Delta du Mékong : le triangle des inquiétudes

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Delta du Mékong : le triangle des inquiétudes

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Très touché par le réchauffement climatique et l'urbanisation, le sud du Vietnam cherche des parades pour sauver son riz et ses populations

C'est un enfant du delta des neuf dragons qui raconte la montée des périls. Depuis une cinquantaine d’années, Duong Van Ni sillonne le sud du Mékong. Ce Vietnam méridional où vivent 19 millions d’habitants, ce «bol de riz» de la planète qui nourrit une quarantaine de pays. Il se souvient, enfant, comme «il était facile d’attraper des serpents, des fruits, des légumes, des poissons. La vie était facile et il n’y avait guère d’inquiétude pour se nourrir. Ce n’est plus le cas aujourd’hui», raconte ce professeur au collège d’environnement et des ressources naturelles de l’université de Can-Tho (1).

Le delta du Mékong est l’une des régions au monde les plus menacées par le réchauffement climatique. D’ici à 2050, la température devrait augmenter de 3 à 5° celsius et l’eau monter d’un mètre à l’horizon 2100, engloutissant une bonne part des 40 000 kilomètres carrés des neuf bras du Mékong selon la Commission du fleuve.

Vaste plaine rizicole quadrillée par des canaux et des rivières, le delta est de plus en plus soumis à des épisodes climatiques extrêmes et imprévisibles, des sécheresses prolongées comme des crues dévastatrices. Il ne se situe qu’à quelques mètres de hauteur au-dessus du niveau de la mer de Chine. «Mais il ne faut pas s’arrêter au seul problème de la montée des océans, avec lequel on nous rabâche les oreilles, et éviter de dépenser des sommes considérables pour bâtir des digues», s’agite Duong Van Ni qui ne cède jamais au catastrophisme et préconise des mesures simples et concrètes. Car «cette région pauvre qui vit de l’agriculture et de la pisciculture est affectée par de nombreux maux au niveau local, comme au niveau global.»

Depuis cinquante ans, la population a doublé dans le delta des neuf dragons et cette pression démographique a accompagné une production agricole intensive qui fait des ravages. Chaque année, plus de 25 millions de tonnes de riz sont récoltées tandis qu’entre 2 et 4 millions de tonnes de crevettes et de poissons sont pêchées. Mais les rendements sont déjà menacés par des chambardements climatiques et régionaux d’ampleur.

L’effet des barrages

Premier facteur aussi visible que perturbateur, les barrages. «Ils ont un impact considérable sur les 4 800 kilomètres du Mékong et fragilisent les populations locales de l’Himalaya et surtout au Vietnam qui se trouve à l’embouchure, constate Duong Van Ni. Ces dernières années, la Chine en a construit 8 dont 5 sont déjà en fonctionnement et en prévoit une dizaine d’autres. La Thaïlande en projette 10. Le Laos et le Cambodge sont également lancés dans des chantiers colossaux. On voit déjà les conséquences : la quantité d’eau douce a baissé, tout comme les sédiments et limons, laissant entrer l’eau de mer.»

Directeur du bureau de coordination pour le changement climatique à Can-Tho, la plus grande ville du delta, Ky Quang Vinh dit avoir «vraiment senti l’effet des barrages en 2015. Le débit est trop souvent imprévisible. On parvient à se coordonner au sein du Comité du Mékong [où siègent la Chine, la Birmanie, la Thaïlande, le Laos, le Cambodge et le Vietnam, les six Etats traversés par le fleuve, ndlr], mais les Chinois ne communiquent jamais quand ils ouvrent les vannes, ils relâchent quand ils veulent».

La multiplication des retenues sur le cours du Mékong a produit des effets néfastes. La raréfaction des sédiments, boues et végétaux a non seulement appauvri les sols mais également accéléré l’érosion des côtes. Environ 500 hectares disparaissent chaque année. Les populations affrontent un manque croissant d’eau douce. «Les femmes qui s’occupent de la préparation des repas, de l’éducation des enfants doivent parcourir plus de distance pour en trouver, constate le Pr Duong Van Ni, qui a multiplié les enquêtes de terrain depuis vingt ans. Les familles modestes sont prises dans une spirale d’appauvrissement qui s’accélère. Les études que nous menons montrent que la moitié des enfants souffrent de malnutrition. On est arrivé à un point où les mères de famille dépensent plus pour la santé que pour les repas et l’éducation.»

A Can-Tho (Vietnam), dans le delta du Mékong, en novembre 2015 (Photo Olivier Donnars).

