Le grand Mékong ou si les fleuves avaient une âme…
par http://vietnam-privilege.com/conseils-infos-pratiques.html

Passionné d’Asie, Michel Noll est le réalisateur de cinq épisodes sur le peuple du Mékong, série que diffuse la chaîne franco-allemande du 11 au 15 janvier 2010. Le Mékong, 10e plus grand fleuve au monde par son débit et vaste région qui s’étend des plateaux tibétains à la mer de Chine en passant par la province chinoise du Yunnan, la Birmanie, le Laos, la Thaïlande, le Cambodge et le Viêt-Nam. De retour de Chine, Michel Noll nous fait partager son aventure "mékongaise" et sa vision du monde - entre Orient et Occident.

ARTE : Racontez-nous votre rencontre avec le continent asiatique. Qu’est-ce qui vous attire tant dans cette partie du monde ?

Michel Noll : Cela fait une quinzaine d’années que je me rends régulièrement en Asie du Sud-Est - trois à quatre fois par an, tout initialement attiré par le fait que je ne connaissais absolument rien de ces contrées et que c’est dans cette partie du monde, et en Chine en particulier, que j’ai trouvé l’altérité la plus éloignée de ma propre culture qui est une culture franco-allemande. Cela m’a beaucoup donné envie de voyager dans cette région et d’aller à la rencontre de ses habitants. À un moment donné, il m’est apparu comme une évidence qu’il y avait dans le Sud-Est asiatique, dans ce qu’on a appelé en France l’Indochine, une espèce d’âme fluviale et je me suis dit qu’il fallait essayer de raconter ce qui liait tous ces gens, tous les riverains de ce fleuve. Imaginez qu’il y a quand même plus de 300 millions de personnes qui ont ce fleuve-là pour identité géographique.

“L'autre Asie bouddhiste”
Ulysse Magazine, Janvier 2010
“Entre spiritualité, résistance politique et éducation, le bouddhisme emprunte des voies plurielles en Asie du Sud-Est. Cheminements sur les routes de l’Eveil de la Birmanie au Laos, du Cambodge au Vietnam.”
ARTE : Que vont pouvoir découvrir les téléspectateurs au cours de ce voyage le long du fleuve des 9 dragons comme on l’appelle traditionnellement dans le Sud du Viêt-Nam ?

Michel Noll : Tout d’abord, ils vont découvrir les gens qui habitent encore dans la forêt tropicale, elle-même nourrie par le fleuve. Dans les régions du May-Nam et du Myanmar ainsi qu’une partie du Laos, le fleuve nous rappelle ce qu’il a été il y a des millions d’années. Nous sommes dans un espace où le temps n’a pas de prise. Nous rendons visite à des peuples qui vivent encore de la chasse et de la cueillette comme on a pu le faire il y a quelques milliers d’années. Nous allons aussi rencontrer des gens qui se sont attachés à la rivière pour y pêcher. Il y a une très grande variété de poissons dans le fleuve et on dit souvent qu’il y a autant de méthodes de pêche que de types de poissons. Plus en amont du fleuve, dans la partie méridionale, nous avons rendez-vous avec la « mère des eaux », là où elle apporte en quelque sorte son eau bénie à toutes ces contrées. Là où on trouve la culture du riz bien sûr, mais aussi celle des fruits et légumes ainsi qu’une horticulture extrêmement développée. Là-même où l’eau du fleuve apporte le nerf de la guerre pour l’agriculture. Nous allons enfin nous intéresser à la spiritualité qui est attachée au fleuve. Il faut savoir que plus de 90% des gens qui vivent dans cette partie du monde sont bouddhistes. Or le fleuve lui-même est sacré pour tous les bouddhistes, d’où sa dimension spirituelle très forte. C’est pourquoi il nous a semblé aussi important d’aller à la rencontre des moines - que ce soit dans les monastères ou dans les écoles - qui s’occupent du bien-être spirituel des gens du grand Mékong. J’espère de tout cœur que cette série va donner envie aux spectateurs de découvrir cette région, et surtout les gens de cette région qui ont une très belle âme car je pense que c’est une partie du monde qui mérite d’être bien mieux connue qu’elle ne l’est aujourd’hui.

ARTE : Pour ce projet, vous avez travaillé avec la télévision chinoise. Comment s’est passée cette collaboration ?

Michel Noll : Ce fera sans doute l’objet d’un livre un jour... (rires) Ceci dit, pour redonner l’essentiel de nos accords et du déroulement de la production, nous avons non seulement travaillé avec la chaîne officielle chinoise, la IC TV, mais aussi avec toutes les autres chaînes publiques des cinq autres pays qui ont participé à l’aventure. Force a été de constater - et c’est quelque part normal, qu’on avait tous un regard un peu différent sur les choses, non pas que nous soyons rentrés dans des considérations politiques, mais il s’est avéré qu’il y avait des choses qui apparaissaient des fois différentes à nos yeux et qu’on considérait comme extraordinaires, et qui font tout simplement partie pour nos collègues asiatiques de leur quotidien. Ceci dit, à aucun moment, il n’y a eu de véritable conflit éditorial, simplement un regard légèrement décalé. Nous nous sommes fait mutuellement confiance pour tourner et monter cette série à la rencontre du peuple du Mékong. La version que nous proposons sur ARTE vise à ravir un public qui précisément ne vit pas dans cette partie du globe tandis que la version chinoise se veut, grâce à un montage légèrement différent, beaucoup plus une série éducative qui sera utilisée dans les écoles dans les pays du Sud-Est asiatique.

