Le temps d'un spectacle, le Théâtre Claude-Lévi-Strauss dans les sous-sols du Musée du quai Branly se transforme en plan d'eau que de belles lumières nuancent. Un peuple de marionnettes y conte de brèves légendes. Poissons d'or, temple flottant, bouddha aux multiples bras articulés, paysans et leur bétail, les figurines sont manipulées avec dextérité par une troupe du Théâtre national des marionnettes sur l'eau du Vietnam. Si on devine la silhouette vivante de ces derniers le corps immergé jusqu'à la taille, le long manche qui permet d'animer les « poupées » est lui quasiment invisible.

Tradition qui se veut mi-populaire, mi-savante, ce théâtre des villages est l'occasion pour les artistes de faire preuve d'ingéniosité. Car ici les dragons crachent du feu ou de l'eau, les tortues sont plus vraies que nature. L'émerveillement est à son comble lorsque des statues de divinités apparaissent.

Voyage des sens

Dominique Pitoiset, metteur en scène et directeur du Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, est tombé sous le charme de cet héritage. Mais, au-delà, il a vu un pays qui change : meurtrissures des guerres, bouleversements géopolitiques. Dans un film qui ouvre la soirée, une caméra embarquée suit les milliers de deux-roues qui sillonnent les rues de Hanoi. A défaut d'être follement originales, ces images apportent un contre-point à l'histoire qui va se jouer sur scène. Ou sur eau. De longs plans sur la nature luxuriante ou les cours d'un fleuve cassent un peu la magie des seuls pantins. Pas sûr que cela apporte beaucoup à l'ensemble. Le chant de Ngo Thi Quam est sans doute plus expressif.

Au final, on quitte la salle troublé par les reflets des marionnettes qui un instant auparavant « marchaient » sur le bassin. Pitoiset parle de dérive. On est pas loin de le rejoindre alors dans ce voyage des sens.

PHILIPPE NOISETTE, Les Echos

(source media: www.lesechos.fr)