La hausse des températures accroît l’humidité de l’air qui favorise la prolifération des maladies, notamment la dengue. Et comme les quantités d’eau douce et potable diminuent, les populations locales n’ont parfois pas d’autres choix que de consommer des liquides pollués ou salés.

La pénétration des eaux salées ne connaît pas de répit depuis les années 2000. Elles s’infiltrent jusqu’à 60 kilomètres à l’intérieur des terres, bouleversant les cultures et les habitudes des villageois. «Avant 2007, l’effet de la marée sur le niveau du Mékong était négligeable, note Ky Quang Vinh dans son bureau de Can-Tho. Mais, dorénavant, le courant qui accompagne la marée est plus puissant. Il est passé de 13 000 m3/seconde à 17 000, faisant monter de 5 centimètres le niveau du fleuve.»

Devant des cartes et des relevés, Ky Quang Vinh constate dans le même temps que le delta s’affaisse sous l’effet du pompage massif dans les nappes phréatiques. L’augmentation de la population et les besoins croissants d’une économie vietnamienne qui ne connaît pas la crise siphonnent les réserves souterraines. Et l’extraction illégale de sable fragilise un peu plus un environnement précaire. Le directeur du bureau de coordination pour le changement climatique rappelle comment, en 2011, la montée des eaux de mer s’est cumulée avec des «crues historiques qui ont duré plus de trois mois, paralysé l’économie et occasionné d’importants problèmes sanitaires».

Au chevet du riz

La culture du riz est frappée de plein fouet par ces bouleversements et c’est l’économie du Vietnam qui s’en trouve fragilisée. Les agriculteurs doivent, eux aussi, composer avec la salinité, la hausse des températures, la submersion et la multiplication des maladies. Professeure à l’Institut de recherche sur le riz de Cuu Long, Nguyen Thi Lang a déjà fait ses calculs. «Les rendements ont baissé d’environ 15% depuis une dizaine d’années. Sur 90 espèces de riz, une trentaine sont menacés par ces changements, explique la chercheuse qui procède dans ses serres à des essais pour venir en aide aux riziculteurs. Les variations de températures entraînent des pertes de productivité importante et facilitent la prolifération de pathologies.» Nguyen Thi Lang cite notamment les ravages causés par la cicadelle brune, cet insecte dont la salive infeste les plants ou encore le champignon magnaporthe grisea, qui s’attaque aux feuilles.

Nguyen Thi Lang, de  l’Institut de recherche sur le riz du delta du Mékong, dans une des serres où elle développe des variétés de riz hybrides résistantes à la salinité et aux rendements élevés, en novembre 2015, à Can-Tho (photo Olivier Donnars).

En partenariat avec l’Institut international de recherche sur le riz, basé aux Philippines, elle s’est donc lancée dans la fabrication d’hybride. Elle s’est inspirée du mixte réalisé entre le riz japonica qui pousse sur des latitudes tempérées voire froides pendant 140-160 jours avec un bon rendement et l’indica qui supporte des températures élevées mais avec des quantités et un temps de culture plus limités.

La professeure Lang a croisé des espèces en partant d’un riz sauvage des rives du Mékong qu’elle étudie depuis vingt-cinq ans. Ses grains sont de mauvaise qualité mais très résistants à des conditions climatiques et aquatiques extrêmes. «A chaque croisement, nous avons renforcé les caractéristiques génétiques et obtenu des branches plus hautes et plus robustes avec un nombre de grains plus important. L’idée est d’augmenter la quantité obtenue à chaque récolte car celles-ci risquent d’être moins nombreuses.»

«Temps incertains»

Aujourd’hui, cette variété expérimentale attend la certification. Les experts doivent tester sa résistance aux maladies, sa qualité gustative et sa sécurité alimentaire à long terme. Si elle est validée en 2017, elle aidera les riziculteurs à survivre dans un environnement qui se dégrade.

«Nous sommes face à des temps incertains, reprend Duong Van Ni dans les locaux de l’université de Can-Tho. Les hommes peuvent anticiper avec des actions concrètes comme le stockage d’eau douce, la plantation ou les semailles d’un plus grand nombre de grains pour parer aux périodes de sécheresse ou d’inondations. Il faut aussi que les mères apprennent à utiliser systématiquement des moustiquaires pour protéger leurs enfants. Il faut se concentrer sur les populations pauvres qui attendent des réponses concrètes.» Manière de ralentir un exode rural et climatique qui menace le delta des neuf dragons et toute l’Asie du Sud-Est. Prévenir sans vraiment guérir.

(1) Rencontre organisée par le ministère vietnamien des Affaires étrangères.

Arnaud Vaulerin envoyé spécial à Can-Tho (Vietnam)

Libération

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