’autre part les cadets n’ont pas non plus à dépendre économique­ment de leurs aînés, la notion de la solidarité familiale se trouve de ce fait affaiblie. La faible autorité des parents, l’individualisme des enfants, et l’insuffisance du développement du con­cept de la parenté semblent donc être les caracté­ristiques de la majorité des familles vietna­miennes traditionnelles.
Par ailleurs, la piété filiale n’est définie qu’en termes négatifs dans le Code des Lê, puis­que l’objectif du code est essentiellement de punir les transgressions de la loi. Or, c’est dans ce domaine qu’il contient des indications sur l’importance que le législateur entend réserver au patrilignage, tout d’abord par la distinction faite entre le côté pater­nel et le côté maternel : il y a une nette différence dans les sanctions applicables à ceux qui commettent des actes de vio­lence contre leurs parents ou qui leur manquent de res­pect, selon que ces actes sont commis aux dépens du côté paternel ou du côté maternel. Le code estime spécifiquement que l’acte répréhensible est beaucoup plus grave s’il a été commis à l’encontre du côté paternel (articles 476-477).

Ensuite, les dispositions relatives aux biens cultuels (hương hỏa) rendent encore mieux compte de la préoccupation du gouvernement à imposer le système patrilinéaire (articles 388-400). Elles semblent découler de précédents se rapportant aux dynasties vietnamiennes anté­rieures, et non à aucun des codes légaux de la Chine. Il est stipulé que vingt pour cent de l’héritage doivent être réservés pour servir de la « part de l’encens et du feu », afin de procurer les ressources nécessaires à l’entretien du culte des ancêtres. Cette part indivisible et inaliénable doit être transmise de génération en génération, et confiée à la garde de la branche aînée mas­culine. Cela aboutit à l’instauration de la suc­cession cultuelle par pri­mogéniture, qui est une mesure pour pré­venir les disputes au sujet du partage des biens après la mort des parents, et pour per­pétuer le culte des ancê­tres. Ce concept de primogéniture est relativement récent : encore sous la dynastie des Lý, c’est-à-dire jusqu’en 1224, il n’était pas connu au Viêt-Nam, puisque aussi bien les empereurs ne choisirent leur successeur que sur leur lit de mort. Ce qui était alors consi­déré comme la condition requise pour la succession, c’étaient les qualités poli­tiques de la personne désignée pour diriger le royaume, et non néces­sairement la priorité que lui don­nait son âge.

C’est Lê Thánh-tông qui a décrété pour la première fois, en 1461, la transmission du culte des ancêtres par droit de primogéniture. [11] Mais cette prescription n’entra pas immédiate­ment dans les usages. En 1472 puis en 1485, l’empereur a dû la réitérer pour que les gens ne choisissent plus, à la place de la descendance aînée mâle, un fils cadet ou un fils d’une femme de second rang pour en faire l’héritier principal qui recueillerait de la sorte le bien cultuel. [12] Il ne peut y avoir d’exception à la règle que lorsque l’aîné doit être écarté pour cause d’impiété ou de maladie; dans ce cas, c’est le second fils qui devient l’héritier du culte. Lorsqu’il n’y a pas d’enfants mâles, l’administration et la garde du hương hỏa reviennent à la fille aînée.
Les droits de la fille à l’héritage, tels qu’ils sont admis au Viêt-Nam, ne sont pas recon­nus dans la société chinoise. Les femmes chinoises sont en règle générale écartées du partage du patrimoine familial; elles n’ont droit qu’à une petite dot au moment de leur mariage. Le Code des Lê, en revanche, établit nettement la protection des droits de la femme, en lui attri­buant un rôle important dans la gestion non seulement du foyer, mais aussi de la propriété familiale. Pourtant, une image conventionnelle fait toujours de la femme vietnamienne une mineure éter­nelle, parce que les inexorables règles confucéen­nes des trois obéissances (tam tòng) la main­tiennent en principe dans une constante situation de subordination durant toute sa vie : chez ses parents, elle doit obéir aveuglé­ment à son père; mariée, elle doit obéir à son mari; veuve, elle doit obéir à son fils aîné, le continua­teur du culte des ancêtres. En réalité, le code reconnaît aux femmes une identité distincte, une personnalité civile, en leur accordant un statut légal, et en confirmant leur droit à la propriété et à l’héritage. [13]

Il est vrai cependant que l’influence confucéenne fait promouvoir la supériorité de l’homme sur la femme. [14] Parce que le mariage, acte constitutif de la famille, n’est pas sim­ple­ment une affaire personnelle, mais un acte social et religieux, dont le but est d’assurer la conti­nuité de la lignée afin de perpétuer le culte des ancêtres, le code en fixe minutieu­sement le rituel et les formalités. [15] Il donne d’autre part au mari un privi­lège légal sur sa femme : il lui permet de la punir sévèrement si elle commet l’adultère; il reconnaît à l’homme seul le pouvoir de répudiation, en distinguant les sept cas de divorce; il consa­cre à son seul profit le caractère polygamique du mariage. Mais là où il s’agit de droits à hériter, à acquérir des biens et à en disposer, il y a égalité entre les conjoints. Les filles ont droit à une même part de l’héritage familial que les fils. Lors­que la femme se marie, ce qui lui appartient n’est pas intégré dans les possessions de l’époux; elle en conserve individuellement le titre de propriété, quoique son bien propre puisse être confisqué par le mari en cas d’adultère.

La position de la femme mariée varie en fait selon sa situation sociale et écono­mi­que. [16] En général, les mariages sont virilocaux. Ils peuvent néanmoins être uxorilo­caux, et l’uxorilocalité est un phénomène plutôt répandu. Il n’est pas rare qu’un homme nécessiteux s’installe chez son épouse, et offre sa force de travail quand il s’avère inca­pable d’apporter les présents de mariage. Lê Thánh-tông a eu beau en interdire l’usage, l’uxorilocalité n’a jamais été abolie. Il va sans dire qu’en cas d’uxorilocalité, la femme a la prépondérance; elle bénéficie alors de la même liberté qu’avant son mariage, puisqu’elle n’est pas placée sous le contrôle d’une belle-mère, tandis que l’époux est économiquement dépendant de son beau-père, ou de sa femme.
Le rôle important tenu par les femmes vietnamiennes dans l’économie familiale leur donne au reste un pouvoir considérable dans la cellule familiale. Ce qu’elles peu­vent gagner grâce à leurs activités économiques constitue souvent l’unique revenu du foyer. Par suite, si la loi donne au mari un statut en principe supérieur à celui de sa femme, il serait pratiquement difficile, ou même inconvenant, pour lui d’exercer cette supériorité. La subordination dans laquelle les codes légaux placent la femme par rap­port à son mari est donc plus ou moins nomi­nale. Dans la vie familiale, les époux sont en réalité égaux. Ce n’est pas par hasard que dans le langage courant on dit vợ chồng (femme et mari), en plaçant la femme devant l’homme, et non l’inverse, ce qui impli­que la position impor­tante attribuée à la femme vis-à-vis du mari.

Enfin, le mariage n’est pas considéré comme un transfert définitif de l’épouse dans la famille de son mari. Elle conserve avec son village natal des liens qui lui assurent une base de sécurité contre les éventuels mauvais traitements. Et puis, son intégration dans la famille de son mari n’est pas effective tant qu’elle ne lui donne pas d’enfants.
Dans les relations entre époux, deux faits émergent ainsi : d’une part, l’autorité théori­que du mari sur la femme, et d’autre part, le statut relativement égalitaire qui place en pratique le mari et la femme sur un même plan. L’accent mis par la loi sur l’autorité du mari résulte de l’adoption de la morale confucéenne. Quant à l’égalité entre époux, certains auteurs l’ont erro­nément attribuée à l’influence qu’a exercée sur le système familial vietnamien le Champa, avec sa structure sociale fondée sur le matriar­cat. C’est oublier que la position sociale privilégiée de la femme vietnamienne date en fait des temps antérieurs au contact des Vietnamiens avec les Cham; elle participe en réalité d’une coutume indigène commune à toutes les sociétés de l’Asie du Sud-Est, dont le Viêt-Nam fait partie, quoi qu’on en dise.
Mais le Code Gia-Long promulgué au début du XIXe siècle est venu circonscrire le statut légal de la femme mariée, en vertu du régime patriarcal rigide que la nouvelle dynastie s’efforce d’instituer sur le modèle du Code des Qing. [17] Ce nouveau Code va à l’encontre des coutumes anciennes que le Code des Lê a préservées, et aussi à l’encontre des réactions qui se sont fait jour à partir de la fin du XVIIIe siècle contre le rigorisme confucéen, à travers les protestations contre l’ordre social existant, les aspi­rations à l’amour et au bonheur individuel exprimées dans des romans en vers, la dénonciation (notamment par la poétesse Hồ Xuân Hương [18] ) de la polygamie et des conventions con­fu­céennes cherchant à confiner les femmes dans une condition infé­rieure.
Le confucianisme, en mettant l’accent sur la piété filiale, a aussi puissamment apporté son appui au culte des ancêtres. Le rôle joué par celui-ci dans l’intégration sociale n’a pas été des moindres. Car, il n’est assurément pas possible pour quelqu’un de choisir ses ancêtres ou de se joindre librement à une autre famille. Par conséquent, le groupe de filiation ou clan, seule communauté religieuse acceptable pour le culte des ancêtres, a tendance à être exclusif et introverti. Le clan constitue certainement pour les Vietnamiens l’élément fondamental du cadre social, ce qui fait que l’appartenance d’un individu à son propre groupe de parenté le place en quelque sorte sur un niveau diffé­rencié du reste de la communauté. Là réside sans doute l’une des causes déterminantes de la fragmentation de la société vietna­mienne. Bien sûr, il n’y a pas forcément conflit entre la loyauté envers son clan et d’autres loyautés ou fidélités, et les textes confucéens insistent sur la nécessité de l’harmonie entre tous les niveaux de piété. Mais en pratique, les conflits de loyauté ne peuvent pas manquer de surgir dans le contexte des rivalités politiques, et habituellement la loyauté envers son propre clan l’emporte sur la loyauté envers le roi.

