EVFTA : Quelles opportunités pour la France et l’UE ?

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EVFTA : Quelles opportunités pour la France et l’UE ?

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Le 4 septembre 2020, l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée — EGA, l’Ambassade du Vietnam en France et leurs partenaires ont organisé en ligne une conférence portant sur « Les opportunités d’affaires suite à l’accord de libre-échange UE-Vietnam ».

Celle-ci s’inscrit dans le cadre du programme des Rencontres géoéconomiques de l’Institut EGA permettant des réunions régulières entre agents économiques, institutionnels, diplomatiques et experts sur les enjeux économiques internationaux. Cette réunion est organisée en collaboration avec le groupe Airbus, les Conseillers du commerce extérieur de France, le Parlement européen et EuroCham Vietnam.

Nous publions ici un compte-rendu contextualisé de cet événement dont Asie Pacifique News est partenaire.

L’entrée en vigueur depuis le 1er août 2020, l’accord de libre-échange avec le Vietnam (EVFTA) est le plus ambitieux que l’Union européenne ait jamais conclu avec un pays en voie de développement.

À l’issue de l’exécution de l’EVFTA, la quasi-totalité des droits de douane entre les deux parties sera levée. L’EVFTA est un accord porteur d’importantes opportunités, économiques d’abord, mais aussi diplomatiques et géostratégiques. Des enjeux que l’Institut d’Études de Géopolitique Appliquée a voulu examiner et mettre en débat en réunissant un panel de diplomates et d’experts vietnamiens et européens.

Le contexte géopolitique de l’accord de l’EVFTA et la place du Vietnam.

L’accord de libre-échange UE-Vietnam intervient à un moment géopolitique particulier où selon Emmanuel Veron, enseignant-chercheur à l’École navale, « le multilatéralisme fonctionne de moins en moins bien », notamment en raison de la guerre commerciale sino-américaine. L’EVFTA marque la volonté de l’UE d’aller à rebours des unilatéralismes pour continuer à promouvoir un cadre multilatéral dans les échanges de l’UE avec le reste du monde. L’Europe cherche aussi à travers l’accord à reprendre pied en Asie du Sud-est pour approfondir sa relation avec l’ASEAN dont le Vietnam est un pôle majeur.

Le Vietnam, lui, voit dans l’EVFTA l’opportunité de poursuivre sa stratégie de diversification de ses relations diplomatiques et économiques. Le pays a besoin de trouver de nouveaux partenaires pour ses débouchés et pour se procurer les infrastructures dont il a besoin pour son développement.

La question de la place de la Chine dans les relations commerciales et diplomatiques des signataires de l’EVFTA constitue également un enjeu important en arrière-plan.

De manière générale en Asie du Sud-est, fait remarquer Emmanuel Veron, l’image du partenaire chinois est en train de se dégrader. La question sécuritaire liée aux revendications chinoises en Mer de Chine méridionale participe à cette dégradation. Elle interroge les capitales de la région qui craignent le scénario d’une imposition par Pékin d’un droit de péage sur les mers. Les prises de position de l’UE et de la France en particulier en faveur de la préservation de la liberté de navigation sont favorablement perçues par le Vietnam.

Sur un plan économique, Emmanuel Veron l’affirme, le système international est à un tournant : la mondialisation centrée sur la Chine comme usine du monde est en train de s’achever. La sénatrice Catherine Deroche souligne ainsi que la France gagnerait en indépendance en ne s’appuyant pas exclusivement sur une production venant de Chine. Le Vietnam quant à lui aurait aussi intérêt à réduire sa dépendance envers ses fournisseurs chinois, en particulier dans le domaine du textile où elle est presque complète. L’EVFTA pourrait donc permettre aux deux parties de tirer profit de la reconfiguration en cours des chaînes de valeur, ainsi que la chaîne d’approvisionnement des intrants industriels et fabrication, hors de Chine.

La résilience économique du Vietnam face à la pandémie de CoVid-19.

La crise du coronavirus est un autre événement majeur du contexte géopolitique dont le Vietnam a su tirer profit. Avec la réussite de sa gestion de la pandémie, le Vietnam peut s’afficher comme un partenaire économique attractif, mais aussi résilient.

