Le Vietnam me fait souvent penser à un tableau impressionniste. Vu de loin, un pays longiligne en forme de palanche où tout le monde porte le chapeau pointu ! Vu de près, une immense variété des paysages, des cultures locales fort différentes, des dizaines de prononciations pour le même mot… Pourtant, de tout cela se dégage une harmonie qui envoûte et parfois étonne dans ce monde si instable du 21e siècle.Sans doute fatigués des modèles stéréotypés dans lesquels ils évoluent au long de l'année, de nombreux Occidentaux viennent au Vietnam pour trouver la différence. En quelque sorte un "encanaillement culturel" qui les transporterait dans un univers où l'authentique remplacerait l'artificiel, le durable supplanterait le provisoire, le traditionnel éloignerait le modernisme. Oui, mais du rêve à la réalité, il y a parfois des pas à ne pas franchir !

Il ne s'agit pas de rêver…

"Dis, on pourra aller chez les minorités ethniques ?". En posant cette question à laquelle j'acquiesçais, l'ami - qui m'avait invité chez lui lors d'un de mes voyages en France - ne savait pas ce à quoi il s'engageait !

Six mois plus tard, je l'accueillais, avec son épouse, à l'aéroport de Nôi Bài, à Hanoi. Je n'ai eu aucun mal à le repérer parmi la foule de touristes harassés rejetés sur le plancher des vaches après 12 heures de contention dans des sièges trop étroits ! Chapeau de brousse, veste reporter en toile, pantalons multi poches, brodequins de marche : Indiana Jones débarque ! Il faudra que je lui explique que la jungle ne couvre qu'une partie du pays et que nous n'allons pas au cœur de la forêt amazonienne pour rencontrer des peuplades encore inconnues…

Après avoir promené mon aventurier quelques jours à Hanoi, nous prenons la route des montagnes pour aller à la rencontre des habitants, dont certains vivent encore en respectant leurs coutumes ancestrales. Pardonnez-moi, amis lecteurs, de ne pas vous dévoiler le trajet que nous allons suivre ! Les difficultés d'accès en voiture et surtout en car en font un îlot préservé dans les montagnes, qui lui permet justement de conserver cette fameuse "authen- ticité" si prisée…

Nous quittons Hanoi au petit matin et laissons progressivement derrière nous les faubourgs, les zones industrielles, les quartiers nouveaux qui sortent de terre comme des champignons pour arriver aux premiers contreforts montagnards du Nord. Je sens l'impatience chez mes invités : "Quand est-ce qu'on les verra ?". J'ai l'impression d'être Christophe Colomb sur sa caravelle, pressé par un équipage avide d'arriver au port. Patience, mes amis… Il faudra attendre demain pour entrer dans les régions où vivent Thaïs, H'môngs et Dzaos. Mais peut-être pourrons nous en rencontrer quelques uns aujourd'hui.

Tenez, justement, regardez, là sur le bord de la route, les 2 femmes qui cheminent : des Thaïs reconnaissables à leurs grands jupes noires, leur large ceinture vert clair et leur chemise bleu ciel… À ma description répond un long gémissement de déception. Fatigué par le voyage, mon ami explorateur somnolait et, comme la vitesse de notre voiture est supérieure à celle qui lui permet de revenir au seuil de vigilance, les femmes ont déjà disparues derrière nous, masquées par un virage, et donc de Thaïs point il ne voit ! Il sollicite un arrêt pour attendre que ces éléments précurseurs d'une minorité ethnique puissent nous rejoindre afin qu'il immortalise sur pellicule SA première rencontre avec de tant attendus authentiques autochtones (prononcer ces derniers mots à voix haute en articulant : excellent pour muscler la face et lutter contre les rides !). Je modère son zèle anthropologique en soulignant que, d'une part il pourra prendre autant de photos qu'il le souhaite dans les heures et les jours à venir, et que d'autre part la meilleure prise de contact n'est sans doute pas de surgir comme un diable d'un véhicule, en intimidant les gens avec un objectif… Acquiescement du bout des lèvres et grognements indistincts me laissent à penser que mon ami accepte de ronger son frein… dans l'immédiat. D'ailleurs, il peut se rattraper quelques heures plus tard, quand nous arrivons à notre ville-étape du jour…

Il en tremble presque de pouvoir capturer autant d'images de Thaïs aux fichus à carreaux et de H'môngs aux robes fleuris et aux chapeaux à breloques. Il jubile, flashe, zoome, panoramise. Il est enfin dans son Vietnam authentique ! Il se soucie peu que son 1m90 et son énorme bedaine étonnent les habitants, suscitent des sourires amusés chez les femmes et effraient les enfants. Je le laisse à sa joie, car je sais de quoi demain sera fait !

… Il faut le vivre pour y croire !

