Humides égarements

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Paysage encore vert avant la pluie...Fleuve devenu jaune après la pluie...

Qu’on ne s’y trompe pas, le Vietnam a plus d’un chemin dans son sac pour vous faire découvrir mille et une merveilles. De quoi s’y perdre, même quand on croit avoir les sens de l’orientation !

Profitant des derniers jours de l’été, mon inénarrable ami Tuân et moi nous consacrons à une de nos activités favorites : s’évader loin de la pollution citadine en partant à l’aventure par les sentiers de traverse. Comme il fait beau, à défaut d’avaler de la poussière, nous prévoyons d’avaler des kilomètres, sauf que nous n’imaginons pas que nous en aurions une indigestion.
 
Désorientés
 
Nos montures pétaradent joyeusement, tandis que, d’une roue décidée, nous prenons la route. Aussi défoncée qu’un accro de drogues dures, celle-ci nous permet de tester l’efficacité de nos suspensions et la solidité de notre colonne vertébrale. Difficile d’admirer totalement le paysage en ayant constamment un œil sur la route pour anticiper les innombrables trous qui peuvent, en cas de surprise, nous entraîner dans un exercice de voltige aérienne à l’issue incertaine. D’ailleurs, ces excavations bitumeuses ne sont pas les seuls dangers qui nous guettent…
 
Il nous faut aussi éviter les progénitures de gallinacés qui traversent la route derrière leur mère poule, surtout si le propriétaire de la fratrie se trouve dans les parages. Il faut prévoir que tout virage peut cacher un buffle qui vient en sens opposé, nonobstant que la masse du buffle reste largement supérieure à la vitesse de notre moto multipliée par son poids. Et je ne parle pas des chiens, chèvres et cochons errants qui nous obligent à zigzaguer en permanence pour éviter d’être contraints à d’interminables transactions indemnitaires en cas de mort prématurée par chocs violents avec nos roues.


Paysage encore vert... avant la pluie !
 
Mais ces dangers de la route ne peuvent m’empêcher de profiter des images sans cesse changeantes que m’offrent les villages qui se blottissent au cœur d’une végétation luxuriante. Peu à peu, les maisons s’espacent, et la route se fait plus étroite.

Nous longeons maintenant une large rivière dont les eaux boueuses nous rappellent qu’il y a quelques jours à peine, de violents orages se sont abattus sur la région. Des femmes sur des pirogues de bambous vaquent à quelques mystérieuses occupations. Plus loin, des enfants nus se baignent dans les flots tumultueux, en riant aux éclats.
 
Nous longeons le sud du Parc naturel de Pù Luông (province de Thanh Hóa, partie Nord du Centre), paradis des randonneurs soucieux d’éviter les grandes transhumances touristiques de la haute région. Au fur et à mesure que la route part à l’assaut des montagnes, je ressens l’euphorie d’une intense liberté au cœur d’une nature sauvage. Pourtant, au fond de moi, une sourde inquiétude commence à se faire jour. Inquiétude qui devient vite doute !
 
Depuis deux heures, je m’accroche aux basques de Tuân sans sourciller, bénissant le pare-brise dont est dotée ma moto et la visière de mon casque, de m’éviter les projections gravillonneuses et parfois fangeuses que mon compère s’emploie à m’expédier sans aucun remord. Je lui fais confiance, puisqu’il m’a assuré avoir sillonné ces routes plusieurs fois.
 
Et pourtant, quand nous avions décidé de quitter la piste Hô Chi Minh pour revenir à Hanoi par Mai Châu, nous devions, après un rapide cap plein Ouest, remonter plein Nord. Mes faibles connaissances géographiques m’inclinent à croire que lorsque l’après-midi tire à sa fin, si nous nous dirigeons vers le Nord, alors le soleil doit se situer plutôt sur notre gauche. Or, depuis plusieurs minutes, malgré les virages qui s’enchaînent, le soleil me fait de l’œil m’obligeant à cligner les miens. En d’autres termes, nous allons plein Ouest, direction le Laos !
 