Laurence Daziano, maître de conférences en économie à Sciences Po met au crédit de cette réussite la réaction rapide des autorités qui durant la crise ont constamment devancé les recommandations sanitaires de l’OMS. Avec pour résultat, un arrêt des activités non essentielles réduit à 3 semaines, une durée inférieure de moitié à celle du confinement en France.

Le Vietnam peut s’enorgueillir d’une croissance légèrement positive au premier trimestre 2020 (+0,4%) alors que les économies du monde entier se contractaient d’environ 10% en moyenne. Un vigoureux programme d’assistance économique à destination des entreprises et des ménages a permis au Vietnam de faire face au choc de l’effondrement de la production et de la demande.

Le Vietnam a su profiter de la crise du coronavirus pour en tirer des opportunités commerciales. Jean-Jacques Bouflet, vice-président de l’EuroCham Vietnam, révèle que le « Vietnam n’a jamais cessé de produire pendant le COVID ». En pleine pandémie, les investissements directs étrangers (IDE) ont même continué de croître de 12 milliards d’euros.

Le Vietnam a néanmoins connu un choc profond sur les deux piliers de son économie, la consommation des ménages (-4%) et les exportations (-15%). Dans le secteur du tourisme, ce n’est pas moins de 20 millions de voyageurs qui ont manqué à l’appel.

Laurence Daziano affirme pourtant que le Vietnam possède les atouts pour surmonter la crise économique actuelle. Le Vietnam a vu son économie se « digitaliser » pendant la pandémie dans les domaines des paiements en ligne, de l’éducation et de la santé. La digitalisation des services, un domaine où le Vietnam accusait auparavant un certain retard, sera un levier de croissance déterminant pour assurer la compétitivité du Vietnam dans le monde de l’après-CoVid.

Un accord de nouvelle génération « gagnant, gagnant ».

Le Vietnam est donc un pays attractif tant pour son potentiel économique que pour son positionnement stratégique en Asie du Sud-Est.

L’accord de nouvelle génération formulé par l’UE a été pensé pour tirer parti de toutes les dimensions de la relation entre l’Europe et le Vietnam.

L’UE entend être un acteur géopolitique, explique Mme Cepova-Fourtoy cheffe d’unité du développement et commerce international (Groupe ECR). L’EVFTA doit être le vecteur d’un « soft power » — le pouvoir de convaincre — européen en faveur d’un multilatéralisme basé sur un commerce libre et des valeurs communes. L’accord est envisagé comme le moyen de promouvoir les standards de l’UE en ce qui concerne les règles d’origine des marchandises, la sécurité phytosanitaire, la protection des investissements et de la propriété intellectuelle, le renforcement du droit du travail et la défense des droits de l’homme.

Le Vietnam s’est ainsi engagé à mener des réformes institutionnelles importantes. Le Vietnam a ratifié les accords de Paris pour le climat et les conventions de l’Organisation internationale du Travail (OIT). En ce qui concerne la protection juridique des biens, près de 196 appellations géographiques — européennes — seront reconnues par le Vietnam une fois l’accord mis en place.

Les retombées économiques attendues de l’accord se traduiront par une augmentation des exportations de l’Europe vers le Vietnam de 5 à 7% pour un montant de 8 milliards d’euros, chaque milliard d’euros d’exportations représentant la création de 14000 emplois en Europe.  Le Vietnam espère une augmentation de son PIB de 2,4 points et une hausse de ses exportations vers l’UE de 12% d’ici 2030.

La suppression de la majorité des droits de douane devrait grandement bénéficier aux secteurs automobiles, viticoles, cosmétiques, aéronautiques et pharmaceutiques. La France, selon Mme Nguyen Quynh Anh, cheffe de la section économique de l’Ambassade du Vietnam en France est attendue pour son expertise technologique dans le domaine du textile, des transports, du traitement des eaux et du déchet et des énergies propres.

Les transferts de technologies sont d’après Jean-Jacques Bouflet, une carte que la France peut jouer pour parvenir à nouer des relations de partenariats de long terme au Vietnam.

