Vietnam, les accrocs au jeu: Prêts à jouer leur vie au casino

Tranche de vie: Du côté cambodgien de la frontière, les casinos poussent comme des champignons. Côté vietnamien, les joueurs ruinés sont contraints d'emprunter, à n'importe quel prix, pour éponger leurs dettes...

Phan est un intermédiaire qui travaille dans le secteur financier depuis plus de cinq ans. Il raconte qu'à Chau Doc, dans la province d'An Giang [dans le delta du Mékong], "il y a de nombreuses boutiques clandestines de prêt sur gage où beaucoup de gens se rendent en raison des bons prix qu'elles leur proposent et des taux d'intérêt raisonnables – environ 21 % par mois – qu'elles pratiquent [le prêt sur gage permet d'obtenir un prêt d'argent en échange du dépôt d'un objet de valeur]. La majorité des clients sont des joueurs qui viennent de perdre de grosses sommes à la frontière."

A l'approche du nouvel an lunaire [fin janvier], les joueurs ont afflué au casino de Go Market, dans la province cambodgienne de Takéo. L'industrie du prêt sur gage y bat son plein. Les taux d'intérêt ont alors atteint des sommets, pour autant ça ne dissuade pas un grand nombre de déposer leur moto en gage. Les intermédiaires fondaient sur les malchanceux en leur proposant des crédits express ou des prêts sur gage pour qu'ils puissent retenter leur chance. Aux portes du casino de Vimarn, près du poste frontière de Xa Xia, dans la province de Kien Giang, trône un employé qui brandit un panneau indiquant : "Prêteur sur gages : pour chaque million de dongs emprunté, 10 000 dongs [0,35 euro] d'intérêt journalier".

Pourtant, quand un client s'approche pour offrir sa moto en gage, l'homme lui rétorque sur un ton enjoué : "Quatre millions pour vous et 20 000 dongs par million et par jour. Vous avez dix jours pour rembourser, sinon vous perdez votre bien !" Chaque jour, en fin d'après-midi, le bureau de crédit express de Ty, près du casino du Grand Dragon, au poste frontière de Khanh Binh, dans la province d'An Giang, déborde de joueurs venus payer leurs intérêts. Ses clients réguliers lui versent 100 000 dongs par jour pour un emprunt de 10 millions, soit un taux mensuel d'environ 30 %. Ty est également un gourou du prêt sur gage et elle a récupéré des biens de grande valeur tels que voitures, terrains, or et bijoux. Une fois qu'on lui a emprunté de l'argent, il est impossible, selon un joueur, de lui échapper ; les échéances en retard ne font qu'accroître les intérêts.

Un doigt coupé

Au casino de Ha Tien Vegas, le patron, Tinh, propose aux nouveaux joueurs "des prêts flexibles en fonction de leur position sociale et de leur budget mais les taux d'intérêt sont d'environ 30 % pour trois jours, soit 300 % par mois". Comme pour la plupart des prêteurs, ses principales cibles sont les joueurs vietnamiens. Les emprunts vont de quelques centaines à plusieurs dizaines de milliers de dollars.

Avec les taux d'intérêt prohibitifs, les joueurs doivent rembourser leur dette dans les plus brefs délais s'ils ne veulent pas être poursuivis par les hommes de main du créancier. Non content de pratiquer des taux usuraires et d'exiger des gages, certains patrons acceptent même que les emprunteurs offrent leur propre vie en échange de quelques milliers de dollars. L'histoire de Nguyen Huu Tinh, de la province de Long An, à la fin de 2011, n'a pas fini d'alimenter les conversations dans le delta du Mékong.

Le jeune Tinh, 18 ans seulement, a offert sa vie en gage à deux reprises pour pouvoir jouer au casino de Bavet, frontalier de la province [vietnamienne] de Tay Ninh. La première fois, il a reçu 2 000 dollars et il a pris la fuite après les avoir perdus. La deuxième fois, il a obtenu 3 000 dollars et il les a misés pour tenter de rentrer dans ses fonds. Malheureusement, il a à nouveau tout perdu et son créancier, l'ayant retrouvé, a réclamé une rançon à sa famille. Celle-ci a refusé et, quelque temps après, elle a eu la visite d'une phalange de Thin en guise d'avertissement.

En août 2011, un autre joueur de Long An, Do Thanh Cong, qui avait omis de payer ses dettes de jeu alors qu'il avait engagé sa vie, a eu affaire à son créancier. Incapable de rembourser les 2 000 dollars qu'il avait empruntés, il a été emmené au Cambodge et roué de coups. Quelque temps après, il a mis fin à ses jours en se précipitant dans le vide et son corps a été jeté dans une rivière.

Courrier international 21/02/2012

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