Le culte des ancêtres comporte un autre aspect significatif. Il implique la pratique de l’inhumation et attache une grande importance à la tombe en tant que sanctuaire fami­lial. Alors que dans certaines circonstances, les tablettes ancestrales peuvent être trans­portées d’un endroit à un autre, la tombe ne peut pas être déplacée une fois qu’elle a été placée dans un site satisfaisant au point de vue de la géomancie. Tout Vietnamien éprouve par conséquent un profond attachement pour le village et la province où repo­sent ses ancêtres. C’est là peut-être le facteur primordial de ce qui est ordinairement désigné sous le terme de régiona­lisme. Par suite, le Viêt-Nam est un pays où ce qui compte vraiment dans le domaine politique se tient essentiellement à la campagne. Les gens ont toujours tendance à manifes­ter leur affection à leur clan et à leur village d’origine. L’élite des lettrés confucéens, quant à elle, regarde avant tout du côté de la cour et de la ville. Mais cette élite n’a constitué l’élément dominant dans l’histoire viet­namienne que pendant certaines périodes bien délimitées; son pouvoir et l’influence de son idéologie ont tou­jours été freinés par une société dans laquelle les ancêtres et la terre natale importent plus que les théo­ries de l’harmonie et de la vertu.
Nguyễn Thế Anh -
Ecole Pratique des Hautes Etudes, Sciences Historiques et Philologiques.

Publié dans Approches-Asie, n° 13 (1996), pp. 57-66.
 
[1] John K. Whitmore, « Social Organization and Confucian Thought in Vietnam », Journal of Southeast Asian Studies, xv, 2 (sept. 1984), pp. 296-306. En général, les sociologues ne tiennent pas compte, dans leur analyse de ce qu’ils tiennent pour les caractéristiques de la famille vietnamienne, des conditions historiques ayant influé sur son évolution : cf. par exemple, Neil Jamieson, « The traditional family in Vietnam », The Vietnam Forum (Yale Southeast Asia Studies), n° 8, 1986, pp. 91-150.
[2] Voir O.W. Wolters, « Historians and emperors in Vietnam and China: Comments arising out of Le Van Huu’s history, presented to the Tran court in 1272 », Perceptions of the Past in Southeast Asia, Anthony Reid & David Marr, ed. Singapore, Heinemann, 1979, pp. 69-89, et « Possibilities for a read­ing of the 1293-1357 period in the Vietnamese Annals », Southeast Asia in the 9th to 14th Centuries, D.G. Marr & A.C. Milner, ed. Singapore, ISEAS, 1986, pp. 369-410. 
[3] Ðại Việt Sử Ký Toàn Thư [Annales complètes du Ðại Việt]. Hanoi, NXB Khoa-Học Xã-Hội, 1983, t. I, p. 254.
[4] Ibid., p. 206.
[5] Les membres du clan impérial étaient obligés de prendre épouse à l’intérieur du clan, afin de minimi­ser les risques de voir le pouvoir tomber dans des mains étrangères : le cas le plus notoire est celui du premier empe­reur des Trần, Thái-tông, qui fut forcé par son oncle et conseiller Trần Thủ Ðộ de répudier l’impératrice Lý Chiêu Hoàng (qui lui avait précédemment cédé le trône des Lý), et de prendre comme reine la femme de son frère aîné Trần Liễu, alors enceinte de trois mois, afin d’assurer un héritier à la dynastie des Trần. Sur l’endogamie dans cette famille impériale, voir Tạ Chí Ðại Trường, « Phổ hệ và chế độ nội hôn của họ Trần » [La généalogie et le régime endogamique des Trân], Văn Học (USA), n° 16 (5/1987), pp. 5-25; n° 17 (6/1987), pp. 78-91.
[6] Ðại Việt Sử Ký Tục Biên (1676-1789) [Suite aux Annales du Dai Viêt]. Hanoi, NXB Khoa-Học Xã-Hội, 1991, p. 79.
[7] Voir par exemple Camille Briffaut, Etude sur les biens cultuels familiaux en pays d’Annam, Huong Hoa. Un cas de substitution protéi-commissaire en droit sino-annamite. Paris, Sirey, 1907, xii-164 p.; Henri Maitre, « Etude critique de l’ouvrage de Camille Briffaut intitulé “Etude sur les biens cultuels familiaux en pays d’Annam, Huong Hoa” », Bulletin de l’Ecole française d’Extrême-Orient, 1908, pp. 236-249; et Henry McAleavy, « Varieties of huong-hoa. A problem of Vietnamese law », Bulletin of the School of Oriental and African Studies, 21 (1958), pp. 403-415.
[8] Cf. Nguyên Ngoc Huy, « Le Code des Lê : Quôc Triêu Hình Luât ou lois pénales de la dynastie natio­nale », Bulletin de l’Ecole française d’Extrême-Orient, t. 67 (1980), pp. 147-220. Pour une traduction accompagnée d’une analyse exhaustive : Nguyên Ngoc Huy & Ta Van Tài, The Lê Code: Law in Tradi­tional Vietnam. A Comparative Sino-Vietnamese Legal Study with Historical-Juridical Analysis and Annotations. Athens, Ohio Univ. Press, 1987, 3 vol. La plus récente traduction en vietnamien moderne est: Viện Sử Học Việt Nam, Quốc Triều Hình Luật (Luật Hình Triều Lê). Hanoi, NXB Pháp Lý, 1991, 280 p.
[9] « A description of the Kingdom of Tonqueen », in Churchill, A Collection of Voyages and Travels, vol. 6, Londres, 1746.
[10] Voir Emile Tavernier, La famille annamite. Saigon, Ed. Nguyên Van Cua, 1927, 96 p.; Insun Yu, Law and Society in Seventeenth and Eighteenth Century Vietnam. Seoul, Asiatic Research Center, Korea University, 1990, x-158 p.
[11] Hồng-Ðức Thiện Chính Thư [Le livre du bon gouverne­ment de la période Hông-Ðuc], trad. Nguyễn Sĩ Giác, Saigon, Nam Hà, 1959, pp. 12-14.
[12] Ibid., pp. 14-16.
[13] Cf. Ta Van Tài, « Protection of Women’s Civil Rights in Traditional Vietnam: A Comparison of the Code of the Lê Dynasty with the Chinese Codes », in Biran E. McKnight, ed., Law and the State in Traditional East Asia. Six Studies on the Sources of East Asian Law. Honolulu, Univ. of Hawaii Press, 1987, pp. 37-72.
[14] Le grand homme d’Etat de la première moitié du XVe siècle, Nguyễn Trãi (1380-1442), écrit dans son Gia Huấn Ca [Poème sur l’instruction familiale] : « Bien que, dans l’intimité, vous dormiez sur le même lit et sous la même couverture que votre mari, Vous devez le traiter comme s’il est votre souve­rain ou votre père. » (Nguyên Trãi, Gia Huân Ca, ed. Ðinh Gia Thuyêt, Saigon, 1953, p. 27).
[15] Dans ce domaine, le Code des Lê tend à se limiter à la considération d’actions incorrectes, non appro­priées, ou comportant des conséquences pour l’ordre public telles que l’Etat doit intervenir pour appli­quer des sanc­tions. Il offre donc une image moins complète que des textes comme par exemple « Le livre du bon gouverne­ment de la période Hông-Ðuc » (Hồng-Ðức Thiện Chính Thư, trad. Nguyễn Sĩ Giác, Saigon, Nam Hà, 1959), ou « Les édits et décrets de la dynastie promulgués pour le bon gouver­nement » (Quốc Triều Chiếu Lệnh Thiện Chính, trad. Nguyễn Sĩ Giác, Saigon, Trường Luật-Khoa Ðại-Học, 1961).
[16] Voir Robert Lingat, Les régimes matrimoniaux du Sud-Est de l’Asie. Essai de droit comparé indo­chinois. Hanoi-Saigon, EFEO, 1954-1955, 2 vol.
[17] Trad. P.L.F. Philastre, Le Code annamite. Paris, Leroux, 1909, 2 vol.
[18] Cf. Maurice Durand, L’œuvre de la poétesse vietnamienne Hô Xuân Huong. Paris, EFEO, 1968.

 

Evolution de la famille au Vietnam ces dernières décennies

 

Marie-Eve HOFFET*

Que devient la famille vietnamienne aujourd'hui après tous les bouleversements que le Vietnam a connu ces dernières décennies.

