Quelques-uns des grands titres qui ont marqué la contestation pacifiste", par Steven Jezo-Vannier, le 03/03/2015
Il y a cinquante ans, le 2 mars 1965, le président américain Lyndon B. Johnson, successeur du défunt JFK, lançait l'opération Rolling Thunder, « tonnerre grondant », dans le ciel nord-vietnamien. Ce bombardement systématique, qui va déverser près d'un million de tonnes de bombes en trois ans, marque l'intensification de l'implication américaine dans le conflit sud-asiatique. Cela fait déjà dix ans que les États-Unis luttent contre l'influence communiste dans la région et contre l'avancée des Vietcongs de Hô Chi Minh. Contrairement à la politique de désengagement initialement prévue par l'administration américaine, le contexte politique amène Lyndon B. Johnson à faire le choix de la guerre. En plus de l'opération Rolling Thunder, il décide l'envoi massif de troupes au sol, le déploiement de plusieurs milliers de Marines et autorise le recours au napalm. La suite est connue.
À partir du mois de mars 1965, un vaste mouvement d'opposition à la guerre éclate en Amérique – le plus grand de l'histoire du pays. À travers les sit-in, les marches pour la paix et les bûchers de draft cards, il rassemble les diverses forces contestataires du pays autour d'une même cause : pacifistes, antinucléaires, militants de la New Left, communistes, beatniks, hippies, étudiants radicaux, militants afro-américains, artistes divers, et bientôt toute la jeunesse du baby-boom. Les mouvements contre-culturels se fédèrent et s'opposent ensemble à la « greatsociety » du président Johnson, puis à la politique militariste de Nixon, rejetant la morale et les valeurs de l'ordre traditionnel impérialiste. Faisant vaciller l'autorité et ses certitudes, ils ébranlent le modèle de l'American Way of Life et exigent l'instauration d'un monde nouveau, nourri d'utopie. Des chanteurs prennent position avec vigueur et détermination. En musique, ils affichent leur volonté de changement et deviennent les porte-voix de la contestation sur les ondes et les scènes de tout le pays, et bien au-delà. À travers eux, la lutte contre la guerre du Vietnam devient une source d'inspiration majeure du rock des sixties. Des dizaines de chansons, connues ou nom, sont écrites pour dénoncer la conscription et la boucherie de la jungle vietnamienne. Des hymnes puissants sont chantés et repris en chœur par la jeunesse, jusque sur le théâtre des opérations. Ces chefs-d'œuvre ne vaudront jamais le prix des morts, mais ils ont permis de réveiller l'Amérique et de faire entendre la voix de la différence. Sans doute auront-ils également permis de mettre fin au carnage en 1975.
Cinquante ans après l'arrêt des combats, en mémoire des morts et des militants, voici un petit florilège des grands hymnes rock contre la guerre au Vietnam.
Cette chanson de Bob Dylan, publiée en 1963 dans l'album Freewheelin' Bob Dylan, ne prend pas spécifiquement pour sujet la guerre du Vietnam, mais en deviendra l'un des grands airs, entre les mains des militants pacifistes.
Même s'il s'est fortement impliqué dans la construction de l'alternative hippie à San Francisco, le Grateful Dead est davantage connu en musique pour son psychédélisme débridé que pour son engagement politique. En 1967, sur son premier album éponyme, il enregistre l'une de ses rares chansons engagées, « Cream Puff War », qui s'adresse directement aux belligérants :
Well, can't you see that you're killing each other's soul
Well, you're both out in the streets and you got no place to go
Your constant battes are getting to be a bore
So go somewhere else and continue your cream puff war
Eh bien, vous ne voyez pas que vous vous entretuez
Eh bien, vous êtes tous les deux dans la rue et vous n'avez nulle part où aller
Vos bagarres incessantes creusent votre tombe
Donc allez continuer votre bataille de tartes à la crème ailleurs
Incarnation du protest song de San Francisco, émanation du milieu radical étudiant de l'université de Berkeley, auteur du sombre « Death Song », Country Joe & the Fish est à l'origine du plus grand hymne de la période, un texte plein d'ironie entonné par le public de Woodstock et précédé du célèbre « Fish Cheer », "I-Feel-Like-I'm-Fixin'-To-Die Rag" est tiré de l'album du même nom de novembre 1967.
Come on all of you big strong men
Uncle Sam needs your help again
He's got himself in a terrible jam
Way down yonder in Viet Nam,
Put down your books and pick up a gun
We're gonna have a whole lotta fun.
