La guerre ingagnable

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(Québec) Les rayons des librairies ne croulent pas sous le poids des livres consacrés à la guerre du Viêt Nam.
Cette guerre, comme tous les conflits majeurs, a été le creuset d'une révolution des moeurs. Celles de la génération du baby-boom.
Peu de livres sur cette guerre pourtant très médiatisée. Au fil du temps, les seuls qui m'ont paru dignes d'intérêt ont été ceux de l'historien américain Stanley Karnow. Dont il faut absolument avoir lu Vietnam, une analyse de 450 pages dont la traduction française a été publiée en 1984 par Les Presses de la Cité.
Cet automne, l'éditeur français Perrin propose la traduction du monumental essai de John Prados, Vietnam, the History of an Unwinnable War, publié en 2009 par la University Press of Kansas.
En français, le titre de cet ouvrage de 850 pages est La guerre du Viêt Nam.
Le titre en anglais me semble infiniment plus précis. Pour bien des historiens, la guerre du Viêt Nam était ingagnable : malgré sa technologie et sa formidable puissance de feu qui lui ont fait gagner presque toutes les batailles, l'Oncle Sam a perdu la guerre.
Deux raisons : une, les Nord-Viêtnamiens ne se battaient pas sur le même terrain que les Américains; deux, fortement infuencée par la télévision, l'opinion publique américaine n'a pas suivi.
L'intérêt du livre de John Prados par rapport à ceux de Stanley Karnow? Directeur de recherche au National Security Archives de l'université George Washington, John Prados a eu accès à de nombreux documents déclassifiés.
Avec honnêteté, John Prados avertit ses lecteurs que son appréciation des événements est celle d'un intellectuel engagé à gauche : «Je me range aux côtés de ceux qui considèrent le Viêt Nam comme une guerre ingagnable.
J'ai adopté ce point de vue d'emblée, mais une recherche approfondie confirme cette impression.»
La péninsule indochinoise n'a pas été affectée par une guerre, mais par trois.
La première de ces trois guerres, ce sont les Français qui l'ont menée. En 1944, ils ont voulu reprendre le contrôle de leurs possessions coloniales. Mais, déjà, un cadre du Viêt-minh, Vo Nguyen Giap, avait organisé une Armée populaire du Viêt Nam. Cette insurrection armée d'obédience communiste luttait pour l'indépendance à l'égard de la France.
On connaît la suite. Pendant des années, les Français se sont heurtés à la guérilla menée par le Viêt-minh. Dans le nord du pays, les troupes de Giap bénéficiaient du soutien des communistes chinois.
Tirant les leçons de leur engagement en Corée, les Américains ont beaucoup aidé les Français. Notamment en leur fournissant du matériel et des techniciens.
Au printemps 1954, les Français se sont laissés piéger dans la cuvette de Diên Biên Phu. Un désastre! Qui a failli tourner à l'apocalypse lorsque les Français ont demandé aux Américains de leur fournir quelques bombes nucléaires tactiques pour se dégager...
À Genève, la France et le Viêt-minh signèrent un cessez-le-feu prévoyant une ligne de démarcation militaire provisoire et une zone démilitarisée située le long du 17e parallèle.
En réalité, deux pays de part et d'autre du 17e parallèle.
La deuxième de ces trois guerres, c'est la guerre du Viêt Nam proprement dite. Née du refus du chef de la République du Viêt Nam Sud, Ngô Dinh Diêm, d'organiser un référendum d'autodétermination prévu par les Accords de Genève.
Il aurait dit : «Plutôt la guerre que les camps de rééducation.»
Dans le sud, le Viêt-minh prend le maquis.
Volant au secours du Viêt Nam Sud, les Américains dépêchent des conseillers militaires. Leur nombre grimpera jusqu'à 15 000 sous la présidence de Kennedy.
Officiellement, les Américains sont intervenus au Viêt Nam à la suite d'un «incident» dans le golfe du Tonkin. Dans la nuit du 3 au 4 août 1964, les destroyers Maddox et Turner Joy auraient été la cible d'attaques menées par des Nord-Viêtnamiens.
Le 7 août, le Congrès adopte une résolution autorisant le président Lyndon B. Johnson à user de la force armée en Asie du Sud-Est.
Aucun historien n'a réussi à prouver que la «bataille» du 4 août avait réellement eu lieu. L'opinion qui prévaut, c'est que les Américains cherchaient un prétexte pour justifier leur intervention.
Même Johnson n'apporte pas de réponse précise dans son livre La Position avantageuse, ses mémoires.
1964 était une année électorale et son adversaire, le républicain Barry Goldwater, défendait farouchement l'idée d'une escalade militaire au Viêt Nam.
Les États-Unis enverront jusqu'à 500 000 hommes au Viêt Nam.
Un effort gigantesque, mais inutile.
Ni l'extension de la guerre au Cambodge pour couper la piste Hô Chi Minh, ni d'intenses bombardements sur le Viêt Nam Nord, ni le blocus naval du golfe du Tonkin ne parviendront à briser la détermination du Viêt-minh.
Les Américains n'auront d'autre choix que de se retirer du conflit, auquel les Accords de Paris mettront un terme le 27 janvier 1973.
La troisième des trois guerres du Viêt Nam, c'est celle que se livreront le Nord et le Sud une fois les Américains partis. Après deux ans de résistance, le régime du général Nguyen Van Thiêu s'effondrera le 30 avril 1975.
Le 30 avril 1975, une date qui restera à jamais gravée dans la mémoire des hommes.
À cause d'une image bouleversante. Celle d'une grappe de Viêtnamiens s'accrochant désespérément au dernier hélicoptère quittant le toit de l'ambassade américaine de Saïgon...

Didier Fessou
Le Soleil

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