Dien Bien Phu, l'histoire revisitée

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Dien Bien Phu, l'histoire revisitée

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(www.lemonde.fr) - C'est un livre qu'on n'oublie pas. Peut-être parce qu'il ne s'agit pas d'un livre d'histoire, mais de courtes histoires, simples, vivantes, émouvantes. Un demi-siècle plus tard, des vétérans vietnamiens de la bataille de Dien Bien Phu racontent ce qu'ils ont vécu.

Dien Bien Phu, vu d'en face est une première. Mises à part les très officielles mémoires du général Giap, on ne disposait pas jusque-là, en France, de témoignages de bô dôi (combattants vietnamiens) sur cette bataille qui a duré 170 jours, du 20 novembre 1953 au 7 mai 1954.

Cinq jeunes journalistes vietnamiens ont eu envie de combler les "trous de mémoire" de l'histoire de leur pays, le jour où ils ont rencontré un vétéran et constaté que "son" Dien Bien Phu ne collait pas vraiment à la version présentée jusque là à Hanoï. Pendant dix-huit mois, ils ont parcouru leur pays et retrouvé plus de 200 anciens combattants qu'ils ont interrogés. Publié en 2009 au Vietnam pour le 55ème anniversaire de la bataille de Dien Bien Phu, ce recueil de témoignages paraît aujourd'hui en France.

De toutes fonctions et de tous grades, ces bô dôi ne se présentent pas en héros. Ils racontent ce dont ils se souviennent avec une désarmante simplicité. Souvent sans formation militaire, ces hommes et ces femmes montaient au front avec un slogan : "herbe verte ou poitrine rouge". Autrement dit, une fois les combats engagés, ils devaient soit mourir et être ensevelis sous les herbes, soit rentrer victorieux, le torse couvert de décorations écarlates.

On est surpris, touché, par ces récits faits à la première personne. Cinquante ans après, ce ne sont pas des histoires construites, mais des instantanés, parfois même de simples sensations. L'un se souvient des gémissements des soldats français agonisant sur le champ de bataille. "Que disent-ils ?", l'interrogeaient ses compagnons d'armes. Et lui, qui comprenait le français, traduisait : "ils réclament leur mère. Ils sont comme nous, de jeunes hommes qui n'ont pas encore de femme et qui invoquent leur maman avant de s'éteindre".

Celui-là revoit une jeune aide soignante vietminh, paralysée par la honte à l'idée d'aider un blessé à uriner. Cet autre reste hanté par la boue, rendue "aussi épaisse et consistante qu'une soupe de riz" quand il avait plu dans les tranchées. La faim les tenaillait. L'espoir d'une ration de riz était une obsession.

Parfois, d'autres souvenirs, inattendus, refont surface. Ce citadin, par exemple, considéré par les autres bô dôi comme "un petit bourgeois", raconte qu'il était exempté de corvées manuelles à la condition qu'il raconte à ses copains "la ville, les gens de là bas, les westerns au cinéma, et Les Misérables de Victor Hugo…"

Jamais les Français ne se sont vraiment intéressés à la guerre d'Indochine, encore moins à Dien Bien Phu, "la seule bataille rangée et perdue par une armée européenne pendant toute l'histoire des décolonisations", comme le rappelle l'historien Jean-Pierre Rioux, qui a préfacé le livre dans sa version française.

Le général Bigeard aurait aimé que ses cendres soient dispersées au dessus de la célèbre cuvette. Son entourage l'a fait savoir au moment de son décès à Paris, en juin dernier, à 94 ans. Les officiels vietnamiens ont fait la sourde oreille. La demande de ce vétéran français de Dien Bien Phu, parachuté là bas à deux reprises avant d'être fait prisonnier, les a embarrassés, ce qui n'étonnera guère.

Pourtant, il ne reste pas au Vietnam le moindre ressentiment envers la France. "Tout ça, c'est du passé. On vit avec le présent. A aucun moment lors de nos entretiens, les vétérans n'ont montré de haine envers leurs anciens 'ennemis'. La population vietnamienne fait preuve aujourd'hui d'une immense tolérance", témoignent le journaliste Dang Duc Tué et sa consoeur Dào Thanh Huyén, qui ont piloté la rédaction du livre.

En France, ce qu'a été la colonisation ne suscite dans l'ensemble qu'incompréhension et indifférence. Ce recueil de témoignages, "qui n'a d'autre couleur militante que l'humble cause de l'humanité", selon les termes de Jean-Pierre Rioux, devrait contribuer à la prise de conscience, cette fois au pays des anciens colonisateurs.

DIEN BIEN PHU vu d'en face. Paroles de bô dôi. Nouveau Monde Editions, 271 pages, 23 euros.

Florence Beaugé

(source www.lemonde.fr)

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