And it's one, two, three, what are we fighting for
Don't ask me I don't give a damn, next stop is Viet Nam
And it's five, six, seven, open up the pearly gates
Ain't no time to wonder why, whoopee we're all gonna die.
Allez tous les hommes forts
Oncle Sam a encore besoin de vous
Il s'est foutu dans un sacré pétrin
Là-bas au Vietnam
Lâchez vos livres et prenez un flingue
On va s'marrer
Et un, deux, trois pourquoi allons-nous nous battre
Ne pose pas de question, j'm'en fous, prochain arrêt le Vietnam
Et cinq, six, sept, ouvrez les portes du Paradis
On n'a plus le temps de demander pourquoi, youpie, on va tous mourir
Électrificateur de Bob Dylan, inventeur du folk-rock, du psychédélisme et plus tard du country rock, les Byrds sont l'un des grands piliers de la scène West Coast. Sur leur cinquième album, The Notorious Byrd Brothers, en 1968, ils signent le terrifiant « Draft Morning » :
Take my time this morning, no hurry
To learn to kill and take the will
From unknow faces
Je prends mon temps ce matin, je ne suis pas pressé
Après son départ des Byrds, David Crosby fonde un super-groupe avec Stephen Stills et Graham Nash, plus tard rejoint par Neil Young. En 1970, après une fusillade meurtrière sur le campus de l'état du Kent, ce dernier compose le titre « Ohio », un morceau puissant qui dénonce l'assassinat de quatre opposants à la guerre du Vietnam par la Garde nationale. Il est publié en single en juin 1970, un mois seulement après les faits, avec une autre protest song, signée Stills : « Find The Cost Of Freedom » :
Creedence Clearwater Revival et son leader John Fogerty s'engagent à partir de 1968 dans la cause pacifiste. Avec « Fortunate Son », ils deviennent les chantres de l'opposition rock et signent l'un des hymnes phares de la contestation. Il est repris par les boys en partance pour le Sud-Vietnam pour dénoncer les différences de traitements entre les fils de puissants, que l'argent et l'influence mettent à l'abris des balles, et les enfants de la classe ouvrière, envoyés comme chair à canons :
Some folks inherit star spangled eyes
Ooh, they send you down to war, Lord
And when you ask 'em, "How much should we give?"
Ooh, they only answer "More! More! More!", you all
It ain't me, it ain't me, I ain't no military son, son
It ain't me, it ain't me, I ain't no fortunate one
Certains héritent d'un regard aux couleurs de la bannière étoilée
Oh, ils vous envoient à la guerre, Seigneur
Et quand vous leur demander “Combien devrions-nous donner ?”
Oh, ils répondent “Plus ! Plus ! Plus !”, vous tous
Ce n'est pas moi, ce n'est pas moi, je ne suis pas un fils de militaire
Ce n'est pas moi, ce n'est pas moi, je ne suis par un fils chanceux
Porte-parole mondial pour la paix, John Lennon signe-là sa toute première chanson en solo. Elle est enregistrée au cours du célèbre bed-in de Montréal, alors que John et Yoko sont entourés de nombreuses personnalités de la contre-culture comme le pape de l'acide Timothy Leary et le poète beat Allen Ginsberg. Elle sort en juillet 1969 et devient le grand air de l'opposition pacifiste, suppliant :
Let me tell you now
Everybody's talking about, revolution
Evolution, masturbation, flagellation
Regulation, integrations, meditations
United Nations, congratulations
All we are saying is give peace a chance
Laisse-moi te dire,
Tout le monde parle de révolution,
D'évolution, de masturbation, de flagellation,
De régulation, d'intégrations, de méditations
États-Unis, félicitations
Tout ce que nous disons, c'est donnez une chance à la paix
Folksinger adepte de Bob Dylan, Richie Havens s'est fait remarqué en ouverture du festival de Woodstock avec une énergie peu commune, martelant sa guitare acoustique jusqu'à la transe. Premier titre de son set, « Handsome Johnny » restera comme l'un de ses grands succès avec « Freedom ». Il est tiré de l'album Mixed Bag de 1967.
En 1971, le groupe Grand Funk Railroad signe son cinquième album, E Pluribus Funk. Moins connue de nos jours, la formation originaire du Michigan fait partie des grands noms de la scène rock américaine de la charnière des années soixante et soixante-dix, parmi les pionniers du hard'n'heavy. Son album de 1971 parvient ainsi à la cinquième place des charts, notamment porté par le titre « People, Let's Stop The War » :
If we had a president, that did just what he said,
The country would be just alright, and no one would be dead,
From fighting in a war, that causes big men to get rich.
There's money in them war machines, now ain't this a bitch?