Pour superviser l’exécution de l’EVFTA, trois outils ont été définis : une commission mixte de députés de l’Assemblée nationale du Vietnam et du Parlement européen ; la création d’un responsable européen du respect des règles du commerce ; une assistance technique et financière pour aider le Vietnam à atteindre ses objectifs.

S‘ils introduisent la notion d’une supervision parlementaire des dispositions de l’accord, le caractère effectif des outils de contrôle des engagements des parties fait pourtant débat pour les volets non commerciaux de l’EVFTA.

Les limites économiques, politiques de l’EVFTA et les droits de l’Homme, point d’achoppement de l’accord.

La sénatrice Catherine Deroche, le reconnaît, sur la question des droits de l’homme, l’EVFTA fait polémique au parlement européen. La raison de la bronca, l’absence dans l’accord de dispositif de sanctions en cas de violation par la partie vietnamienne de ses engagements sur les droits de la personne.

Marie-Pierre Vedrenne, députée européenne, vice-présidente de la Commission du commerce international, révèle que de vifs débats ont eu lieu au sein de la Commission européenne et des groupes parlementaires sur le sujet.

Au parlement, l’accord n’a pu être voté qu’à une majorité relative. La ratification future de l’accord de protection des investissements EU-Vietnam (EVIPA) par les parlements nationaux pourrait connaître des difficultés.

Pour les parlementaires du côté gauche de l’hémicycle, les accords de libre-échange sont perçus comme « perdant, perdant ». La mondialisation fait aussi l’objet d’un rejet de la part d’une partie de la société civile européenne. Pour les prochains votes, un travail pédagogique important devra être réalisé auprès des opposants à l’accord averti Marie-Pierre Vedrenne.

La persistance de risques d’affaires au Vietnam.

L’EVFTA, s’il l’ouvre des perspectives commerciales nouvelles, ne lève pas entièrement des risques persistants dans les relations d’affaires au Vietnam, explique Jean-Michel Caldagues, conseiller du Commerce extérieur de France – Comité Vietnam.

La chambre de commerce de l’UE a par exemple constaté une explosion des barrières non tarifaires qui sont passées au Vietnam, en quelques années, de 20 à 400. Dans la pharmacie comme dans le secteur de l’énergie, la distribution de biens au consommateur final doit passer par l’intermédiaire d’une société vietnamienne.

Dans le domaine bancaire, les établissements vietnamiens ne se sont pas mis au niveau des dernières normes prudentielles, l’implémentation de Bâle II vient tout juste d’être achevée.

Si la situation s’est améliorée, le Vietnam connaît encore des problèmes de corruption et de gouvernance relatifs à la transparence des marchés publics et à la réforme des entreprises d’État.

Enfin le niveau des infrastructures vietnamiennes n’est pas encore satisfaisant pour accueillir un flux plus élevé d’IDE. Les autorités ont privilégié la stabilité de l’endettement au détriment des investissements en infrastructure ce qui a ralenti fortement la modernisation des aéroports et des transports.

Il souligne aussi que la meilleure façon de s’implanter au Vietnam sera de l’investissement accompagné du partage des savoirs, du transfert de technologie et de la formation.

Le futur.

La signature de l’EVFTA permettra-t-il de donner plus de substance aux relations commerciales entre la France et Vietnam ? Celles-ci demeurent aujourd’hui encore modestes.

C’est le vœu de l’ambassadeur au Vietnam, Nguyen Thiep qui perçoit dans l’accord de libre-échange, la possibilité d’appuyer par des moyens économiques le regain d’intérêt que la France et le Vietnam ont l’un pour l’autre depuis les visites du président secrétaire général Nguyen Phu Trong en France 2018 et d’Édouard Philippe au Vietnam la même année.

Une lecture des échanges franco-vietnamiens soutenue également par la sénatrice Catherine Deroche : « il faudrait que notre diplomatie ne soit pas que nostalgique et culturelle. Il convient également de donner une dynamique accélération du côté économique » dans la relation France-Vietnam conclut la sénatrice en fin du colloque.

Source:  Par Pham Quang et la rédaction de Asie Pacifique News

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