Former les enfants défavorisés au Vietnam

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Former les enfants défavorisés au Vietnam

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Au centre de formation australo-vietnamien KOTO, les stagiaires ont le choix entre trois cursus: bar, service en salle et cuisine.

Rejoindre les circuits de l’éducation formelle, intégrer une formation reconnue, se faire une place dans le monde professionnel. Telles sont les étapes que peuvent aujourd’hui franchir les enfants défavorisés des rives du Fleuve rouge, à Hanoi, grâce à des projets éducatifs de qualité.

A l’école de la vie et de la cuisine

Tuyet a 17 ans. Les cheveux coupés courts, encadrant un visage serein, elle dégage une maturité impessionante pour son âge. Elle nous reçoit ce matin chez elle, sur “l’île”, cette bande de terre au milieu du Fleuve rouge, en plein Hanoi. Entrée en formation à KOTO[1] en juin 2012, elle fait le point avec nous sur ses neuf premiers mois d’apprentissage. Elle raconte: “J’ai arrêté une première fois les cours en classe 5 (CM2), puis j’ai repris la classe 6 plus tard (6e). J’ai arrêté pour de bon en 2009. J’ai ensuite travaillé un peu dans la restauration”. Le parcours de Tuyet a basculé sur une rencontre: alors qu’elle avait fait une première demande - infructueuse - pour intégrer la KOTO, son fondateur, Jimmy Pham, est venu dîner un soir au restaurant où elle travaillait, à Hanoi. Le gérant a eu la bonne idee de lui présenter la jeune fille; peu après, elle commencait ce cycle de formation reconnu.

KOTO est plus qu’un training center; l’organisme se veut une famille, un lieu d'éducation, où chacun apprend certes un métier, mais développe également ses aptitudes personelles. La théorie et la pratique se mêlent au sein du parcours, et les journées se décomposent en deux parties distinctes: des cours pratiques le matin (cuisine ou service), et des cours d’anglais et de développement personnel l’après-midi[2]. “Chaque semaine, nous avons trois jours de cours, deux jours où nous travaillons en restaurant, et deux jours off, précise Tuyet. L’un de ces deux jours est consacré à la vie de la maison: on doit cuisiner pour les autres, faire le ménage… L’autre jour est totalement libre”. Elle utilise généralement cette liberté pour rendre visite à sa famille, avec qui elle ne vit plus. Logée par KOTO dans une maison avec seize de ses camarades, Tuyet mesure sa chance, mais se sent parfois à l’étroit: “Le soir, on ne peut pas sortir après 20 heures. On doit étudier! Et à 22h30, on éteint les lumières”.

Parfois difficiles à accepter pour les adolescents, ces règles de vie sont l’un des marqueurs de la formation made in KOTO. Le développement personnel et l'apprentissage des bonnes pratiques y sont au moins aussi importants que le cursus scolaire et professionnel. Les règles de vie redonnent à des enfants au passé parfois très lourd les bases éducatives et quotidiennes qui leur font quelquefois défaut. “Ici, les jeunes apprennent à donner autant qu’à recevoir, explique Lê Ngoc Hiên, chargée de communication à KOTO. On essaye de les aider à devenir de bonnes personnes”. Comme le souligne Tuyet, la vie de groupe et la formation sont teintées d’entraide mutuelle: “Les plus vieux nous aident pour nos devoirs[3]. En classe, on se soutient les uns et les autres. La plupart de mes camarades ne parlaient pas anglais avant d’arriver, c’est dur pour eux[4]!”.

Elle poursuit: “Pour moi aussi, c’est parfois difficile. Il y a des jours où je n’ai pas envie d’apprendre”.

Chaque mois, Jimmy Pham rend visite aux étudiants, pour faire le point sur le mois écoulé; chaque année, une évaluation grandeur nature vient sanctionner les progrès réalisés par les stagiaires. Tuyet détaille: “On doit organiser un grand repas pour des célébrités: KOTO nous fournit les aliments, mais c’est nous qui cuisinons, servons, dressons la table[5]…On est même parfois obligés d’y mettre un peu d’argent de poche, si on veut faire quelque chose de bien!”. Formés à un métier, responsabilisés et habitués à vivre en collectivité, les jeunes de KOTO intègrent assez facilement le monde professionnel à l'issue de leur 24 mois de formation, au Vietnam comme à l’étranger. Ce que confirme Tuyet: “On peut postuler à Dubai, à Singapour…Certains ont eu des bourses pour aller poursuivre leurs études en Australie ou en Suisse. Moi je ne sais pas encore ce que je ferais!”. Lorsqu’on lui demande si les premiers mois de formation sont pour elle une réussite, elle se montre franche et spontanée: “Je croyais tout savoir sur la restauration et le service…et bien ce n’ était pas le cas!”.