Si seulement nous avions un président qui s'était contenté de faire ce qu'il disait
Le pays irait bien et personne ne serait mort
Certains puissants s'enrichissent sur les combats menés en guerre
Il y a de l'argent à faire dans leur machine de guerre, maintenant, n'est-ce pas une salope ?
Grande prêtresse de la musique folk et du protest song, fille de physicien pacifiste, Joan Baez a plusieurs fois pris position contre la guerre, notamment à travers « Where Are You Now, My Son ? » (1973) et « Saigon Bride », titre coécrit avec Nina Dusheck et extrait de l'album éponyme de 1967.
A tide that never saw the seas
It flows through jungles, round the trees
Some say it's yellow, some say red
It will not matter when we're dead
How many dead men will it take
To build a dike that will not break?
How many children must we kill
Before we make the waves stand still?
Une marée qui n'a jamais vu la mer
Coule à travers la jungle, autour des arbres
Certains disent que c'est jaune, d'autres rouge
Cela n'aura plus d'importance quand nous serons morts
Formation canadienne adoptée par la Californie contestataire, Steppenwolf est connu pour son intervention déterminante dans la naissance du hard rock. En 1969, il s'illustre également pour sa contribution au combat politique avec l'album Monster, l'un de ses chefs-d'œuvre. La chanson-titre, lourde et puissante, dresse un portrait critique de l'Amérique et invoque les idéaux du rêve des Pères fondateurs.
'Cause there's a monster on the loose
It's got our heads into the noose
And it just sits there watching
America where are you now?
Don't you care about your sons and daughters?
Don't you know we need you now ?
We can't fight alone against the monster
Parce qu'il y a un monstre en liberté
Qui tient nos têtes dans un étau
Et il est assis là à regarder
Amérique où es-tu maintenant ?
Ne te soucies-tu donc plus de tes fils et filles ?
Ne vois-tu pas qu'on a besoin de toi maintenant ?
Nous ne pouvons nous battre seuls contre le monstre.
Single percutant de mars 1968, « The Unknow Soldier » est extrait du troisième album des Doors, Waiting For The Sun. Jim Morrison y livre une poésie sombre et subversive, servie par une mise en scène morbide. En live, Robbie Krieger, armé de sa guitare, met symboliquement à mort le chanteur au cours d'un simulacre d’exécution. Le roulement de caisse-claire de John Densmore laisse place au coup de feu puis au silence, alors que Jim gît au sol.
Durant l'automne 1969, le groupe Jefferson Airplane s'éloigne du message psychédélique pour revenir à la dure réalité du contexte politique américain. Avec l'album Volunteers – initialement intitulé Volunteers of Amerika, avec un k comme Ku Klux Klan – le groupe d'acid rock san franciscain prend farouchement position contre la guerre et dénonce les maux de l'Amérique réactionnaire. Aux engagés volontaires de la guerre, Jefferson Airplane oppose ceux de la paix et de la révolution :
Des artistes afro-américains prennent également position à la lisière des univers rock et rhythm'n'blues. En 1970, chez Motown, Edwin Starr en livre un exemple percutant. Au même moment, l'émergence du mouvement Black power, entre autres porté par les Black Panthers, questionne l'Amérique sur le sort des minorités noires dans le conflit vietnamien.
Protest song largement oubliée aujourd'hui, de ce côté-ci de l'Atlantique, « Eve Of Destruction » est pourtant l'un des titres forts de la contestation. Écrite par P.F. Sloan et immortalisée par Barry McGuire, la chanson décrit avec mélancolie l'avenir apocalyptique auquel conduit la politique militariste américaine, redoutant l'holocauste nucléaire. Elle ose mettre à égalité la Chine communiste et l'Amérique capitaliste, deux monstres assoiffés de sang dont elle dénonce la folie jusqu'au sommet des classements.
Think of all the hate there is in Red China
Then take a look around to Selma, Alabama
You may leave here for four days in space
But when you return it's the same old place
The pounding of the drums, the pride and disgrace
You can bury your dead but don't leave a trace
Hate your next door neighbor but don't forget to say grace
And tell me, over and over and over and over again my friend
You don't believe
We're on the eve of destruction
Songez à toute la haine qu'il y a dans la Chine rouge
Et jetez maintenant un œil vers Selma, en Alabama
Vous pouvez partir dans l'espace pendant quatre jours
Quand vous reviendrez rien n'aura changé
Le roulement des tambours, la fierté et la honte
Vous pouvez enterrer vos morts mais sans laisser de trace
Détestez votre voisin mais n'oubliez pas de dire les grâces