Mes références concernent l'ethnie majoritaire des Viets qui représente aujourd'hui 85% de la population. Ce sont les habitants des deltas alors que dans les montagnes on trouve d'autres ethnies, une cinquantaine, très minoritaires en nombre. Je vais essayer de transmettre le résultat des échanges que j'ai pu avoir avec les collègues vietnamiens pendant les années où j'ai fait de la formation à Hanoi et à HochiminhVille en pédopsychiatrie dans le cadre de l’Association Franco-Vietnamienne Nt-Psy (depuis 1998, deux fois l'an) ainsi que ce que j’ai appris à travers mes lectures de revues et de littératures vietnamiennes.

Les indicateurs choisis pour faire un survol de l'évolution de la famille seront le culte des ancêtres et les modalités de choix du prénom ou nom principal.

Pourquoi ces deux indicateurs ? 

Il représente l'un et l'autre le fondement de la famille vietnamienne traditionnelle. Il est intéressant de s'y référer car ces coutumes se pratiquent à nouveau actuellement. Les renseignements que j'ai récoltés personnellement sur la question des prénoms et sur le culte des ancêtres se recoupent avec ceux que l'on trouve dans certains écrits récents comme le livre de Madame DO Chi Lan « L’enfant et sa famille au Vietnam » et des études ethnologiques basées sur des enquêtes essentiellement statistiques de Tung Nguyen et Nelly Krolowski dans le livre « D’un nom à l’autre en Asie du Sud-Est, approches ethnologiques » ainsi que dans la thèse de Stéphane Boussat.

Pour l'évolution de la famille vietnamienne, j'utilise la revue "Etudes Vietnamiennes" publiées depuis 1955 au Vietnam, fondée par le docteur Nguyen Khac Vien qui a introduit la psychologie de l'enfant au Vietnam dans le cadre de la Fondation NT qu’il a crée à Hanoi en 1988. Je ferai

aussi état des récits de mes amis vietnamiens en particulier Nguyen Kim Hien qui a présenté un mémoire de DEA à Paris à l'UFR de Sciences sociales à l'Université Paris VII sur "Le renouveau spirituel dans le Vietnam actuel" en 2002 (Texte non publié à ce jour).

Nous décrirons d’abord les coutumes traditionnelles puis leur évolution aujourd’hui. Ceci devrait nous permettre en conclusion de dire quelques mots sur la place de l’enfant dans la société vietnamienne et sur le rôle de la famille dans son développement.

En procédant ainsi, je suis le chemin qui a été le mien dans ma rencontre avec le Vietnam. En effet, c'est en écoutant un cas clinique rapporté par un collègue vietnamien dans lequel la famille, pour soulager son enfant, avait procédé à un changement de nom de façon rituelle, que j'ai rencontré la question des spécificités culturelles vietnamiennes. J'ai alors fait une recherche sur le choix du nom principal que je poursuis par une étude sur la pratique du changement de nom en cas de difficultés de développement chez un enfant. En la comparant avec nos pratiques à nous, beaucoup de questions me sont venues. Ce qui m'intéressait plus particulièrement était de comprendre où passait dans les traditions  vietnamiennes la connaissance des conflits inconscients qui surgissent dans l'interaction parents/enfants au cours du développement d'un enfant et que l'enfant introjecte pour constituer sa propre réalité psychique. En effet nous n'avions pas toujours le sentiment d'être bien compris dans nos développements théoriques basés sur nos connaissances de la psychanalyse. Pourtant tout notre enseignement était construit à partir de l'échange de cas cliniques et cela nous avait semblé une garantie suffisante pour une bonne compréhension.

D'où l'intérêt particulier porté à la tradition du changement de nom chez les petits enfants. Mais je ne suis pas encore assez avancée dans mes recherches à ce sujet et je ne les aborderai que très sommairement. La nécessité de comprendre les coutumes familiales vietnamiennes a été un préalable dont je peux parler aujourd'hui. 

I Quelques indications sur l'histoire et la culture vietnamienne 

L'histoire hagiographique du Vietnam est l'histoire de sa résistance aux invasions chinoises. Pourtant, comme on le verra, ils ont une base de culture commune.

Les Vietnamiens datent le début de leur histoire suivant les recherches archéologiques et historiques, en 1042 avant J.-C. Pendant cette période les échanges sont fréquents avec la Chine du sud et l'Indonésie. C'est l'époque des rois Hungs. En 247 avant J.-C., un premier royaume est formé qui comprend le Yunnan et le delta du Fleuve Rouge.

Ce royaume va être conquis par les Chinois et occupé pendant mille ans, disons tout le premier millénaire de notre ère. Pendant cette période le Vietnam va être soumis aux influences multiples du bouddhisme, du confucianisme et du taoïsme. La croyance propre des vietnamiens  s’organisait autour du culte des génies, génies du sol et génies d’origine humaine. Ces croyances ont toujours persistée et sont également toujours actives aujourd’hui. Les Vietnamiens vont acquérir l'écriture des idéogrammes.

Mais les Chinois se montrent cruels, ce qui est à l'origine de nombreuses révoltes qui vont aboutir à la défaite des chinois après la fin de la dynastie des Tang en Chine. La fondation du Vietnam est datée de cette époque : 939 après J.-C.

Il y a encore des guerres pour lutter contre les envahisseurs et en particulier les mongols en 1257 qui réussissent à envahir la Chine et seront arrêté par les Vietnamiens.

Puis le Vietnam, qui n'existe qu'au Nord, va petit à petit conquérir le Sud après des combats incessants. C'est en 1698 que le Vietnam actuel est unifié dans un royaume.

Sur le plan mythique les récits sur le début de l'histoire du Vietnam datent de l'époque des rois Hungs.

Pour gouverner et comme le pays était soumis aux aléas des débordements de l'eau, que cette eau vienne des fleuves, de la mer ou du ciel, il a fallu mettre en place une administration forte pour organiser la lutte contre ces fléaux. C'est comme cela qu'on explique l'influence du confucianisme qui s'est imposé petit à petit sur un pays plutôt bouddhiste. Mais les 3 religions, le taoïsme, le bouddhisme et le confucianisme ont toujours coexisté. Les rois Tran organisaient des concours de religion vers le 13ème siècle. A partir du 17ème siècle au moment de l’unification du pays, c'est le confucianisme qui l'a emporté. 

Que peut-on dire du confucianisme ?

J'utilise le livre de Anne Cheng Histoire de la pensée chinoise (Collection « essais » Points Seuil) Elle y parle de l'enseignement de Confucius dont la vie se déroule au 6ème siècle AJC et qui est la référence intellectuelle de la pensée chinoise jusqu'au 19ème siècle.

Les quelques notions qui vont suivre sont importantes car elles éclairent également les coutumes dont nous allons parlées. Pour Confucius :

- L'homme ne devient humain que dans sa relation à autrui. Le moi ne saurait se concevoir comme une entité isolée des autres, retirée dans son intériorité, mais plutôt comme un point de convergence d'échanges interpersonnels.

- Si être humain, c'est être d'emblée en relation avec les autres, cette relation ne peut être perçue que comme étant rituelle. Le respect de l'autre et l'harmonie des relations passent par la reconnaissance de sa place dans la famille et dans la société. C'est la fonction du rituel.

- La notion de rituel à l'époque de Confucius va donc passer, dans un glissement sémantique, du sens sacrificiel et religieux tel qu'il existait auparavant, à l'idée d'une attitude intériorisée de chacun, qui est conscience et respect d'autrui et qui garantit l'harmonie des relations humaines, qu'elles soient sociales ou politiques. Le champ d'action des rites se déplace des relations entre l'humain et le surnaturel vers celles qui existent entre les humains eux-mêmes.

- On appelle « ren » le sens de l'humain ainsi acquis. Le « ren » se manifeste dans des vertus éminemment relationnelles, fondées sur la réciprocité et la solidarité. La relation la plus importante est la relation père/fils. La piété filiale est la clé de voûte du « ren » en ce qu'elle illustre le lien de réciprocité. L'enfant répond par le respect et la reconnaissance à l'amour qui lui a été prodigué par ses parents et son père, en particulier, dés sa naissance.

- L'éducation est centrale pour le développement de l'individu, « elle a pour finalité de vaincre l'"égo" pour se placer dans le sens des rites » (Anne Cheng)

On voit que les rites, dans les relations interpersonnelles, vont prendre une importance considérable et le langage va en être le porteur. On le repère dans le langage vietnamien encore actuellement.

Pour en rendre compte, le mieux est de lire un passage du livre de l'ethnologue Florence Nguyen Rouault qui raconte sa découverte de la famille vietnamienne de son mari. Elle le décrit dans un livre : Une famille de Saigon. C'est un livre qui est sorti en 1999 aux éditions de l'Aube et qu'il est utile de lire si l'on veut comprendre quelque chose aux coutumes vietnamiennes. Je la cite : « La façon de se désigner et de désigner son interlocuteur varie selon la position que l'on adopte par rapport à lui. Le "je" ne sera pas le même selon que l'on s'adresse à ses parents, ses grands-parents, son grand frère ou sa petite soeur. Quand on s'adresse à ses parents, on se nomme "con", (enfant). Pour parler à ses grands-parents on dira "chau" c'est à dire petit enfant. Par exemple si un enfant demande de l'eau à son père, il ne dira pas je voudrais de l'eau, il dira "enfant"demande de l'eau. S'il demande de l'eau à ses grands-parents ; il dira "petit enfant" demande de l'eau. Il devient "em" quand il s'adresse à ses grands frères ou soeurs et "anh" s'il s'adresse à plus jeune que lui.