Ramener les jeunes des milieux défavorisés vers l’éducation formelle

KOTO est un exemple dans la formation de jeunes issus de milieux pauvres ou violents, à Hanoi et à Ho Chi Minh. A l’autre bout de la chaîne, des initiatives de terrain amorcent ce retour des enfants défavorisés vers l’ éducation formelle. Tuyet, avant d’intégrer le centre de formation de KOTO, a fréquenté la Youth House (devenue aujourd’hui Youth center), gérée par l’association SJ Vietnam. Les jeunes des quartiers de Long Biên et du Fisher Village[6] peuvent depuis plusieurs années y prendre leur repas du midi, et y suivre des cours de soutien, assurés par des volontaires locaux et internationaux. Cependant, face aux lacunes de l’organisation, Perrine Corgié, soutenue par quelques jeunes volontaires vietnamiens, a lancé, en mars 2011, le projet School on the boat[7]. Elle explique: “Ca ne marchait pas du tout, on n’était d’aucune utilité pour ces enfants. Ils fréquentaient une école de quartier, et le suivi qu’on assurait en tant que volontaires était trop faible. On a eu l’idée de les réintégrer au cursus scolaire formel. Il a donc fallu récupérer les certificats de naissance nécessaire aux inscriptions, pour au moins une dizaine d’entre eux. Et ca n’a pas été simple!”. En septembre 2011, les seize enfants du Fisher village et de “l’île” sont enfin scolarisés. “L’entrée dans le parcours classique s’est révélée difficile, confesse Perrine. La sociabilisation avec les autres n’a pas été evidente, et leur niveau scolaire était vraiment faible”.

Afin d’optimiser le soutien apporté aux enfants, School on the boat s’appuie sur un réseau de volontaires locaux. Agés d’une vingtaine d’années, ces étudiants visitent les familles deux fois par semaine, afin d’assurer des cours du soir, mais aussi de tisser un lien avec les parents. Une volontaire internationale et deux coordinateurs vietnamiens assurent leur encadrement. Meo, 22 ans, occupe cette place depuis un an. Il recrute de nouveaux volontaires, coordone leur action, et visite les familles deux fois par mois, afin de s’assurer que tout se passe bien. Pour lui, ces enfants ont avant tout besoin de présence et d’attention: “Je n’aime pas parler de manque d’éducation. Ils ont juste besoin qu’on soit avec eux, qu’on les aide à s’intégrer correctement à la société”. Dans ce but, la scolarisation joue un rôle déterminant, mais School on the boat voit plus large, et  propose également aux enfant des sorties mensuelles: jeux de plein air, visites de musées… L’idée est de les ouvrir à ce que leur quotidien ne leur offre pas. Durant ces regroupements, les seize enfants du Fisher village et du quartier de Long Biên sont réunis.

School on the boat est aujourd’hui un interlocuteur direct entre les familles et l’école de Nghia Dung, où sont scolarisés les enfants. L’association prend en charge 75% de leurs frais de scolarité, ce qui couvre les uniformes, les livres, le fonds de classe[8] et les frais liés aux cours d’ été. Les 25% restants sont normalement apportés par SJ Vietnam; le total des frais annuels, pour un enfant, s’élève à environ 200 dollars, un coût que les familles ne peuvent pas absorber.

Deux ans après le lancement de l’initiative, quel bilan tirer de ce retour à l’éducation formelle? Selon Perrine, “certains enfants ont fait de gros progrès. Avant, il y en a qui ne tenaient pas en place, où qui mordaient carrément les gens qui s’approchaient d’eux! Leur niveau scolaire s’est aussi amelioré, même s’il reste moyen”. Meo partage ce constat, et l’un comme l’autre souhaitent que l’initiative se pérénise, afin que tous les enfants de School on the boat atteignent au moins la classe 12 (la fin du lycée). Et pourquoi pas, comme Tuyet, qu’ils intègrent la KOTO, ou un organisme de formation similaire.

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[1] KOTO signifie “Know One, Teach One”. Ce centre de formation australo-vietnamien a vu le jour en 1998, d’abord sous le nom de Street Voices, et permet aux enfants défavorisés d’Hanoi et d’Ho Chi Minh City d’intégrer un cursus profesionalisant de deux ans dans les métiers de la restauration.
[2] Ces cours comprennent l’informatique, des sorties culturelles, des jeux de confiance… Les stagiaires ont aussi la possibilité de pratiquer la musique, ainsi que différents sports.
[3] Les jeunes en formation à KOTO ont entre 16 et 22 ans. Tous les six mois, après un difficile processus de sélection (durant lequel KOTO s’assure de la réelle fragilité du cadre économique et familial de l’enfant), entre 20 et 30 nouvelles recrues intègrent le centre.
[4] Les cours sont dispensés en anglais, par des enseigants australiens.
[5] Les stagiaires ont le choix entre trois cursus: bar, service en salle et cuisine. Tuyet a choisi le bar.
[6] Au sujet du Fisher Village, voir l’article “Les éponges du Fleuve rouge”.
[7] L’association du même nom a été créée en France en juillet 2012.
[8] Apport de chaque élève à la classe, pour des dépenses communes.

(source: www.lesreporterssolidaires.org)
 

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