La Chine, puissance de moins en moins pacifique

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Voir également le dossier Vietnam / Chine de Cap-Vietnam

Lesechos.fr : Présentée comme pacifique il y a encore cinq ans, la Chine est devenue l'agresseur potentiel dans toute la région. Bien que ce retournement semble assumé, il contient en réalité un risque important pour le pays : la ruine de sa réputation...

Ci-gît l'émergence pacifique de la Chine. Ce concept, apparu en 2003 dans le vocable officiel chinois, avait enrobé le surgissement de la Chine au-devant de la scène internationale d'un vernis rassurant. L'idée était habile : au moment même où les produits chinois envahissaient les étals du monde entier, la planète entière se voyait expliquer que Pékin n'avait aucune visée hégémonique. On exhibait alors, pour convaincre, cette idée pourtant contestable que la Chine était une puissance fondamentalement non intrusive, qui n'avait jamais agressé ses voisins. Ce qui impliquait déjà de pousser sous le tapis quelques épisodes de l'histoire récente, comme la guerre avec l'Inde de 1962 ou celle avec le Vietnam, en 1979. Qu'à cela ne tienne : la pilule était passée.

Mais, en 2014, elle ne passe plus du tout. Le « rêve chinois » qu'invoque régulièrement le président Xi Jinping est évidemment une coquille vide, que chacun peut remplir à sa guise. A l'évidence, le chef de l'Etat a décidé d'y mettre le retour en grâce de son pays au plan militaire. La liste des contentieux territoriaux avec les voisins de la Chine n'est pas neuve. Mais l'attitude de Pékin, elle, a totalement basculé en quelques années. Longtemps prudent et partisan du statu quo, Pékin se sent suffisamment en confiance pour être le fauteur de troubles dans la région. Ce n'est que partiellement vrai dans le cas du bras de fer avec le Japon. A l'origine du récent emballement au sujet de l'archipel des Senkaku-Diaoyu, il y a effectivement l'attitude du gouverneur de Tokyo, qui voulait racheter ces îles pour y construire des infrastructures, ce qui avait poussé Tokyo à les nationaliser pour éviter les conséquences politiques d'un tel acte. Une nationalisation qui a outré Pékin et poussé la Chine dans la logique de la confrontation. Il est aussi certain que le Japon, avec le regard biaisé qu'il porte sur son propre passé, n'aide en rien à la résolution des tensions dans la région, ce que les Sud-Coréens ne démentiront pas.

Mais, au quotidien, c'est la Chine qui vient contester, chaque jour un peu plus, un état de fait qui dure depuis des décennies : les îles Senkaku sont sous administration japonaise. Tout récemment, des avions de chasse chinois se sont dangereusement approchés de leurs homologues nippons, ce qui constituait clairement une provocation militaire. Plus choquante encore, la création unilatérale, par la Chine, d'une zone d'identification aérienne englobant cette région ainsi qu'une zone que se disputent la Chine et la Corée du Sud. Comme toujours dans les récentes poussées de tension, Pékin a joué l'agressé, plaidant que de nombreux pays ont décrété de telles zones aériennes. Mais qui l'avait fait en englobant des territoires contestés ?

Prenez les Philippines ou le Vietnam : la stratégie du fait accompli est également flagrante. Dans un cas, c'est une piste d'atterrissage qui est en train d'être construite sur un îlot contesté. Dans l'autre, c'est une plate-forme de forage en mer qui est venue s'installer là où le Vietnam se croyait chez lui, suscitant une brusque flambée de violence antichinoise dans le pays. Là encore, Pékin a été scandalisé…

Il n'est pas question de juger de la légitimité des revendications des uns et des autres. Que la Chine, puissance émergente, se sente à l'étroit dans son espace maritime peut se comprendre. Elle est corsetée par un chapelet d'îles qui limitent singulièrement sa capacité de déploiement militaire. Face aux Etats-Unis, maîtres de deux océans, la faiblesse stratégique est flagrante, et la frustration compréhensible. Que les pays de la région vivent ces revendications comme fondamentalement injustes est tout aussi admissible : la Chine réclame pour elle seule la quasi-totalité de la mer de Chine méridionale !

Mais, sur le fond, ce qui se passe ici est surtout le changement de statut diplomatique de la Chine. Présentée comme pacifique il y a encore cinq ans, la Chine est devenue l'agresseur potentiel dans toute la région. Bien que ce retournement semble assumé, il contient en réalité un risque important pour le pays : la ruine de sa réputation.

Une marque de qualité se construit avec le temps, mais une image exécrable peut vous accabler très vite. C'est exactement ce qu'est en train de faire la Chine. Elle qui a identifié la nécessité de se construire un « soft power » pour concurrencer le rêve américain, investit massivement dans le déploiement d'un réseau d'instituts dits « Confucius » dans le monde, tout en dépensant généreusement pour étendre son influence médiatique par le vaste monde. Mais, au même moment, les signaux qu'elle envoie à l'ensemble de ses voisins et à la communauté internationale propagent surtout la peur. En dépit de l'usage habile qu'elle fait du panda pour sa diplomatie, la Chine n'est plus perçue comme un géant aussi inoffensif que léthargique.

Le résultat est déjà visible : les pays d'Asie du Sud-Est amorcent des stratégies de rapprochement, tentés de faire front commun. Et Tokyo s'engouffre dans la brèche en venant jouer les grands frères dans la région, annonçant encore tout récemment la livraison de navires au Vietnam. Si la Chine souhaite réellement développer son « soft power », c'est-à-dire sa capacité de séduction, il va lui falloir, non seulement, une tout autre attitude, mais aussi, peut-être, une doctrine diplomatique plus mature, à la hauteur du rôle qu'elle prétend incarner sur la scène internationale. A ce stade, la majorité de ses actes à l'extérieur sont officiellement justifiés par une règle cardinale : la non-ingérence. Ce qui reviendrait à dire que la Chine n'a qu'une règle : l'indifférence vis-à-vis de ce qui ne la concerne pas et le pur rapport de force quand ses intérêts sont en jeu.

Gabriel Grésillon - Correspondant à Pékin

(Source de l'article : www.lesechos.fr)

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