Les parents de même quand ils s'adressent à leurs enfants disent "ba" (papa) ou "ma" (maman) ; le mari s'adresse à sa femme en la nommant "em" et elle lui parle en disant "anh". "em" traduit donc une position inférieure à "anh" ». Dans les contacts quotidiens, les Vietnamiens utilisent les vocables relatifs aux relations de parenté que je viens de citer, à la place des pronoms personnels. Cette façon d'utiliser des vocables familiers est très en faveur dans la société. Cela rend les liens entre les hommes plus intimes, plus proches. Quand on m'appelle au Vietnam on dit Chi Marie-Eve ce qui veut dire grande soeur Marie-Eve. On ne m’appelle jamais Madame Hoffet.

En cas de conflit, de querelles avec ses pairs, l'enfant utilise dans son vocabulaire des positions qui ne lui appartiennent pas. Il cherche à se monter ainsi supérieur à son adversaire. Il dira par exemple, « ton père (en parlant de lui à un ami contre qui il est en colère) à quelque chose à te dire ».

Cet usage de la langue existe toujours. J'ai eu à faire traduire un petit document qui résumait les actions entreprises au Vietnam en indiquant au dos de la plaquette les différents intervenants qui étaient remerciés pour leur soutien. Cela allait du cadre responsable à la secrétaire. A ma grande surprise, il n'y a que les grands chefs qui sont présentés par leur titre. Pour les autres les appellations utilisent les vocables familiers pour désigner leur position dans la hiérarchie des fonctions professionnelles. C'est donc « Bac » Ho thi Kim Chi puis « Ba » Thay Thuy , puis Anh pour le grade de secrétaire.

Une partie des rituels sont donc des rituels de désignations de la place de chacun.

On voit que l’enfant en apprenant à parler apprend en même temps cette place de chacun dans la famille. Si on revient à Anne Cheng, elle va parler de ce que l'on appelle la rectification des noms. Il y a, dans la pensée chinoise, l'idée d'une adéquation du nom et de la réalité. Je la cite : « Il existe une force inhérente au langage qui ne fait qu'exprimer la dynamique des relations humaines ritualisées et qui n'a donc pas besoin d'émaner d'une instance transcendante. Il convient d'agir sur les noms de manière à ce qu'ils ne s'appliquent qu'à des réalités qui les méritent, mais aussi d'agir sur la réalité des choses de manière à ce qu'elles coïncident avec les noms conventionnels ». Cet état d'esprit influence le  mode de résolution des conflits dans le travail par exemple. Il s'agit d'aider le supérieur à assumer dans la réalité la représentation éthique que l'on a de sa fonction.

Et plus loin : « Cette recherche d'une adéquation rituelle entre noms et réalités est la traduction de l'idée d'un monde s'harmonisant et s'équilibrant de lui-même. Il y a une grande nostalgie de l'adéquation originelle de l'aventure humaine au cours naturel des choses ». Nous avons ainsi confirmation de la place centrale des rites et des rites qui concerne la nomination dans la pensée chinoise. Ceci est repris totalement dans la pensée vietnamienne.

Ces codes rituels doivent être respecter vis à vis des vivants mais aussi vis à vis des morts par le culte des ancêtres sur lequel nous reviendrons. La frontière est perméable entre la vie et la mort, entre le divin et l'humain. 

II L'organisation villageoise 

Le village est l'unité de base de l'organisation sociale et administrative. Un dicton vietnamien dit que la loi du souverain cède à la coutume du village ce qui montre son degré d'autonomie. Un village regroupe plusieurs familles. Il n'est pas seulement formé de ceux qui l'habitent mais il comprend également tous ceux qui en sont originaires. Ils y reviennent quelques fois dans leur vie pour les fêtes familiales. Elles regroupent toute une lignée et les différentes branches de la lignée. Car c'est là que se trouvent les tombeaux des ancêtres, le temple familial tenu par un membre de leur clan. Il est très important pour un vietnamien d'avoir un village d'origine en province. A signaler que la pratique de ces fêtes villageoises qui était tombée en désuétude pendant 5 décennies est à nouveau d'actualité, même chez les cadres du parti.

Dans chaque village, il y a également une maison communale dans laquelle on fait un culte à un ou plusieurs génies qui sont les génies du village. Je peux donner l'exemple d'un village que j'ai visité avec une amie car c'est le village de ses ancêtres quelle a retrouvé depuis 3 ans. C'est un village agricole très pauvre, à 25 km de Hanoi.

Le livre de généalogie de la famille de mon amie remonte jusqu'à un ancêtre qui a vécu vers 1480. Dans ce village, qui est depuis peu patrimoine historique du pays, il y a une pagode ancienne, très belle, et une maison villageoise. Dans cette pagode, en plus du culte des bouddhas il y a un autel pour une dame qui est un des génies du village car elle a apporté au village la culture du ver à soie. Il y a aussi une photo de Ho Chi Minh. La spécificité du bouddhisme est que dans sa grande tolérance, il accueille tous les autres cultes. Bouddha d’une certaine façon est le premier de tous.

Un peu plus loin, à la limite extérieure du village, il y a la maison communale. On y vénère les 3 génies fondateurs du village qui viennent de la période des rois Hungs. On raconte que le village existe depuis 4000 ans.

Il y a aussi la statue de l'ancêtre de mon amie, Nguyen Nhu Do qui a vécu jusqu’à 103 ans. Il a gagné un des premiers concours de lettrés au 15ème siècle, il a servi 8 rois, il a souvent été ambassadeur en Chine. Chaque fois qu'il revenait de Chine, il emmenait quelque chose pour le village. C'est lui qui a reconstitué l'histoire du village en travaillant sur les annales aussi bien chinoises que vietnamiennes jusqu’aux rois Hungs. Malheureusement, la guerre de libération a détruit la plupart des archives. Mon amie me dit que son ancêtre est un demi-génie. Suivant l'importance des bienfaits de la personne pour le village, il pourra être décrété génie pour 500 ans ou pour 1000 ans ou, comme pour les généraux de l'époque des rois Hungs, pour 10.000ans.

Les tablettes des différentes personnes du village qui ont passé le concours des lettrés sont également exposées dans la maison communale. Une fois tous les deux ans, il y a une grande fête au village pour célébrer les ancêtres.

Donc on voit que le culte des ancêtres qui est intra familial est prolongé par les cultes villageois et les cultes du souverain au niveau de la nation. Il y a donc toute une pyramide hiérarchique qui va de la famille en passant par le village jusqu'au souverain. 

III La famille dans la période traditionnelle décrite à partir des deux indicateurs choisis

Le choix du nom principal

Avant de parler du nom principal il nous faut dire quelques mots sur les noms dans leur ensemble. Ils sont au nombre de 3.

Le nom patronymique : il y a très peu de patronymes au Vietnam, ce sont les noms des lignées royales depuis l'origine. Le dernier roi s'appelait Nguyen, il y a Pham, il y a Le Tran etc. Il y en a 163 patronymes relevés chez les Viets (selon Nelly Krowolski).

Le nom intermédiaire : les écrits sont variables sur ce nom. Je me réfère donc à ce qui m'a été raconté. Dans les campagnes il a longtemps désigné le sexe de l'enfant : c'était Thi pour la fille et Van pour les garçons. Dans les familles plus lettrées, il représente la branche de la

lignée. Comme illustration, on raconte l'histoire du roi Minh Menh qui a régné entre 1820 et 1840. Il est l'ancêtre de Bao Dai. Il a eu beaucoup d'enfants. Il a écrit un poème de 4 vers avec 5 mots par vers pour permettre l'identification de la génération de ses descendants.

Chaque mot sert de nom intermédiaire pour tous les princes de la même génération. Au début du deuxième vers, il y a le mot Bao. C'est le nom intermédiaire de Bao Dai, le dernier empereur du Vietnam. Ce poème est en plus très beau, qu'il s'agisse de la sonorité ou du sens.

Si bien que tout le monde s'en souvient et on peut savoir, si on entend parler d'un prince, à quelle génération il appartient.

Le nom principal

 1) Le choix du nom principal est libre, il n'y a pas de restriction au choix du nom. Il peut être inventé ou représenter le nom de quelque chose qui existe ou le nom d’une qualité morale. Le nom principal n'est pas sexué car le masculin et le féminin n’existe pas dans la langue vietnamienne.

2) Le nom principal choisi ne doit pas être le même que celui d'un ancêtre sur 5 générations. Cet interdit est en relation avec le culte des ancêtres ; on doit honorer les ancêtres sur 5 générations. On pourrait manquer de respect à l'ancêtre en interpellant un enfant qui porte le même nom, si on est amené à le gronder par exemple. Cette particularité ne se retrouve que dans la zone d'influence sino-vietnamienne (Japon, Corée, Chine, Vietnam). Les bouddhistes considèrent cet interdit comme une superstition.

