Ho Chi Minh-Ville l'hyperactive

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Ho Chi Minh-Ville l'hyperactive

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Jeux de châssis de fenêtres en fer-blanc, poutres apparentes, ventilateurs au plafond tournoyant lentement, L'Usine n'a rien à envier au fameux magasin Colette de la rue Saint-Honoré à Paris. Installé au coeur d'Ho Chi Minh-Ville, au premier étage d'un immeuble complètement décrépi de l'ère coloniale, ce lieu ultra-moderne et  vintage à la fois abrite un café, un espace d'exposition et un magasin où sont proposés produits locaux et vêtements de créateurs.

La nouvelle jeunesse intellectuelle branchée vient se poser là autour de tasses de thé Mariage Frères, à l'écart du bourdonnement toujours croissant de la ville et de ses nuées de mobylettes. C'est aujourd'hui l'un des lieux emblématiques de la mutation de l'ancienne Saïgon, tout comme le Chill Sky Bar, installé au 28e étage d'un de ces gratte-ciel qui ont poussé comme des champignons ces dernières années dans le centre-ville. On vient y assouvir ses envies de consommation et de paraître, après des années de privations.

Le Vietnam bouge, change à toute allure. Partout dans les rues se mêlent traditionnelles échoppes faites de bric et de broc, marchands ambulants et boutiques modernes,  parfois même des plus branchées. En 2011, la consommation intérieure a connu une hausse estimée à 24 %. Des hommes d'affaires s'y pressent et, parmi eux, nombre d'anciens émigrés de retour au pays, mais aussi des Français, héritiers des colonisateurs pas toujours débarrassés de leurs vieux réflexes.

"DES ENTREPRENEURS DANS L'ÂME"

Jusque-là, c'était surtout dans une perspective de délocalisation, pour le "made in Vietnam", que des entreprises venaient s'y implanter, avant tout intéressées par la  main-d'oeuvre bon marché. Mais, là encore, la situation évolue vite. "Le Vietnam a tout pour réussir : les ressources, la population, une importante diaspora dont  beaucoup reviennent au pays, et le sens du commerce. Le système reste très étatisé, mais les Vietnamiens sont des entrepreneurs dans l'âme", observe Nicolas Du Pasquier, vice-président de la chambre de commerce française au Vietnam. Banquier, il a une clientèle constituée aux deux tiers d'entreprises vietnamiennes, "des affaires privées, bien structurées et exportant sur les marchés internationaux".

Avec ses 92 millions d'habitants (dont plus de la moitié a moins de 30 ans), le pays a connu une croissance de 7,2 % par an en moyenne – l'une des plus dynamiques d'Asie – au cours de la première décennie du xxie siècle. Ce dynamisme a faibli et l'inflation reste élevée (6,6 %) mais, en dix ans, le PIB par habitant s'y est accru de 60 %, atteignant 1 500 dollars en 2012.

"TOURBILLON PERMANENT"

Jean-Luc Voisin, un entrepreneur français, s'est lancé, en 2000, dans une activité de transformation de fruits. "Ce pays produit quatre millions de tonnes de fruitssoit plus que la France, ajoute-t-il. Le climat permet de récolter des fruits pratiquement 365 jours par an ! L'agriculture est encore très atomisée, chaque ferme ne dépassant pas 3 ou 4 hectares. Mais, en sept ou huit ans, le Vietnam s'est hissé dans le top 3 des pays exportateurs de café, de riz, de poivre, de noix de cajou... Il y a douze ans, personne ne parlait du café vietnamien !". Aujourd'hui, son entreprise, Les Vergers du Mékong, affiche une croissance de 24 %.

Jean-Luc Voisin a trouvé au Vietnam "une espèce de tourbillon permanent". "Ce qui est valable aujourd'hui ne le sera plus demain, s'enthousiasme-t-il. Les plus de 40 ans ont des habitudes alimentaires bien ancrées, le pho reste leur plat de base, avec le riz. Mais, chez les plus jeunes, les modes de consommation évoluent à vitesse grand V et se portent, dès qu'ils en ont les moyens, sur des produits de plus en plus sophistiqués." "De nos jours, on peut évoquer avec la citadine vietnamienne les omégas 3, l'alimentation bio, les effets des pesticides sur la nourriture. Elle sait parfaitement de quoi il s'agit", relève pour sa part Eric Merlin, créateur en 2001, avec sa femme Ha, d'Annam Gourmet, une enseigne spécialisée dans la distribution de produits importés.

De plus en plus exigeante sur la qualité des produits, la demande vietnamienne se transforme aussi avec l'évolution de la structure familiale. Des jeunes ménages quittent l'habitation abritant traditionnellement deux, voire trois générations, pour s'installer chez eux. "Des marchés entiers vont bénéficier de cette prise d'indépendance, ainsi que de l'individualisation de la consommation, de la quête de distinction qu'elle entraîne", prophétise Fabrice Carrasco, directeur général de Kantar Worldpanel Vietnam, Philippines, Indonésie.

Et encore, poursuit-il, "l'essentiel de la consommation aujourd'hui ne porte que sur un tiers du marché intérieur potentiel. Les deux tiers des Vietnamiens vivent encore en milieu rural. Mais la population urbaine ne cesse de croître et, avec elle, les perspectives de consommation". Cela étant, si l'écart de pouvoir d'achat reste important entre ménages urbains et ménages ruraux, les produits de consommation, d'entretien ou de soins corporels arrivent aussi dans les campagnes. "Quand je me rends chez les paysans, les gars, dans leur bicoque, ils ont un écran plat", raconte Eric Merlin.