Au petit déjeuner, c'est un gaillard revigoré qui me rejoint. "J'ai une faim de loup ! Qu'est-ce qu'on mange ?". "Un pho bò ! Autrement dit, une soupe avec de la viande de bœuf !". "Euh ! Il n'y aurait pas d'autre chose ? Pain grillé, beurre, confiture, œufs brouillés, fromage blanc…?". "Ah, non, là tu te trompes de minorité ethnique ! Faudrait plutôt aller du côté d'une des belles provinces de France ! Ici, l'authentique, c'est le pho !". C'est maintenant un gaillard un peu moins faraud qui exerce ses papilles à apprécier matutinalement épices et viande…

L'épreuve accomplie, nous reprenons la route pour nous enfoncer plus avant dans ses territoires où, comme dirait Dumas, la main de l'homme n'a jamais mis les pieds ! Enfin, quand je parle de l'homme, je parle ici de l'homo turisticus ! Après quelques kilomètres, j'aperçois un petit village sur pilotis, à l'orée de la jungle. Hurlements de joie, quand je propose d'y aller rendre visite. Caméscope les précédant, mon ami et sa femme me suivent sur le sentier pierreux qui descend vers le village en contrebas. Nous atteignons une petite rivière qu'il faut traverser à gué en mouillant nos chaussures. Cris de plaisir de mes découvreurs amateurs ! Mettre les pieds dans une rivière dégoûtante, polluée par les déjections animales et humaines, ça c'est authentique ! Si je ne leur fais pas laver les pieds à l'eau claire de retour à la voiture, les champignons qu'ils récolteront entre les orteils seront aussi authentiques !

Comme d'habitude, après le premier moment de stupéfaction devant un Tây (Occidental) qui parle leur langue, les villageois nous invitent à pénétrer chez eux pour partager un peu d'eau chaude et faire la causette. C'est l'extase pour mon ami quand il pénètre, enfin, au cœur de la vie de ces minorités ethniques, tellement… vraies ! Son appareil capture le pauvre mobilier qui orne une maison au sol en lattes de bambou. Sans vergogne, il filme au vol la vieille grand-mère qui essaie de se cacher derrière un pilier et derrière les sourires un peu gênés de nos hôtes intimidés par ce grand escogriffe envahisseur. Il ne voit que des sourires de sympathie qui l'encouragent à poursuivre sa quête "culturophage" ! Il pose enfin son appareil quand nous l'invitons à boire une tasse… d'eau chaude ! Après la première gorgée qu'il a le bon réflexe d'avaler, il se tourne vers moi : "Mais, c'est de l'eau chaude !". "Oui, c'est bien ce que j'ai dit : nous allons boire de l'eau chaude !". "Mais, je croyais que c'était une façon de parler du thé !". "Non, ici l'eau chaude, c'est… authentique !".

Adieu à nos hôtes d'une heure et nous repartons pour arriver en fin de journée dans une toute petite bourgade où nous logeons chez un habitant que je connais bien. Je vous fait grâce de l'affaissement progressif de mon ami au fur et à mesure qu'il découvre l'authenticité de la vie des minorités ethniques : la cuisine sur le foyer au milieu de la salle commune ; la nuit sur une natte, à peine séparée des buffles et des cochons par un mince plancher en latte de bambous ; la toilette au coin du puits, sous le regard espiègle des enfants et des jeunes femmes qui passent leur temps à estimer le poids du personnage ; la circonférence du tour de taille et d'autres considérations sur ses relations avec son épouse, si fine par rapport à lui, que je ne traduirais pas ici !

Le lendemain, je lui demande s'il est satisfait de sa rencontre avec les minorités ethniques. D'une voix faible, il me répond que oui, mais que peut-être lorsqu'on ira faire un tour sur la baie d'Ha Long, on pourra aller dans un hôtel 4*. Il est vrai que je lui avais proposé de passer la nuit sur une pêcherie flottante, histoire de vivre l'authenticité !

Authentique : qui est vrai, sans artifice ! Pas facile à vivre partout, surtout quand on visite un pays avec des images d'Epinal plein la tête !

Gérard BONNAFONT/CVN

Commentaires

Un régal

Oui c'est un régal de vous lire , vous au moins vous maîtrisez la plume ...pas comme moi ... sourire
Vous avons aussi une paillote 100 % authentique , dans le plus pur style du mekong , bois , palme , une natte sur la table lit , boiserie de façade sculptée , balcon , etc ,, le tout sur pilotie au dessus de l'eau .
C'est la premiere demande lors des réservations pour avoir cette fameuse authenticité .
Je les préviens et malgré tout je leurs bloque plutôt du chambre normale c'est t'on jamais .
Sur 100 personnes qui sont deja passées ici , aucune n'a , en fait , voulu passer une seule nuit ... De loin derrière leurs ordinateurs ils rêvent de vivre a l'authentique , mais de près , c'est une autre histoire , du moins mes visiteurs . Aucun n'a encore eu le courage ... Moi non plus d'ailleurs , j'ai deja donné durant mes 4 premiers mois au vietnam , dans ma belle famille . Mes os s'en souviennent encore .
Bravo pour ce super texte que j'ai relu deux fois par plaisir , ce coin a l'air merveilleux

Commentaire

Excellent! La description de son ami homo touristus est drole mais tellement vraie!!! Combien en ai-je vu accoutrés de la sorte!

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