3) Le nom principal doit servir à inclure les enfants dans un même ensemble par le choix d'un thème par exemple. Les enfants auront tous des noms de fleurs par ordre alphabétique pour que l'on retrouve la place dans la fratrie. Les noms principaux dans une même famille peuvent aussi commencer par la même lettre ou contenir une même lettre. Il est important qu'il y ait une liaison entre les noms principaux de chaque enfant. Cela signe leur appartenance à une même fratrie.

On sera également attentif à la beauté phonétique du nom.

4) Les grands-parents choisissaient traditionnellement le nom principal de leurs petits enfants et en discutaient avec les parents. Dans les familles de lettrés, le grand-père choisit toute une série de noms à l'avance pour les garçons ou pour les filles qui vont refléter la filiation et on les distribuera au fur et à mesure des naissances.

5) Traditionnellement, la prononciation du nom principal était interdite pour une période plus ou moins longue et à différentes périodes de la vie. Chez l'enfant, il était remplacé par un sobriquet pour éloigner les esprits mauvais qui pourraient faire du mal à l'enfant. Le plus souvent l'enfant prenait son nom véritable au moment où il était déclaré dans le registre du village pour participer aux corvées villageoises, c'est à dire au moment de l'adolescence. La raison mise en avant aujourd’hui, c'est de ne pas faire de jaloux quand la famille estime que le nom qu'elle a choisi est si beau qu'il pourrait réveiller l'envie destructrice des autres. Ce beau nom n'est pas non plus révélé à l'enfant quand il est encore petit car il pourrait être écrasé par sa signification.

6) Il y a une pratique de changement du nom dans plusieurs circonstances, par exemple quand le tout petit présente des difficultés de développement ou qu'il est malade. On interrogera alors un médium ou un bonze pour savoir si le nom choisi est bien conforme. Pour cela l'horoscope joue un rôle important. On peut être amené à changer plusieurs fois de noms dans sa vie, dans des circonstances spécifiques. Si l'on est en danger, si l'on accède à un emploi honorifique, quand on est artiste. On peut aussi changer de nom au moment de la mort, si la personne pense que la vie qu'il a menée ne peut pas protéger ou porter chance à ses enfants.

 

7) Il n'y a pas de cérémonie particulière pour la dation du nom principal au niveau de la collectivité. La cérémonie est purement familiale et consiste dans une présentation de l'enfant devant l'autel des ancêtres à la fin du premier mois.

Quelques mots sur le droit civil : la polygamie est autorisée, mais il y a une différence entre la première femme et les autres qui sont souvent d'anciennes servantes de la maison. Tous les enfants qui naissent appellent la femme principale « mère ». Les enfants des autres femmes appellent leur mère génitrice « grande soeur ».

Les filles héritent au même titre que les garçons. S'il n'y a pas de fils pour célébrer le culte des ancêtres, ce peut être la fille aînée qui s'acquitte de cette tache quand les parents n'ont pas adopté un garçon, ce qui est quand même le cas le plus fréquent.

Le culte des ancêtres

Les textes traditionnels différencient la coutume d'enterrer les morts, le fait de commémorer l'anniversaire des morts et le culte des ancêtres.

On retrouve le culte des ancêtres dans d'autres pays d'Asie, mais ce n'est qu'au Vietnam et en Chine qu'il a pris une telle importance. Il est le centre de la vie spirituelle des vietnamiens (études vietnamiennes, page 35). Au Japon il existe aussi, mais il est moins central. L'autel des ancêtres est souvent dans la chambre à coucher des parents et non dans la pièce principale comme au Vietnam.

Il semble que ce culte date de la période pendant laquelle le Vietnam a été occupé par les Chinois.

Ce qui est particulier au Vietnam c'est d'avoir lié le culte des ancêtres et le culte des génies du village. Si toutes les nations ont une histoire de leur origine, toutes ne rendent pas un culte aux ancêtres fondateurs des communautés villageoises.

A travers le culte des ancêtres se crée un lien « individu-famille-lignage-village-pays ». Sur le plan des croyances, ce culte est basé sur l'idée que la mort n'interrompt pas la vie.

« L’individu dans la vieille cité annamite » Nguyen Manh Tuong, Imprimerie de la Presse Montpellier 1932 nous lisons : L’effet de la se borne à changer la vie dans certains de ces caractères. Elle lui soustrait sa matérialité tangible. Mais là se limite son action. Comme auparavant, les besoins organiques continuent à se manifester : le défunt aura à s’occuper de son logement, de sa nourriture, de ses divertissements. Il sera doté d’une vie occulte, latente.

Sa protection tutélaire ou son action malfaisante continuera de s’exercer sur ses descendants. Aux heures solennelles de la vie, il reviendra s’asseoir sur l’autel des ancêtres, il jouira du spectacle de sa famille assemblée, goûtera aux aliments, respirera l’encens qu’a prodigués la piété filiale. »

On peut dire que le groupe familial comporte les vivants et les morts sur cinq générations.

Les morts dorment leur dernier sommeil dans la terre que de leur vivant ils ont labouré, dans le paysage qui leur est familier. On voit donc partout des tombes au milieu des rizières.

Il y a une pratique qui consiste à enterrer le corps deux fois. En effet, 3 ans après la mort, une nuit de pleine lune, on déterre le cadavre, on nettoie les os et on le ré-enterre. Si la première inhumation n'a pas pu se faire dans le village des ancêtres de la famille, on s'arrange pour que les os puissent être enterrés dans le village des ancêtres.

Le culte des ancêtres leur est rendu devant l'autel des ancêtres auprès duquel la famille se réunit pour chaque anniversaire de mort et pour les grands évènements familiaux. Aujourd'hui il y les photos des ancêtres sur l'autel des ancêtres. Avant il y avait des tableaux. J'ai vu dans une maison des boites pour les âmes. Ce sont de petites armoires, disposées sur l'autel des ancêtres, les couples l'un à côté de l'autre, les personnes qui ne se sont pas mariées donc sans descendance sont à une place particulière. Dans ces petites armoires, on dispose quelques objets personnels du défunt qu'il utilisait régulièrement et auquel il tenait : par exemple une pipe pour un homme, un petit livre, ou bien un bijou ou une barrette pour une femme. Quand on fête l'anniversaire du mort, on ouvre la boite avant de faire les prières et ainsi on est plus proche de lui par la mémoire.

De leur vivant, les parents et anciens encore en vie, s'ils sont l'objet d'injures ou de menaces ou d'agression de la part d'un de leur descendant, ce dernier sera sévèrement puni par la loi qui empiète ainsi dans le domaine privé. On comprend donc que si l'on injurie ou parle mal d'un mort, la faute en est d'autant plus grande qu'on ne peut pas réparer. Ce dernier pourra se venger. Il est donc doublement important d'honorer les morts.

Voilà pour le culte des ancêtres.

On peut retenir de ces pratiques que la place de chacun dans la famille au niveau synchronique et diachronique est fondamentale. Elle assure l'harmonie du groupe familiale.

 IV Ce qui s'est passé pendant la guerre de libération

Sur le plan législatif, une première loi date de 1959 et traite entre autre du statut de la femme. La polygamie est interdite, le divorce est autorisé, le libre choix des parties est indispensable pour contracter une union matrimoniale. Cette loi a du être modifiée en 1987 car la loi de 1959 ne mentionnait pas du tout le statut des enfants naturels et de leur mère.

Les enfants naturels n'avaient pas d'existence légale et n'étaient pas déclarés à l'état civil. Leur mère était rejetée par leur famille et par la société. Dans cette loi, également, les parents ont des devoirs envers les enfants et les enfants ont des devoirs envers les parents. Ils leur doivent assistance en cas de nécessité, mais aussi respect et obéissance. Ceci est réaffirmé chaque fois que l'on remanie la loi. Par exemple en 2004 quand on a modifié la loi sur les enfants délinquants en introduisant les alternatives à la privation de liberté, on a réaffirmé le devoir d'obéissance des enfants envers leurs parents.

Les familles n'ont pas le droit d'avoir plus de deux enfants.

Pendant les 30 ans de la guerre de libération, il a été interdit de pratiquer le culte des ancêtres. Je cite Nguyen Thanh Huyen, un penseur vietnamien, texte de 1994 dans les Etudes vietnamiennes : « Les Viets n'ont jamais renié le culte des ancêtres. Pour certaines raisons, ce culte était parfois négligé mais à la faveur de certaines circonstances, il revit avec une force inimaginable. Cette négligence est peut-être due aux aléas de la guerre prolongée.

Cependant cette explication n'est peut-être pas tout à fait complète. La raison principale ou non moins importante est qu'il est un temps où le culte des ancêtres était considéré comme une superstition pas conforme à l'idéologie matérialiste athée prédominante. On le reniait, parfois sous la pression de la communauté, l'esprit collectif étouffant toute déviation individuelle ».

En même temps, du fait de la guerre beaucoup de soldats morts n'ont pas pu être enterrés ou ont du être enterrées sur place. Après la guerre la réforme agraire a entraîné une redistribution des terres et donc les anciennes tombes qui se trouvaient près des habitations se sont trouvées bousculées et détruites, si bien qu'on ne les a plus retrouvées. Tout ceci donc a créé un grand désarroi dans la population.

