Le Vietnamien est décidément très astucieux ! En effet, ici, joindre l'utile à l'agréable est monnaie courante. Ainsi en est-il du Code de la route transformé par l'usager en entraînement multisports !

Au Vietnam, comme dans tout pays moderne, il existe un Code de la route qui prescrit clairement les droits et devoirs des pilotes d'engins à 2, 3 ou 4 roues. Il existe aussi des panneaux indicateurs dont la fonction est de dicter la conduite à tenir dans diverses situations. Charge à chacun d'obtempérer pour que la circulation soit fluide et sécurisée. Tout est donc pour le mieux dans le meilleur du monde. Et pour bien conduire, il suffirait donc de se bien conduire en se conformant à ce Code. C'est compter sans l'amour du Vietnamien pour l'activité physique !

Course d'obstacle !

Il est 08h00 du matin ! Il est temps de partir au travail. J'enfourche ma moto sur laquelle j'ai eu la mauvaise idée d'adjoindre un énorme coffre. Ce qui lui donne 30 cm de longueur en plus et m'oblige à effectuer le grand écart pour monter en selle. Qu'importe, cet exercice me sert d'échauffement pour ce qui va suivre…

Sortir de ma ruelle, en évitant les canards du voisin, les pots de fleurs qui encombrent la chaussée et les bassines emplies d'un linge trempé qui attend d'être battu, nécessite simplement un peu d'équilibre. Une mise en main en quelque sorte ! Je décide d'éviter la rue qui monte directement et choisis celle qui longe le fleuve. Même lancé à allure raisonnable, je n'aperçois le "gendarme couché" qu'au dernier moment. Et, ici ce serait plutôt des "gendarmes à genoux". Vite, me rappeler mes cours d'équitation : "Assis bien au creux de la selle ! Corps droit à la verticale ! Avancer le bassin sous soi ! Regarder haut placé droit devant ! Permettre au cheval de mieux se servir de son dos !". Mon étalon aborde l'obstacle sans broncher et, après un saut puissant, retombe en douceur sur ses suspensions. À peine le temps de flatter l'encolure de ma moto que le second se présente 10 mètres plus loin. Je suis en plein CSO (concours de saut d'obstacle) ! Entre ma moto et moi, c'est l'harmonie totale, seule solution pour éviter l'explosion en plein vol. Lancés dans la même course en avant, nous anticipons, nous enlevons chaque obstacle sous nos roues…

Déjà, je crois entendre les applaudissements d'élégantes spectatrices électrisées par mon port altier et la musculature puissante de ma monture (à moins que ce ne soit le contraire !). Un impérieux coup de klaxon me ramène sur terre. Une voiture juchée sur 4 énormes roues motrices arrive sur ma gauche et me rappelle ainsi qu'elle a décidé d'ajouter cette priorité au Code de la route. Merci à mon père de m'avoir permis de pratiquer le judo ! Je me souviens : "Vaincre la force par la souplesse ! Pas de gestes inutiles ! Utiliser l'énergie de l'adversaire !". Je m'équilibre sur la selle et, en une courbe fluide, je tourne le tronc à droite, laisse passer les flancs de la voiture le long de mon épaule gauche, puis profitant de la vitesse acquise de l'adversaire, je le prends à contrepied, en revenant brusquement sur ma gauche, alors que son pot d'échappement frôle ma roue avant. L'agresseur a disparu sur ma droite, je reste victorieux sur mon tatami asphalté. Un rapide salut à mon malheureux adversaire, et j'arrive sur la grande avenue qui pénètre en ville

Droit au but !

Brusquement, tout change. On passe du sport individuel au sport collectif. Ça commence comme une partie de rugby, en évitant de se faire enfermer par l'adversaire. Je prends le côté ouvert, en doublant à gauche un amas de motos hésitantes. Pas le temps de chercher un coéquipier à qui passer le ballon ! Déjà, devant moi, le mufle énorme d'un bus m'oblige à revenir sur le côté droit, en évitant l'arrière d'un taxi en maraude. Attention, je suis mal placé. Déjà, des motos qui veulent tourner à droite m'enferment le long du trottoir. Vite, un coup d'accélérateur pour me sortir de cette mauvaise passe. Je reviens sur ma gauche en un chassé croisé avec un camion de bières qui arrive sur ma droite. En une série de zigzags, j'évite une petite vieille qui peine à traverser, une famille entière réfugiée sur une petite moto, 2 amoureux en vélos qui se regardent dans les yeux, au lieu de surveiller leurs arrières, et une énorme voiture qui charge à l'aveugle ! Le stade exulte. Des travées entières sont debout pour m'encourager ! Un dernier effort, le terrain est dégagé ! Je suis enfin arrivé au feu ! Pas le temps de réfléchir à ce qu'a dû penser celui sur le casque duquel j'ai tapé en hurlant goal ! Déjà, je dois repartir, poussé par la masse qui n'attend même pas que le feu passe au vert ! Retour au sport individuel…

Maintenant, ce sont les longues journées consacrées au ski qui me sont utiles : flexion-extension ! Anticiper ! Pivoter ! Torsion du buste ! Allègement des jambes ! Je slalome, mes roues semblent prendre des carres. Une à une, les motos-portes défilent derrière mes épaules. Ça y est, je viens de sortir du flot mécanique. Un reste de bon sens m'empêche de lever les 2 mains en guise de victoire ! Plus que quelques centaines de mètres et je suis arrivé au bureau. Mais pour ces derniers mètres, les règles changent encore ! C'est le parcours du combattant, chacun pour soi, ne faire confiance à rien et à personne. Freiner pour éviter celui qui vient en sens interdit, louvoyer au carrefour au milieu de véhicules en folie dont aucun ne cède le passage, freiner à nouveau pour éviter celui qui sort en trombe d'une ruelle adjacente, faire du sur place en attendant que 2 conducteurs en vis-à-vis acceptent de dégager la route… En sueur, les muscles tétanisés, j'arrive enfin au bureau.

Sportifs du monde entier, attention ! Avec un entraînement pareil, les Vietnamiens ne vont pas tarder à rafler les premières places de podiums !

Gérard Bonnafont/CVN

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