ARTE : Vous nous offrez une série de découverte de 215 minutes avec des images et des personnages hauts en couleurs. Parlez-nous un peu des coulisses du tournage. Comment avez-vous travaillé sur place ? En équipes biculturelles ? Combien de personnes doit-on mobiliser pour une telle aventure ?

Michel Noll : Comme déjà évoqué, l’une des clés de la série est d’avoir travaillé avec des équipes locales. Je pense que le téléspectateur va s’en rendre compte assez rapidement. En tout, nous avons tourné avec six équipes, une pour chaque pays, ce qui a fortement facilité la compréhension lors la rencontre avec les différents protagonistes de la série. Le fait que ce ne soit pas des visiteurs venant de l’étranger qui viennent observer et raconter la vie de ces habitants, mais que le tournage se soit plutôt fait dans un esprit de dialogue, a pour conséquence un accès qui n’est pas limité par la peur de l’autre. On peut montrer la vie de famille comme elle se passe en réalité et non pas comme ces familles auraient voulu que les étrangers les perçoivent. Côté technologie, il faut savoir qu’on a tourné en très haute définition : des images superbes donc mais un équipement lourd et parfois avec des conditions de transport assez compliquées. En moyenne, chaque équipe était composée d’une dizaine de personnes. Si le tournage est évidemment au cœur de l’intérêt du spectateur, j’aimerais aussi souligner l’immense travail de préparation qui a mobilisé de nombreuses personnes ainsi que la phase de finition qui nous a pris presque 8 mois pour rendre hommage à tout ce que les équipes ont pu capter pour nous.

ARTE : Il est évident que cette série ne se veut pas seulement une belle carte postale. À travers ces films, on sent votre volonté de transmettre un message écologique assez fort comme l’indique d’ailleurs le titre de la version cinématographique que vous avez réalisez de la série et qui a été présentée au 27ème Festival international du Film d’environnement (novembre 09): « Une âme en péril – L’avenir incertain du grand Mékong ». Suite au récent sommet de l’ONU sur le climat à Copenhague, quel est votre regard sur cette région entre tradition et modernité ? À votre avis, quels sont les défis environnementaux qui attendent la région du Mékong ?

Michel Noll : Ce qui se passe dans cette région, c’est d’abord qu’on tente toujours aujourd’hui d’oublier les guerres qu’il y a eu : la guerre du Viêt-Nam, le génocide du Cambodge, les conflits entre la Chine et le Viêt-Nam. De sombres événements qui laissent encore beaucoup de traces : les mines antipersonnelles font encore des ravages aujourd’hui, notamment au Laos et au Cambodge, sans compter qu’il resterait aussi de l’agent orange dans la chaîne alimentaire. Parallèlement à ce poids du passé, on observe cependant un phénomène formidable qui est ce désir de vivre des gens depuis que les guerres sont terminées. Les Mékongais ont connu un boom économique extraordinaire, ils ont rencontré la modernité en une seule génération alors que nous ici en Occident, ça a mis quatre à cinq générations depuis la révolution industrielle. Tout ceci crée des problèmes identitaires et sociétaux très forts qui sont peut-être aujourd’hui très peu perceptibles depuis l’Occident, mais qui sont pour moi qui y vais régulièrement et depuis un certain nombre d’années, de plus en plus apparents. Cependant, je me garde de faire tout pronostic sur les conséquences que pourraient avoir ces problèmes identitaires. Sur le plan du développement durable, il y a de toute évidence un problème géographique et idéologique par rapport au fleuve. De nombreux barrages voient le jour dans la partie chinoise et sont le plus souvent construits en amont sans bonne consultation avec les riverains de l’aval. Je ne préfère pas parler changement climatique, tsunami ou montée des eaux et des océans ; ce serait catastrophique dans cette région, notamment dans la celle du delta. Si on continue comme ça, il est certain qu’il y aura de réelles répercussions en Asie du Sud-Est. Dernier point concernant l’agriculture : il est très regrettable de constater que la culture intensive s’y développe de plus en plus selon le modèle occidental avec tout ce que cela comporte comme dangers avec entre autres l’utilisation de pesticides… J’espère qu’il y aura une prise de conscience assez rapide pour qu’on ne fasse pas là-bas les mêmes erreurs que l’on a faites chez nous.

Interview réalisée par Aurélie Grosjean (ARTE, Décembre 2009)

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