Malgré cet interdit, les croyances se sont maintenues. Je cite un livre de Bao Dinh : « Le chagrin de la guerre" paru en français en 1997 chez Picquier et censuré en partie au Vietnam. Il parle d'un bataillon qui s'est fait presque totalement décimé par les forces américaines en 1969. "Plus personne ne parle du 27ème bataillon. Pourtant, refusant de rejoindre le ciel, les fantômes, les démons nés de cette défaite continuent d'errer. On a donné à ce coin le nom effrayant des "Ames hurlantes". C'est pourquoi, lorsque le régiment B3 est venu stationner dans cette région pendant la saison des pluies en 1974, Kien (c'est le héros de l'histoire, un cadre militaire) et les soldats ont du dresser un autel, organiser une cérémonie sécrète pour prier, consoler les âmes des soldats du 27ème bataillon encore agglutinées dans les fourrées.

Des jours et des nuits durant, les flammes, les pointes incandescentes des bâtonnets palpitaient dans la fumée des encens. » Il n'était pas possible de passer outre une pratique aussi fondamentale dans l'esprit des vietnamiens et les cadres le savaient. Les âmes des morts auraient cherché à apporter le malheur.

La pratique du choix des noms a également été modifiée ; moins dans l'interdit de donner le nom d'un ancêtre sur cinq générations (cette pratique s'est poursuivi sans interruption même si elle est passée à trois générations) que dans la recherche d'un nom qui reflète la place de l'enfant dans la famille. Je peux donner un ou deux exemples. J'ai eu écho de quelques histoires significatives. Le cousin d'un ami a fait la guerre au Sud, loin des siens dans les marécages du delta du Mékong. Quand il est revenu en 1975, il était très perturbé. Il a fini par se marier et il a eu un fils. Il l'a appelé « marécage ».

Quelqu'un d'autre était en Russie pendant la guerre et s'occupait des avions migs. Il est parti laissant sa femme enceinte de peu. Elle lui a écrit pour lui demander le nom qu'il souhaitait donner à son enfant. Il a répondu que si c'était un garçon il souhaitait qu'il s'appelle « Mig ». Mais la lettre n'est jamais arrivée. La mère a donc donné un autre nom à son fils. Au retour du mari quelques années après, il a été surpris. La mère est à nouveau enceinte, elle accouche d'une fille. Le père décide de l'appeler « Mig » le nom qu'il voulait donner à son fils.

Une autre femme garde un très bon souvenir des années d'études passées à Moscou. Elle appellera son premier enfant « Moscou ». Giap a appelé son fils Dien Bien. Cela a été discuté dans les journaux car les gens trouvaient que ce n'était pas normal que le général Giap s'approprie ce nom. Ces noms ne sont plus des noms familiaux, ce sont des noms chargés de sens pour la personne qui en fait le choix.

V La période actuelle

Après le Doi Moi, c'est à dire le renouveau qui date de 1986, l'on a constaté un retour rapide de la plupart des habitants aux coutumes du culte des ancêtres et à l'attention portée au choix des noms.

Quelques mots sur le Doi Moi.

Après la guerre, l’URSS est intervenue pour aider le Vietnam à mettre en place une économie planifiée et la réforme agraire. Certains vietnamiens parlent des tracteurs rouges qui ont débarqué pour cultiver les rizières. Un vrai désastre. On ne peut pas cultiver les rizières avec un tracteur. Le Vietnam a connu quelques années de famines dramatiques.

C'est le moment des « boat people ». L’URSS a aidé le Vietnam financièrement et a formé un grand nombre de cadres. Puis dans un climat déjà dramatique économiquement et socialement, en 1986, du fait de la « perestroïka » le grand frère russe les lâche. C'est une catastrophe. Le Vietnam opère alors une révision déchirante en ouvrant le pays sur l'extérieur d'un point de vue économique, en permettant les échanges avec les Vietkieus ainsi que le retour à une privatisation des terres dans les campagnes. En 1988 il y a eu la chute du mur de Berlin. Cela a représenté pour les dirigeants Vietnamiens un effondrement psychologique ; ils ne s'en sont pas encore vraiment remis.

Le régime étant ainsi ébranlé les gens se sont spontanément tournés vers la tradition avec une période d'interrogation qui dure encore aujourd'hui au niveau des cadres du parti qui ne savent plus quelles sont leurs références au niveau éthique. Ce sont des sujets qui sont largement discutés au Vietnam publiquement.

Les sentiments exprimés étaient les suivants : Il est nécessaire de retrouver nos traditions, c'est une façon de préserver notre identité, nous voyons ce que cela donne de suivre les autres, à un moment ou à un autre ils nous lâchent.

Les camions, les autobus étaient pour la plupart du matériel russe et il n'a plus été possible de trouver des pièces détachées, etc. Maintenant il y a d'autres véhicules mais pendant des années c'était le grand bricolage.

Nous allons voir que les 3 ordres de références qui organisaient la vie dans le Vietnam traditionnel vont être mobilisés pour réorienter les choix de vie après le choc de l'effondrement de la Russie.

Nous allons retrouver la famille, les intellectuels et les cadres du parti (ils remplacent les lettrés de jadis qui avaient une fonction dans l'administration et le gouvernement). Chacun de ces piliers de la société va répondre de sa place sur la façon de concilier modernité et tradition.

 

1) Au niveau des familles

Le respect du culte des ancêtres. Les gens se sont mis à rechercher leur mort, c'était ce qui les avait le plus choqués dans les directives gouvernementales. Les recherches ont été confiées à des médiums ou des géomanciens. Les branches des familles qui avaient émigré à l'étranger ont commencé à pouvoir revenir au Vietnam et ont participé à la recherche des tombeaux ou des morts. Ils apportaient l'argent et en même temps ils se regroupaient autour des médiums pour participer à l'enquête nécessaire pour avoir des pistes pour retrouver les corps. Des amis m'ont dit à quel point ces pratiques ont permis à des familles, anciennement divisées du fait de la guerre, de pouvoir à nouveau se parler et se retrouver.

Donc dans un premier temps ce mouvement est spontané, et le gouvernement ne voit pas cela d'un très bon oeil. Devant l'ampleur que prend le phénomène, le gouvernement va décider de l'autoriser et de l'accompagner. Cela veut dire que les personnes peuvent recevoir de l'argent ouvertement de leur famille à l'étranger pour refaire les tombes, qu'un individu peut prendre quelques jours de congés quand il s'agit de partir à la recherche des morts ou de les enterrer quand on en a retrouvé. Il va même y avoir des médiums fonctionnaires. Ceci s'est produit dans les années 1997/98/99.

Voici une histoire qui montre la capacité de concilier tradition et modernité.

Une femme mariée et mère de famille ne s'est pas consolée de la mort de son frère à la guerre car il n'a pas pu être enterré et la tradition n'a pas été respectée. On fait venir un médium et la famille des USA vient aussi pour cette réunion familiale. On discute longuement sur les dernières nouvelles que les uns et les autres ont eues du frère alors qu'il était encore en vie. Le médium estime avoir assez de renseignements pour pouvoir partir en recherche.

Au bout de deux ans, il informe la famille qu'il a trouvé des ossements qui correspondent aux indications recueillis. La soeur est très heureuse, elle peut enfin commencer son deuil. Toutes les cérémonies sont pratiquées et on met la photo du frère sur l'autel des ancêtres.

La soeur va mieux, la vie reprend son cours. Mais voilà que 2 ans après, le médium réapparaît pour dire qu'il a trouvé un autre corps et qu'il pense que celui-ci est vraiment le bon. Crise familiale. La soeur ne veut pas en entendre parler. C’est avec le premier qu’elle a fait son deuil.

Finalement le mari fait faire des recherches génétiques pour savoir lequel est le bon. C'est le deuxième qui est le bon. La famille va donc décider d’enterrer les deuxièmes ossements comme ils l’avaient fait pour le premier, avec tout le rituel nécessaire. Il y a donc 2 tombes et une seule photo sur l’autel des ancêtres.

Quasiment tous les Vietnamiens actuellement ont un autel des ancêtres dans leur maison, même les plus fervents communistes.

Le choix des prénoms : la pratique actuelle est fonction des familles et de leur croyance. Dans les villages le retour aux pratiques traditionnelles est le plus fréquent. Dans les villes, les médiums sont beaucoup sollicités ; le bouddhisme encadre davantage les pratiques. Le nom est donc choisi soit par les parents seuls, mais le plus souvent c'est en accord avec les grandparents, soit avec l'aide d'un bonze ou d'un devin qui connaît l'astrologie. Le discours c'est que le pays, le reste du monde, traverse une période très bouleversée et qu'il faut donc être vigilant à se replacer dans le sens de l'harmonie générale. Discours éminemment confucéen.

Actuellement les parents donnent souvent comme nom intermédiaire le nom principal du parent du même sexe. Plus personne ne donne comme nom intermédiaire le phonème qui permettait une identification du sexe de l'enfant. C'est ressenti comme un peu humiliant. Il est alors encore plus difficile même pour les Vietnamiens de reconnaître le sexe de l'enfant à travers son nom principal.

