Hollande au Vietnam : les Français doivent dépasser «les vieux clichés du passé»

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L'opéra de Hanoï, construit sous la période coloniale

INTERVIEW - Selon l'historien Pierre Journoud*, la France a plusieurs cartes jouer dans son ancienne colonie. Il décrypte les enjeux politiques, économiques et culturels de la visite du président François Hollande, mardi et mercredi.

LE FIGARO. - La France et le Vietnam ont été très liés dans le passé, au moment où l'Indochine était française. Plus de soixante ans après l'indépendance, nous avons parfois tendance à imaginer que ce pays est resté tel qu'il était à l'époque. Pourquoi?

Pierre JOURNOUD. - Les Français ont bien souvent en tête les vieux clichés issus d'une histoire coloniale aseptisée, romancée et figée. Or, le Vietnam a beaucoup changé depuis son indépendance. Il y a sans doute une faille dans l'enseignement français. On ne trouve guère que quelques lignes sur le sujet dans le manuel d'histoire de terminale, un peu plus en géographie. C'est regrettable: la Guerre d'Indochine et la bataille de Dien Bien Phu ont été des évènements importants dans l'histoire de notre pays. Seulement, ils se sont déroulés loin de notre sol, sans appelés. Ils ont surtout été mis dans l'ombre par la tragédie de la Guerre d'Algérie et par l'engagement titanesque des Américains dans leur guerre du Vietnam.

Quelles évolutions notables la société vietnamienne a-t-elle connu ces dernières années?

La plus frappante se situe au niveau de l'économie. Le Vietnam a adopté un capitalisme débridé, même si le secteur public continue de jouer un rôle encore très important. Ce capitalisme trouble la vieille génération qui ne s'y retrouve plus. Quant aux jeunes, ils ressentent un certain mal être, tiraillés entre cette ouverture économique rapide et la crispation du pouvoir sur les questions politiques.

Des avancées politiques ont-elles suivi?

Le pays est condamné à évoluer. Nous ne sommes pas dans le cas chinois, où le régime a tendance à se durcir avec le temps. À Hanoï, le pouvoir est beaucoup plus collégial qu'à Pékin. Il sait ménager des marges de dialogue avec les dissidents. Certes, quelques-uns sont emprisonnés pour l'exemple. Mais tout ceci est atténué par des espaces de semi-liberté importants, notamment sur Internet. Les Vietnamiens sont très connectés. Le pouvoir pourrait contrôler davantage cette fenêtre ouverte sur le monde, mais laisse volontairement cette liberté. Aujourd'hui, le régime s'appuie sur deux légitimités pour se maintenir. Tout d'abord, le succès de la guerre d'indépendance contre la France et, surtout, de la victoire dans la guerre face aux Américains. Le Parti communiste vietnamien a construit l'État-nation d'aujourd'hui grâce à ces deux évènements. La seconde légitimité, c'est le tournant économique que nous évoquions, en 1986. Le Vietnam traversait alors des années difficiles et son principal soutien, l'URSS, commençait à tanguer. On voit les bons résultats aujourd'hui: le PIB a triplé en 30 ans.

Contrairement à certaines de ses anciennes colonies africaines, nous ne paraissons pas avoir maintenu de solides liens avec le Vietnam. Comment l'expliquer?

Dans un premier temps, les guerres ont braqué le régime d'Hanoï contre l'Occident. Ensuite, il y a l'éloignement géographique. Enfin, il y a le poids massif de l'administration et la corruption massive, véritable cancer du pays. Ces obstacles peuvent rebuter les chefs d'entreprise. Diplomatiquement, les Vietnamiens peuvent parfois reprocher à la France d'être trop proche de la Chine. Cependant, il faut en parallèle constater que les relations entre Paris et Hanoï ne se sont jamais totalement distendues. Un dialogue politique a toujours existé. L'un des grands moments a été la visite de François Mitterrand en 1993, la première d'un président français. Ce dernier a tourné la page du passé et a accompagné le Vietnam dans son ouverture au monde. Jacques Chirac a également eu un rôle important, notamment sur la question de la francophonie.

Pourquoi le Vietnam tient-il particulièrement à sa place dans l'Organisation internationale de la francophonie?

On oublie souvent que lors de la colonisation, l'enseignement du français n'a concerné qu'une minorité de personnes. Cependant, participer au Sommet de la Francophonie permet au Vietnam de développer ses relations diplomatiques et économiques avec les États africains. Les autorités sont toujours très enthousiastes à participer à ces réunions. D'un autre côté, il y la francophonie sur le terrain, qui concerne moins de 1% de la population. Il existe une nouvelle génération de Vietnamiens qui souhaitent apprendre notre langue et qui font de grands efforts pour. Ils se sentent aujourd'hui un peu oublié de notre pays. François Hollande devrait débloquer quelques fonds en leur faveur.

Que peut faire le président français lors de sa visite?

Il peut essayer de relancer les échanges économiques. Si l'on arrive à passer certains obstacles, le Vietnam offre un potentiel extraordinaire. Je pense notamment au domaine de l'environnement, où la France a une carte à jouer, par exemple dans la lutte contre la pollution ou sur la question de la montée des eaux, notamment dans le delta du Mékong. Il existe également des enjeux géopolitiques. La France est considérée dans cette région du monde comme une puissance crédible. Nous y sommes encore présents avec la Nouvelle-Calédonie et sommes la seule puissance européenne à y maintenir une force militaire depuis le départ des Britanniques. Le Vietnam pourrait avoir besoin de nous: il est actuellement confronté à la question de l'expansion chinoise en mer de Chine méridionale. Il ne s'agit pas pour nous de prendre partie, mais de se rendre plus visible dans ce débat, en apportant notre savoir-faire et nos connaissances en droit maritime.

(*) Pierre Journoud est historien à l'université Paul-Valéry de Montpellier. Il est l'auteur de De Gaulle et le Vietnam (1945-1969). La réconciliation. Paris, Tallandier, 2011. Il prépare pour début 2017 la sortie de Dien Bien Phu, le basculement d'un monde, chez Vendémiaire. Pour complèter l'interview, vous pouvez consulter un article qu'il a consacré aux relations entre la France et le Vietnam.

(Source info: www.lefigaro.fr)

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