Le charme d’un vacarme

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Le charme d’un vacarme

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Une visite de Hanoi fait appel à nos cinq sens. Envahissante odeur de semelles rue Hàng Dâu, saisissant horizon de lotus à Tây Hô, savoureux fumet de poulet grillé rue Lý Van Phúc… Mais Hanoi offre avant tout un voyage sonore. Caractéristique dont la grâce est discutable, la clameur de la ville fait aussi son identité.
 
L’Asie. À ce mot, des pagodes, des ruisseaux, des arbres millénaires perdus dans des montagnes brumeuses apparaissent à notre imagination. Ces paysages dessinés à l’encre de Chine portent une idée du calme asiatique. Des vallées peuplées d’un silence à peine dérangé par le doux frémissement d’une lointaine rivière. Facéties… Oubliez vite cela lorsque vous atterrissez à Hanoi où ne subsiste aucune trace de cette Asie feutrée !
 

Partout dans la ville, les éternels coups de klaxons nous persécutent. Photo : CTV/CVN

 Hanoi ne serait pas Hanoi sans sa musique. C’est comme une symphonie. Il faut en connaître les notes pour la comprendre. Et il existe bien peu de mélomanes assez avertis pour accéder pleinement au sens de ce morceau. Pourtant, au fil du temps se forment comme un mode d’emploi sommaire des sons de la capitale. Il y a d’abord ces éternels coups de klaxons qui nous persécutent partout dans la ville… Leurs sons ignobles comme autant d’uppercuts auditifs. Mais si ces bruits nous brusquent nous, visiteurs de passage, ils sont de simples marques de présence chez les Hanoiens. Leur agressivité n’a rien d’une évidence pour les conducteurs de la capitale. D’ailleurs, lorsqu’on se tourne vers leurs auteurs, on les découvre étonnamment sereins. Autre bruit, autre mystère. Une sonnerie qui retentit, indécemment stridente, dans les rues à l’approche de la nuit. Le ramassage des ordures, tout simplement. Autre énigme qui se résout avec le temps : cette voix amplifiée, déformée en une sorte de gémissement nasillard. Le son peu humain provient pourtant d’une vendeuse ambulante dont l’enregistrement malheureux signale la marchandise qu’elle s’échine à vendre.
 
Des bruits qui courent…
 
Certes, on est vite tenté d’appeler cette musique pollution sonore, particulièrement lorsque qu’on ne dort pas depuis plusieurs semaines parce que les chantiers ont lieu la nuit et qu’il est vain d’essayer de faire valoir la notion de tapage nocturne à ces maçons adeptes de la scie sauteuse. Comment ne pas se sentir envahi par tous ces sons, agressifs ou latents mais omniprésents ? Même les pagodes sont chargées de ce puissant écho urbain…

Mais la ville nous réserve également de charmantes surprises auditives. Difficile de retenir un sourire empli d’une joie réelle, lorsqu’on entend retentir un «Ôi gioi oi» sonore. Une interjection qui signifie tout et rien. «Oh mon dieu !», «Mazette !», «Attention !» ou «Oh la la !». Et on est encore loin de couvrir l’étendue des usages possibles… Elle veut surtout dire que de la même façon que ces bruits nous sortent constamment de nos rêveries, Hanoi n’a pas fini de nous surprendre. Ce n’est pas simplement le chaos urbain qui se fait entendre, c’est le son de milliers de vies qui marquent, de manière auditive, leur présence…

Un raffut comme un ronron
 

À Hanoi, c’est tout naturellement que l’on vous invitera à prendre un café en terrasse au bord d’une des routes les plus fréquentées. Photo : CTV/CVN

Et c’est peut-être ce qui reste après des années d’acclimatation à la ville : la capacité à supporter la ville et sa riche production de sons informes. Les expatriés s’installent à Tây Hô pour chercher un peu de répit auditif. Mais qui défend la sérénité du lac de l’Ouest a déjà adopté la ville. Ceux-là ont oublié le silence européen, celui qui ne supporte pas même la conversation d’un voisin et certainement pas le vague écho d’une circulation qui jamais ne s’arrête.
 
Hanoiens anormaux qui semblent quêter ces bruits… À Hanoi, c’est tout naturellement que l’on vous invitera à prendre un café en terrasse au bord d’une des routes les plus fréquentées. Moteurs qui vrombissent, coups de freins, pneus qui crissent, tours d’accélérateurs, altercations incessantes… Un tohu-bohu comme on n’en fait plus. Comment cet homme peut-il lire son journal ? Ces femmes bavardant s’entendent elles seulement ? Comment peut-on même penser dans cette épatante cacophonie ? Capacité d’abstraction salvatrice, les Hanoiens semblent capables de supporter les pires horreurs auditives. Cette dissonante musique ne semble pas les agresser. Pire, ils semblent la chercher. Comme si ce bruit de fond qu’ils ont toujours connu résonnait pour eux comme une mélodie…

Comment expliquer sinon, leur attrait pour les endroits surpeuplés ? À Hanoi, on choisit toujours les cafés et restaurants les plus bondés. Assis sur nos tabourets, nos dos sont en contact de dos étrangers. On peine à se frayer un chemin pour ensuite peiner à s’entendre. C’est comme un rituel. Un surplus de contact, un espace saturé de bavardages… La beauté d’un fouillamini.
 
Mais il y a aussi de la magie dans ce chahut. Une bulle plus intime se forme, dans laquelle nos conversations auront la distinction des confidences. Un nid, au sein de ces 1001 sonorités… Étrange surprise que de se sentir couvé par cette ambiance de foule ! Les puissants commérages deviendraient presque apaisants. Ici, c’est un fond sonore que l’on cherche tout autant qu’un contact. La solitude, quiétude dont l’insonorité fait le charme : une notion bien étrangère ici. Au Vietnam, l’homme seul n’existe pas. Il est membre d’une famille, d’une communauté, d’une société. De même, le silence est malvenu… Partout, le groupe se rappelle à nous par ses sons. Quitte à contraindre la quête d’un silence absolu d’un Occident bien individualiste…

Léa Ducré
(source media: lecourrier.vnanet.vn)

 

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