Un exemple récent : un ami médecin m'a raconté que son fils aîné est né l'année du tigre et avec une configuration astrale au moment de la naissance qui renforce encore le côté agressif du signe. Sa femme et lui ainsi que les grands-parents sont allés rencontrer un bonze qui a conseillé de donner un prénom qui adoucisse la conjoncture néfaste. Il s'appelle donc « conciliant ».

Un autre exemple : Dans une autre famille les parents du père sont morts quand il était très jeune. C’était au début de la guerre. Il a été élevé par son oncle sans être adopté. Il y a donc une rupture dans le culte des ancêtres. Sa lignée ne peut plus apparaître dans la filiation. Ce couple a 3 filles qui porteront comme nom intermédiaire le nom principal de la mère, et un garçon à qui l’on donnera Van comme nom intermédiaire. A la génération d’après, la mère dont le père est devenu un intellectuel important au Vietnam, souhaite que ses 2 garçons portent le même nom intermédiaire qu’elle, nom qui indique la filiation de son côté ; mais elle donne à son fils aîné comme nom principal le nom intermédiaire du père.

A la génération suivante, le fils aîné souhaite rétablir la filiation paternelle et va donner le nom de son père comme nom intermédiaire à son fils aîné. La grand-mère va accepter, bien qu’elle ne soit pas satisfaite de ce que sa filiation à elle, qu’elle juge plus glorieuse, disparaisse du nom de l’aîné de ses petits-fils. 

Actuellement que ce ne sont plus les grands-parents qui choisissent les noms, une grande inventivité est possible dont on voit qu’elle est très chargée de sens par rapport à la filiation.

2) Au niveau des intellectuels

 Ces questions sont discutées dans le parti. Comment cela est-il possible ?

C'est qu'il y a une similitude entre le communisme et le confucianisme. Je cite un texte du docteur Nguyen Khac Vien, dans son livre publié en 1993 : Souvenirs et commentaires :

« Le marxisme ne déroutait nullement les confucéens en centrant les réflexions de l'homme sur les problèmes politiques et sociaux. L'école confucéenne ne faisait pas autrement. En définissant l'homme par la totalité de ses rapports sociaux, le marxisme ne choquait guère les lettrés qui considéraient que le but suprême de l'homme est d'assumer correctement ses obligations sociales. De la définition purement morale des obligations sociales dans le confucianisme à la définition scientifique des rapports sociaux dans le marxisme, il y a certes la différence qui sépare une pensée scientifique d'une doctrine purement éthique, mais on se meut dans le même plan, on reste dans le même ordre de préoccupation. Quand il passe de la société traditionnelle à la société socialiste, l'homme confucéen adopte une discipline sociale nouvelle. Mais au fond de lui-même, il n'a jamais été hostile au principe même d'une discipline collective, la considérant comme indispensable au développement de sa propre personnalité ».

Ou encore : « Quel sera le lien qui, dans les conditions actuelles d'une société urbaine avec des familles nucléaires parentes, mais dispersées géographiquement, unira leurs membres ?

Ce lien de parenté est-il nécessairement lié à une structure techno-économique déterminée ?

Ou dépend-il d'autres facteurs, au quel cas il pourrait persister et continuer à jouer un rôle dans un système économique nouveau ? Nous avançons l'hypothèse de la persistance de ce lien car il est lié au monde des croyances qui peuvent se transmettre d'un système économique à un autre. Il ne s'agit pas d'une religion au sens occidental du mot mais d'un ensemble de croyances ou d'idées acceptées par la quasi-totalité de la société, par les fidèles de n'importe quelle religion. Cet ensemble de croyance se concrétise par un ensemble de pratiques rituelles :  anniversaires, rites funéraires, rites de deuil, de mariage… (Je rajouterai pratique de nomination des enfants, l’auteur que j’ai bien connu n’avait pas d’enfant)) Par cet ensemble de croyances et de pratiques rituelles, chaque individu est lié non seulement aux membres d'une parenté encore vivante, mais aussi aux ancêtres lointains. Le lien qui unit les membres d'un même lignage ne joue plus sur le plan économique : en cas de difficulté l'individu a recours aux services sociaux, plus à la parenté. Le lien qui persiste est de nature symbolique : c'est un ensemble de rites et de croyances. Il est certain que si un enfant dés le plus bas âge accomplit à l'imitation de ses parents tout un rituel en communion avec les membres d'une famille élargie, sa formation socioculturelle sera entièrement différente de celle d'un enfant qui n'a jamais pratiqué le culte des ancêtres. La présence de l'autel des ancêtres dans chaque foyer, la célébration périodique du culte, l'existence d'un temple familial pour chaque lignage font que les morts continuent à être présents dans la vie de chacun. »

Ces questions sont donc discutées publiquement dans les revues et les journaux. 

3) sur le plan gouvernemental 

Le gouvernement aussi s'intéresse à ce retour à l'identité vietnamienne. 

En 2004, il a été décidé que la fête nationale ne serait plus double comme actuellement, partagée entre la proclamation de l'indépendance par Ho Chi Minh début septembre 1945 et la réunification du pays en 1975. La date choisie est celle de la fête des rois Hungs dont nous avons déjà, parlé. Les décisions sont l'objet de discussions organisées par le parti avec le peuple à travers les journaux.

Un autre exemple : il est question de construire pour la ville de Hanoi un grand cimetière de 2000000 de places. On a décidé de le construire dans une très belle vallée un peu en dehors de Hanoi. On a réuni les différents responsables des communautés spirituelles pour décider comment le cimetière devait être construit. Doit-il y avoir un temple bouddhique au centre, mais également alors aussi une église, etc. Doit-il y avoir des aménagements permettant la possibilité de fêter un ancêtre d'une même lignée à plusieurs dizaines de personnes ? J'ai entendu parler de cela pendant mon séjour à Hanoi en juin 2004. Cette question est considérée comme très importante car les morts sont les intermédiaires entre la terre et le ciel. Ils sont aussi les intercesseurs. Donc il faut en prendre soins. Voici un exemple de comment le gouvernement cherche à être présent concrètement dans ce retour aux traditions.

Il y a donc deux courants qui s'affrontent de façon très visible. Le premier courant dit « moderne » voudrait desserrer le carcan de la hiérarchie à tous les niveaux, depuis l'éducation jusqu'aux relations du travail. Il y a de grandes discussions au sujet la liberté de parole que l'on peut accorder aux enfants pendant les classes de maternelle. La réforme de l'éducation scolaire est un thème prioritaire cette année.

Les connaissances psychologiques sont diffusées. La montée de la délinquance est attribuée au manque d'encadrement de la jeunesse du fait que les parents recherchent exclusivement l'amélioration de leur bien être matériel en travaillant 60 heures par semaines, au détriment du temps passé à l'éducation des enfants.

Pourtant, au sujet des enfants en conflit avec la loi sur lequel j'ai travaillé au Vietnam, il est très difficile de faire comprendre le lien entre l'enfance maltraitée et la délinquance. La sévérité des parents ne peut pas encore être remise en question.

Un autre courant attribue les difficultés de la société à un affaiblissement de l'autorité lié à l'influence des habitudes occidentales. Ils souhaitent donc plutôt renforcer le retour à la tradition et le respect de la hiérarchie. Est-ce que le retour à la tradition doit être automatiquement associé au respect de l'autorité hiérarchique ? Tout ceci fait l'objet de discussions publiques.

Ainsi, à tous les niveaux, au niveau individuel, au niveau des intellectuels (les anciens lettrés qui dirigeaient les villages et les villes) et au niveau du gouvernement tout le monde se met au travail pour retrouver les sources de la tradition vietnamienne et les accommoder aux mutations socio-économiques 

VI Peut-on donner un sens à ces pratiques ?

 Il me semble intéressant d'utiliser une méthode comparative en regardant ce qui se passe en France quant au choix des prénoms, pour donner sens au pratique Très brièvement il me semble que la différence la plus importante vient de ce que nous avons légiféré sur les prénoms jusqu’à très récemment depuis le code civil dit « code Napoléon ». Il est aussi mentionné l’interdiction de changer de nom et de prénoms. . Ceci date de la révolution française mais existait déjà auparavant. Antérieurement c’était l’Eglise qui tenait les registres de l’état civil. Le prénom que l’on pouvait choisir était des prénoms chrétiens ou de l’antiquité.

Depuis 1993 le choix est totalement libre. En 2002 on a ouvert des possibilités de choix pour le nom de famille. Pour nous tous, cette liberté de choix est associée à la modification de l’institution familiale dans notre société.

Quel commentaire peut-on faire à partir de l'examen comparatif de ces pratiques ?

Jusque donc il y a un demi-siècle environ, la plupart des rites qui chez nous accompagnaient les évènements importants de la vie étaient des rites religieux, chrétiens essentiellement dans notre culture. La naissance, le mariage et la mort étaient encadrés par les saints sacrements. Il n'y avait pas de tradition proprement familiale.

Aujourd’hui, les évènements importants de la vie d'un individu ne sont plus accompagnés par le rituel de l'église qui leur donnait sens. Traditionnellement la tache de l'éducation était de faire advenir l'enfant à l'existence psychique et sociale à laquelle il était destiné. Il participait à un certain nombre de rituels qui rythmaient les temps de la vie : naissance, adolescence, mariage, mort.