TROUVER SES MARQUES

Le système éducatif vietnamien est encore loin de répondre aux besoins d'une économie moderne. Si le niveau d'éducation s'améliore, l'école ne forme pas de vrais professionnels. "Le gros défi, c'est de leur apprendre à travailler en équipe et à prendre des initiatives, assure, un rien condescendant, Eric Planchon. Mais il est possible de créer un vrai esprit d'entreprise." Ce Français a débarqué une première fois au Vietnam en 1990 pour y piloter une usine de Rhône-Poulenc pendant quatre ans, et y est revenu dix ans plus tard pour lancer sa propre affaire de fabrication et de distribution de produits pour la santé animale.

Paperasserie, intermédiaires qu'il faut payer, autorités tatillonnes... les débuts peuvent être laborieux au Vietnam. Il faut trouver ses marques, comprendre les normes, s'adapter à l'environnement culturel, loin des critères occidentaux. Et il faut parfois s'armer de patience. De nombreuses activités restent soumises, pour les étrangers, à l'obtention de licences.

Mais la persévérance paye. "Si l'on vient pour participer au développement du pays, on peut vraiment travailler et faire de belles choses, soutient Jean-Luc Voisin. Les Vietnamiens mettent des barrières mais, quand on est considéré comme une entreprise créant de l'emploi, on a toujours l'oreille des autorités." Et avec un marché en friche, encore loin d'avoir atteint sa maturité, le Vietnam peut aider à se faire un nom. Même "avec une mise initiale assez modeste, en tout cas sans commune mesure avec ce qu'il faudrait en Occident", assure Samuel Maruta.

LA FABRIQUE DE CHOCOLAT

L'homme s'est lancé il y a à peine trois ans, avec Vincent Mourou, un Français rencontré lors d'un bivouac dans la jungle vietnamienne, dans la fabrication 100 % artisanale de chocolat. "La filière du café étant déjà très exploitée et comme nous sommes tous les deux fans de chocolat, quand on a découvert par hasard que le Vietnam produisait des fèves de cacao, on s'est dit 'pourquoi pas ?'", raconte Samuel Maruta.

Partis de rien, sans rien connaître à la technique requise pour travailler ces fameuses fèves, les deux compères, l'un ex-financier à la Société générale et l'autre lassé du monde de la pub, ont commencé par transformer leur cuisine en laboratoire. A l'aide de vidéos vues sur YouTube, d'un four à gaz et d'un malaxeur, ils ont mis au point leur recette. Les voilà à la tête d'une fabrique de chocolat, située à Thu Duc, l'un des faubourgs d'Ho Chi Minh-Ville, qui produit 500 tablettes par jour, soit une tonne de chocolat par mois.

Leur chocolat, Marou, "exclusivement noir", emballé à la main dans un papier kraft imprimé artisanalement d'après la technique de la sérigraphie – "ce qui aurait été inenvisageable ailleurs" –, est vendu non seulement auprès des entreprises, hôtels et boutiques de luxe au Vietnam, mais aussi dans des épiceries fines des quatre coins du monde (Europe, Etats-Unis, Australie, Singapour, Hongkong).

"COMPLEXE" MAIS "FACILE D'ACCÈS"

Si ces deux "faiseurs de chocolat", comme ils aiment à se définir, ont franchi à grandes enjambées les frontières lointaines, le Vietnam jouit aussi d'une formidable situation pour rayonner dans cette région du monde, moteur de la croissance mondiale. "Le pays est au coeur de l'Asean [ Association des nations de l'Asie du Sud-Est ] et géographiquement bien placé", relève Pierre-Jean Malgouyres, dont l'entreprise, Archetype, s'est lancée depuis le Vietnam à l'assaut de marchés au Cambodge, en Thaïlande puis en Inde, et plus récemment au Laos, Bangladesh, en Mongolie, Indonésie, Birmanie.

Voilà dix ans que cet ingénieur en génie civil et en urbanisme s'est saisi de l'aura dont bénéficie l'architecture française au Vietnam pour se lancer dans la maîtrise d'oeuvre. Leur licence en poche, Pierre-Jean Malgouyres et deux associés se sont attaqués au marché des investisseurs haut de gamme, prêts à payer plus que le standard local sans pouvoir se permettre encore celui des grandes firmes internationales.

Un choix stratégique payant : Archetype a peu à peu acquis l'image d'une entreprise pluridisciplinaire capable de prendre en charge tous les aspects d'un grand projet (de l'architecture à l'économie de la construction en passant par le management de projet) pour devenir numéro un au Vietnam. "Ce pays est une formidable école de vie, assure Pierre-Jean-Malgouyres. Le fait de se lancer ici est très formateur. C'est complexe mais en même temps facile d'accès tant les opportunités sont nombreuses."  Bref, un endroit parfait pour "s'inventer ou se réinventer", si l'on en croit le chocolatier Samuel Maruta, qui s'amuse de voir dans son aventure commerciale un "symbole de la mondialisation".

Laetitia Van Eeckhout

Pour plus d'infos:
http://www.lemonde.fr/le-magazine/article/2013/08/09/ho-chi-minh-ville-l...

 

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