1er février 1968. Le colonel Nguyen tire de sang-froid une balle dans la tête d'un Viêt-cong

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1er février 1968. Le colonel Nguyen tire de sang-froid une balle dans la tête d'un Viêt-cong

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Le photographe Eddie Adams et un caméraman enregistrent la scène hallucinante. Le cliché fait le tour du monde.          

Le lieutenant-colonel Nguyen Ngoc Loan, chef de la police de Saigon, s'approche tranquillement de l'homme que ses soldats viennent de capturer, le Viêt-cong Nguyen Van Lem. Le premier lève son bras, armé d'un Smith & Wesson modèle 38, à la hauteur de la tempe du second. Son doigt presse la gâchette. La balle traverse la tête du Viêt-cong au moment où le photographe américain Eddie Adams déclenche l'obturateur de son Nikon. L'une des plus célèbres photos de la guerre du Vietnam vient d'être prise aux alentours de midi, le 1er février 1968, deuxième jour de l'offensive du Têt (réunissant les Viêt-congs et l'armée populaire vietnamienne), dans le Vietnam du Sud.

Aujourd'hui, Internet et Twitter nous ont habitués à des images autrement plus violentes en provenance de toutes les zones de conflit. Ainsi a-t-on pu voir récemment les fesses de Justin Bieber, la tête des Bogdanov ou encore le sexe poilu de Kate Moss dans le magazine Love. Mais, à l'époque, le cliché de cette mort en direct explose à la gueule de millions d'Occidentaux. Sa force réside dans sa simplicité. Elle montre un meurtrier agissant calmement, un prisonnier civil aux bras liés. Une arme ressemblant à un joujou inoffensif. Une grimace déclenchée par le passage de la balle dans le cerveau. Un caméraman est aussi présent sur les lieux. Il filme la même scène, mais ses images animées n'ont pas la même force.

Immédiatement après le tir, le prisonnier s'écroule sur le sol, des jets de sang mouillent le trottoir, ses jambes sont agitées de quelques tremblements. Le photographe continue de shooter. C'est son boulot. Pas de colère envers le chef de la police. Pas de compassion envers la victime. Aucune volonté affirmée de dénoncer la guerre. Seulement le sentiment de tenir le bon cliché. Eddie Adams est lui-même un ancien marine. Il a tué par le passé. Il a couché sur la pellicule des centaines de morts. En revenant au bureau de son agence, l'Associated Press (AP), quelques heures plus tard, il n'a qu'une pensée en tête : "J'ai eu ce que je suis venu chercher au Vietnam."

Le juste geste

La veille, premier jour de l'offensive du Têt menée par les Viêt-congs sur Saigon, Eddie était resté prudemment à proximité du bureau de l'AP et de l'ambassade américaine où se déroulaient des combats. Pour couvrir le conflit dans le reste de la ville, les agences emploient de jeunes photographes vietnamiens (l'un d'eux n'a que 14 ans) circulant à moto. Le deuxième jour, Eddie Adams décide de se rendre à Cholon, le quartier chinois de la capitale, avec un caméraman de la BBC, Vo Su. Ils assistent à la reconquête d'une pagode par les marines viets. C'est alors que l'attention d'Eddie est attirée par deux soldats vietnamiens qui viennent d'ouvrir une porte et de sortir en le tirant un homme, vêtu d'une chemise à carreaux et d'un short noir. Ses bras sont liés dans le dos. Ils le bousculent pour qu'il avance. Comme le trio s'approche de lui, Eddie prend une première photo. Il garde son oeil rivé contre le viseur. Les deux soldats s'arrêtent à moins de deux mètres de lui avant de reculer, laissant leur prisonnier seul. Dans son viseur, le photographe voit apparaître un homme qui sort un pistolet de son étui pour le tendre vers la tête du Viêt-cong. "Je ne soupçonnais absolument pas qu'il voulait tirer. Souvent, on collait ainsi une arme sur la tête des prisonniers pendant les interrogatoires. Mais ce n'est pas ce qui est arrivé. L'homme a juste tiré son pistolet hors de son étui, l'a levé jusqu'à la tête du Viêt-cong et lui a tiré une balle dans la tempe. J'ai pris la photo en même temps", expliquera ultérieurement Eddie Adams. Pendant ce temps, Vo Su filme.

Après l'exécution, le chef de la police, absolument pas gêné d'avoir été photographié ou filmé, se dirige calmement vers Eddie pour lui expliquer : "Ils ont tué beaucoup de gens de mon peuple, et du vôtre aussi." Puis il s'éloigne, certain d'avoir agi justement. Le soir même, les photos sont transmises à Paris par la seule ligne téléphonique à la disposition d'AP. Pas d'Internet à l'époque. La transmission de chaque cliché prend une vingtaine de minutes, et encore il faut répéter l'opération plusieurs fois. Du coup, seul celui montrant la mort du Viêt-cong est transmis, alors qu'Eddie aurait aimé qu'ils le soient tous pour raconter toute l'histoire.

Vendeur de pizzas

L'image connaît un succès planétaire. Les journaux du monde entier la publient. Le prince Harry la découpe pour la mettre dans son album souvenir. Question : pourquoi devient-elle, celle-là précisément, le symbole de la barbarie de la guerre, alors que de nombreuses autres sont prises par les photographes sud-vietnamiens, comme cette séquence montrant un soldat qui partage son sandwich et sa gourde avec une Viêt-cong avant de l'abattre ? Durant l'offensive du Têt, des centaines d'exécutions sommaires ont lieu à Saigon, mais seule la photo de l'Américain fait le tour du monde. Elle devient une icône pour les opposants à la guerre du Vietnam, même si le conflit perdure encore sept ans. Et elle vaut le prix Pulitzer à Eddie Adams.

À l'époque, on s'est beaucoup interrogé sur l'identité exacte de la victime et sur la raison profonde ayant justifié son exécution. Geste gratuit du chef de la police ? Le prisonnier lui a-t-il avoué être un adepte du "Gangnam Style" ? Des photographes vietnamiens prétendent qu'il s'agit d'un traître ayant travaillé pour les deux camps. Son épouse, qui se fera connaître bien plus tard, affirme qu'il était membre du Front national de libération, le Viêt-cong, sous le nom de guerre de Bay Lop. Des sources sud-vietnamiennes disent qu'il aurait été le chef d'un escadron de la mort chargé de descendre les officiers de la police et leurs familles. D'où la vengeance immédiate du lieutenant-colonel Nguyen, qui ne sera jamais puni pour son geste. Au contraire, il sera bientôt promu général de brigade. Après la guerre, il s'installe en Virginie pour y vendre des pizzas. Une façon tout aussi efficace de tuer, mais des Américains, et par obésité... Nguyen Ngoc Loan meurt en 1998, à 67 ans.

 ET 

 

 

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