Rejoignant Tuân, je m’ouvre de cette perspective. Perplexe, il ralentit et semble chercher quelque chose sur le bas-côté. Trouvant une borne kilométrique qui affiche le numéro de la route et le nom du prochain village, il s’arrête et, avec un éblouissant sourire, me confirme ce que je pensais : «Nous nous sommes trompés, nous sommes à 70 km du Laos». Et sans plus de façon, il entame un demi-tour que je m’empresse d’imiter. Sans ma faculté d’observation, nous nous retrouvions ce soir au pays de l’éléphant blanc, au lieu d’être auprès de nos tendres et douces !

Ballotés
 
Pour comble de malheurs, le ciel se moque de nous en pleurant de rire. De grosses gouttes chaudes s’écrasent sur mon casque et dégoulinent dans mon cou. Arrêt d’urgence sous un latanier pour enfiler nos capes de pluie. En quelques minutes, la route devient torrent, charriant terre et caillasses. Nos motos se transforment en raft. Ça éclabousse de partout.


Fleuve devenu jaune... après la pluie !
 
Je devine ce qui m’entoure plus que je ne le vois. Faudra-t-il nous réfugier sous un abri en dur ? Heureusement, le déluge cesse aussi brutalement qu’il a commencé. Après la pluie le sauna ! Le soleil, pourtant déclinant dans la douce clarté du crépuscule, transforme nos «áo mưa» (imperméable) en sudettes. Nouvel arrêt ! On enfourne les capes trempées dans nos coffres de moto, et plein gaz en direction de Mai Châu. J’ignore encore comment j’ai parcouru les 80 km qui nous séparent de cette ville-étape.
 
La route qui longe la rivière est sans doute de toute beauté dans les couleurs adoucies de cette fin de journée. Mais c’est devenu un véritable marécage, fleuve limoneux sur lequel nous luttons pour ne pas nous embourber ou pire encore. En plus, c’est le moment que choisissent les gens du cru pour rentrer les troupeaux de buffles, traîner d’immenses bambous derrière leurs motos, ou tout simplement se réunir au milieu de la route pour discuter.
 
De dérapages contrôlés en glissades intempestives, nous évitons la chute déshonorante. Sortis des gorges, nous retrouvons une route plus conventionnelle, qui nous conduit à Mai Châu. Pas le temps de s’arrêter. Il est déjà 18h00, et il faut rentrer à Hanoi. Après Mai Châu, la route qui redescend sur Hoà Binh nous paraît divine. Mais, après l’arrêt dîner, mon calvaire commence...

De nuit, les 70 km qui séparent Hoà Binh de Hanoi en valent bien 500. Sur les 20 premiers kilomètres, rien de plus normal que d’éviter les bus qui foncent sur nous pleins phares, les motos qui roulent sans éclairage, les vélos qui coupent la route sans prévenir… Mais plus on s’approche de la conurbation hanoïenne, plus la circulation est dense, plus la route est défoncée, plus la folie nous guette à chaque instant.
 
Collé roue dans roue à Tuân, je ne peux anticiper les trous de la chaussée et, à chaque fois, j’encaisse des secousses à édenter un âne. Mes muscles, fatigués par 400 km de route, semblent se déliter. Mon occiput flirte avec mon frontal, mes lombaires valsent avec mes cervicales, mes abdominaux peinent à maîtriser la descente d’organes. Visière opaque et couverte de boue, front en sueur, arrière-train en compote, jambes tétanisées, moto dans une gangue d’argile, j’arrive enfin chez moi, les yeux encore illuminés par des visions d’une journée loin du monde…
 
Retour à la réalité ! Ma femme décrète que ma moto n’entrera pas dans cet état. Et que je dois passer par la case salle de bain, avant de l’approcher à moins de 3 m.
 
Texte et photos : Gérard BONNAFONT/CVN

(Source media: Le Courrier du Vietnam)

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