Si l'on rapproche cette évolution sociologique de celle des progrès scientifiques qui ont conduit à la contraception on en arrive à ce que l'enfant devient essentiellement ce que Marcel Gauchet appelle « l'enfant du désir ». Il a écrit un article à ce sujet dans le numéro de la revue Débat «Enfant-problèmes » de novembre 2004 qu'il intitule L'enfant du désir. Je le cite : « Le berceau du désir, (il reprend l’expression que Marie-Rose Moro a initié en parlant de "berceau culturel")donc, est ce noeud qui se tresse au cours des années 1970 entre l'aboutissement d'un processus venu de loin et les avancées de la science médicale.

Evènement extraordinaire à l'échelle de l'histoire des sociétés : la reproduction cesse d'être une histoire collective par excellence, celle qui commandait le lien vital entre les êtres et en déterminait les formes. C'est cela que veut dire désinstitutionalisation de la famille. Ce qui liait primordialement les êtres, ce qui rendait leur coexistence indéfectible était suspendu à la nécessité de la perpétuation de l'espèce et de la continuation de la collectivité. A la charnière de la nature et de la culture, la famille était l'instance médiatrice chargée indissolublement de produire des vivants et de les transformer en être pour la société. Il lui revenait de transfigurer la reproduction biologique en reproduction culturelle... » Et plus loin :

« Les liens familiaux sont devenus libres. Ils sont passés, pourrait-on dire, de la sphère de la socialité primaire, celle qui participe de l'institution du social à la socialité secondaire, celle qui procède des options des individus. »

Nous voyons à quel point la nomination des enfants en est le reflet. Ce que nous avons rencontré au Vietnam et nous avons essayé de le démontrer, c'est une société qui s'arque boute pour ne pas perdre ce qui fait sa spécificité, autour d'un ordre symbolique qui remonte à des siècles et dont le fondement est l'organisation groupale familiale qui remonte vers l'organisation villageoise et vers l'organisation étatique. Elle partage cette spécificité avec la Chine.

Si nous revenons à Anne Cheng : « En tant que phénomène religieux, le culte des ancêtres manifeste le groupe de parenté comme paradigme de l'organisation sociale, et c'est sans doute pour cette raison que, au-delà de sa fonction proprement religieuse, il a contribué à l'élaboration d'une certaine conception de l'ordre sociopolitique en Chine ». C'est ici le terme « groupe de parenté » qui a son importance. 

L’évolution semble se faire d’un détachement du formalisme des rites et de leur concrétude vers une découverte de leur importance symbolique. Comme le disait très bien Nguyen Khac Vien que nous avons déjà cité : « Le lien qui persiste est de nature symbolique, c’est un ensemble de rites et de croyances ».

Les Vietnamiens se demandent aujourd'hui si malgré la pression de la société de consommation ils sauront conserver leur spécificité.

J'ai eu récemment entre les mains un livre de nouvelles écrites par de jeunes écrivains vietnamiens entre 1991 et 2003. Le style de l'écriture est très différent des livres publiés les décennies précédentes qui contenaient presque tous une dimension épique. Le récit est plus subjectif, plus personnel. Mais toutes ces nouvelles sont traversées par la problématique du lien entre les traditions du passé et une neuve revendication de liberté.

Une des nouvelles par exemple s'intitule « chipie ». Ce texte est d’inspiration bouddhique. Il montre l’omniprésence du tiers quel qu’il soit dans les relations familiales. C'est le récit d'un conflit voilé entre une mère et sa fille. La mère reproche à sa fille d'avoir deux liaisons simultanées et de promettre le mariage à chacun des garçons. Elle ne comprend pas. Ce qu'elle supporte le moins c'est la duplicité de sa fille vis à vis des garçons qu'elle fréquente. Elle scande ses discours par « mais que t'ai-je fait dans une vie antérieure pour que tu te venges ainsi sur moi ». La jeune fille se demande si elle parlera ainsi à sa propre fille plus tard.

Finalement elle accepte les conseils de sa mère, elle choisit celui avec lequel elle s'entend le mieux et en avertit l'autre. On peut se demander si cette expression « Que t'ai-je fait dans une vie antérieure » n'est pas finalement l'expression qui fait basculer la fille dans un comportement plus proche de sa mère. Ce n'est pas un conflit entre deux subjectivités, ce n'est pas un conflit entre l'ancien et le moderne. Ce qui est en jeu de façon assez subtile somme toute, c'est ce qui est transmis dans le transgénérationel pour le meilleur et pour le pire et qu'il faut bien accepter. La médiation de l'histoire passée est invoquée en termes très généraux qui ne culpabilisent personne.

En conclusion

Pour donner sens à cette description du fonctionnement familial vietnamien actuel, il me faut raconter une histoire de changement de nom principal pour un bébé ayant des difficultés de développement.

Une amie me raconte l'histoire de sa cousine. « En fait, comme mes oncles, parents de mon cousin, ne sont pas trop traditionnels, ils ont laissé la liberté à leurs enfants de choisir le prénom pour mon neveu. C'est mon cousin, qui s'appelle Duc, qui a choisi le prénom pour son garçon après avoir discuté un peu avec mon oncle (simplement comme par respect envers ses parents car le bébé sera un garçon, ce qui est toujours très apprécié par les beaux- parents, alors ils le laissent choisir) Son prénom est donc Duc Manh : "Duc" est le nom intermédiaire qui signifie vertu ou générosité et "Manh", le nom principal qui signifie la force. (Le nom intermédiaire donné à l’enfant est le nom personnel du père). Après la naissance du bébé, ma cousine, s'inquiétant du futur de son garçon, a consulté un bonze qui est aussi devin, pour savoir si le nom de l’enfant était bon. Comme il dit à la maman que ce nom n'est pas bon pour son enfant, et même pour sa future femme, ma cousine a demandé à son mari de donner à ce dernier un autre prénom mais il ne l'a pas accepté. Il lui a dit de ne pas croire à des bêtises.

Plusieurs mois après, en voyant que son garçon n'est pas très en forme, il a mangé très peu, il ne grossit pas, il a accepté la proposition de sa femme. Et cette fois c'est elle qui a choisi le prénom avec ses parents et ses beaux-parents pour son garçon avec l'accord, bien sûr, de son mari. Et le bébé maintenant est plus vif, se développe mieux, bien qu'il ne mange toujours pas beaucoup, comme auparavant. »

A signaler que le bonze n’a pas imposé de nouveau nom. C’est la famille qui décide de ce qu’elle veut faire.

Je souhaitais rencontrer cette jeune femme mais cela n’a pas été possible. J’aurais voulu lui demander pourquoi elle pensait que ce n’était pas un bon nom. Pour moi, il est évident que se cache derrière cette histoire un problème de relation homme/femme et un conflit de génération. Le bonze donne cette réponse superbe que ce nom n’est pas bon non plus pour la future femme. (« Force » c’est un prénom un peu machiste, dirions-nous).

Grâce aux coutumes, sans que rien ne soit explicitement désigné, le problème va se résoudre avec une légère modification des places de chacun dans l’organisation familiale et une nouvelle harmonie se crée…. jusqu’à peut-être la prochaine difficulté.

Nous avons vu grâce à une comparaison avec les pratiques françaises, que l’accueil de l’enfant et donc sa place dans la famille était très différent dans ces deux cultures. Chez nous, le désir d’enfant est au premier plan. Mais de quel désir s’agit-il ? Au Vietnam, la place dans la famille est au premier plan, au prix d’une incontestable contrainte éducative.

Nous avons vu dans l’exemple cité que toutes les coutumes concernant le choix des prénoms et les interdits et tabous associés à ces choix ont à voir avec les problématiques principales de la constitution du sujet.

Deux problématiques s'interpénètrent :

• Une problématique narcissique des parents qui peut entraver le développement du narcissisme de l'enfant ; elle est atténuée par la pratique du surnom péjoratif donné au bébé quand il est petit, ou la pratique du changement de nom.

• Une problématique plus oedipienne qui a trait aux questions de rivalité et de place dans les générations ; elle est atténuée par l'interdit de donner le nom d'un ancêtre à un enfant, par la place du culte des ancêtres au sein de la vie familiale ; cette dernière pratique influence sûrement la constitution de ce que les psychanalystes appellent les fantasmes originaires.

Je fais l'hypothèse que le fait de valoriser la nécessité pour chacun de trouver son insertion dans le milieu familial et social place les pratiques qui entourent le développement de l’enfant en position de tiers et permet d’éviter les pièges qui pourraient se trouver sur le chemin de ce  développement du fait d'une relation imaginaire envahissante et problématique entre les parents et l'enfant.

Notre évolution, en France, met en avant la possibilité pour chaque individu de se construire lui-même en fonction des éléments particuliers de son histoire personnelle et culturelle. Les liens de filiation qu’il bâtira seront le reflet de cette création personnelle et elle pourra à son tour se perpétuer. C’est une tâche exaltante mais difficile. La question se pose pour ceux qui n’ont pas la possibilité de faire ce travail. Rien ne vient plus les encadrer.

C’est comme cela que je ressens la différence entre nos deux cultures. Les Vietnamiens en sont, comme pour le reste, plus ou moins conscients. Trouveront-il une voie médiane pour penser le rapport individu/société ? 

 
 
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