TRANCHE DE VIE: «Cà phê den, xin moi !». Un petit mot de la langue de Molière dans un langage tonal monosyllabique, qui nous fait un clin d'oeil francophone. Mais il n'est pas le seul signe, tant s'en faut, qui nous indique que la culture française a encore des lettres de noblesse de ce côté-ci du monde…

Quand on se retrouve dans un pays étranger et qu'il faut soudain décrypter des sons nouveaux pour former des mots inconnus de nos oreilles, il est tellement rassurant de nous attacher à ces quelques termes, transfuges de notre langue maternelle. Comme si nous retrouvions de vieux amis ! Même revêtus des sons «sac» (accent aigu), «huyên» (accent grave) et autres, ils sont reconnaissables et quelle gourmandise quand nous pouvons les utiliser…, même si parfois l'exercice relève de l'acrobatie linguistique !

Paroles, paroles…

Je veux installer une antenne parabolique sur mon balcon pour regarder la télévision ? Facile : «Tôi muôn có môt ang-ten parabôn trên ban-công dê xem tivi».

Et pour sortir en ville, j'ai besoin de nouveaux habits. L'élégance française me permet de demander à mon tailleur de me confectionner sur mesure «áo so mi» (chemise), «áo gi-lê» (gilet), «mang-tô» (manteau), «áo vét-tông» (veston)… Avec tout ça, aucun problème pour voyager, que ce soit en «xe buýt» (bus) ou en «ô-tô» (auto), aucun risque de tomber en panne… Et bien évidemment, pas question de rester le ventre vide : «actisô» (artichaut), «bo» (beurre), «cà-rôt» (carotte), «sô-cô-la» (chocolat), «pho mát» (fromage), «giam-bông» (jambon)…, mourir de faim serait une faute de goût ! Et pour finir une soirée au «xi-nê» (ciné) suivie d'un verre d'«apxanh» (absinthe), juste pour avoir besoin d'une «atpirin» (aspirine) le lendemain !!!

Voilà, vous avez le viatique minimal pour pouvoir vivre au Vietnam en parlant français !!! Mais pour le Français que je suis, il y a bien d'autres signes qui montrent que la France et le Vietnam ont en commun beaucoup de secrets partagés… et qui me rendent la vie tellement plus facile.

Ainsi, quel bonheur de voir sur le bord des routes ces petites bornes rouges et blanches, à la bonne tête de nougat de Montélimar, qui scandent les kilomètres comme le font leurs cousines du Cantal profond ! Je dis bien les kilomètres du système métrique, aux chiffres bien ronds, et qui se divisent facilement par 100 ou par 10. Heureusement, nous échappons aux miles que seuls ceux qui sont habitués à manipuler les yards, les foot et les inches peuvent comprendre sans utiliser la machine à calculer ! Et la température, quel bonheur que le Celsius soit ici à l'honneur ! Déjà que 38°Celsius en été, c'est chaud, imaginez si les thermomètres affichaient 100,4… À bouillir sous la casquette !

Le français est en fête le 4 mars à Hô Chi Minh-Ville. Photo : Quang Châu/CVN


Quelle langue ?

Au risque de passer pour chauvin, je dois dire que cette culture de la Francophonie, j'essaie de la maintenir à mon petit niveau, en refusant de parler d'autres langues que le français ou le vietnamien quand je suis dans ce pays. Cela ne va pas de soi, et la première prise de contact est souvent surprenante…

Mon accent vietnamien étant loin d'être irréprochable, et mon interlocuteur vietnamien, s'attendant à ce que je m'adresse à lui en anglais, a tout d'abord quelques difficultés à comprendre ce que je dis. Ses yeux écarquillés et son rictus d'incompréhension me donnent l'impression d'être un patagon exilé chez les papous. Pas vexé, je répète ma phrase d'introduction en essayant d'articuler et d'intoner le mieux possible. Si ce second essai reste inefficace, je précise à mon vis-à-vis ébahi : «Anh nói tiêng Viêt !» (Je parle vietnamien !). Et là, en général, un sourire apparaît sur son visage, et en écho je reçois un «Oh ! Anh nói tiêng Viêt !»… Ben oui, ça fait deux minutes que j'essaie de le dire ! Et bien sûr, je ne manque jamais, quand un Vietnamien m'adresse la parole en anglais, de lui demander de me parler en vietnamien, arguant du fait qu'ici nous sommes au Vietnam et qu'au Vietnam on doit parler vietnamien, comme en France on doit parler français. Ma maîtrise de la langue de Shakespeare, je la réserve pour les touristes anglophones, perdus dans les rues de Hanoi, ou qui n'ont pas le bonheur d'avoir les mots «œuf au plat» (trung ôp-la) dans leur vocabulaire !

Pour terminer, je dois dire que je bois aussi du petit lait, quand mes interlocuteurs vietnamiens apprennent que je suis Français. À chaque fois, j'ai droit aux mêmes remarques : le français, la langue de l'amour et de la poésie ! Et si l'exquise politesse vietnamienne en rajoute un peu dans le compliment, je dois avouer que cette image de ma langue natale titille agréablement mon amour-propre, et sans doute aussi celui de mes compatriotes…, même si la réputation est peut-être un peu surfaite !

Voilà, je vous ai dit franco de ce que je pense de la Francophonie au Vietnam !

GERARD BONNAFONT/CVN

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