Page oubliée

Vous êtes ici : Actualité » Page oubliée

Culture

Page oubliée

Page oubliée
Agrandir le texte
Réduire le texte
Imprimer
Envoyer à un ami

Photo: Le feu Dr Nguyên Khac Viên

En marge du 15e anniversaire de la mort du Dr Nguyên Khac Viên (10-mai 1997). Nous présentons ci-dessous un de ses articles Victor Hugo au Vietnam paru dans la revue Europe, numéro février-mars 1962.
 
Dimanche dernier, rangeant mes vieux bouquins, je suis tombé sur le numéro février–mars 1962 de la revue Europe. Ce n’est pas sans émotion que j’y ai relu l’article Victor Hugo au Vietnam du  regretté Docteur Nguyên Khac Viên, décédé il y a quinze ans. En voici le texte :
 
Victor Hugo au Vietnam
 
Je montrai un jour une revue illustrée vietnamienne à un de mes amis français : très intéressé par les images de l’opéra Eugène Onéguine monté pour la première fois par un corps de ballet  vietnamien, il ne pouvait se défendre de pousser un soupir : et dire que la culture française n’est plus pratiquée dans ce pays où tant de gens parlent français !
 
Je sortis alors de ma bibliothèque une traduction des Misérables de Victor Hugo, flambant neuf. Dire que Victor Hugo n’a jamais été traduit en vietnamien pendant les 80 années de colonisation française ne répond pas à la vérité ; mais on peut à coup sûr affirmer que jamais avant l’édition qu’en a faite le ministère de la Culture de la République démocratique du Vietnam à Hanoi, une traduction de Victor Hugo ou de tout autre auteur français n’avait été faite avec un tel soin, et éditée avec un tel tirage.
 
Sous le régime colonial, des Vietnamiens épris de culture française avaient traduit quelques-unes des œuvres les plus célèbres de la littérature française. Mais l’administration coloniale, elle, ne s’intéressait nullement à la diffusion des chefs-d’œuvre littéraires français. Ces traductions de Victor Hugo, d’Alexandre Dumas, de La Fontaine, de Corneille étaient faites par des amateurs,  choisies spécialement pour leur intérêt commercial, quand elles étaient susceptibles surtout de remplir le feuilleton d’un journal. Comme 95% de la population était illettrée, le nombre de ceux qui  pouvaient apprécier ces traductions était dérisoire. Même les meilleurs auteurs vietnamiens, ceux qui connaissaient le plus grand succès, tiraient avant 1939 à deux ou trois mille au plus.
 
À cette époque, l’Université de Hanoi, la seule qui existait en Indochine, pour une colonie française de 25 millions d’habitants, ne possédait même pas une chaire de littérature française. À tous  les étudiants vietnamiens qui voulaient étudier la littérature, on recommandait de se diriger vers la Faculté de droit, et les amateurs de sciences se voyaient conseiller la Faculté de médecine. La  littérature était une marchandise inutile sous un régime colonial, comme la poésie dans la République de Platon (pour d’autres raisons).
 
Encore la littérature romantique était-elle admise; elle était censée ne pas véhiculer des idées dangereuses. Mais sur le XVIIIe siècle, le black-out était absolu. Paradoxe de l’histoire, les premiers Vietnamiens qui avaient pu faire connaissance avec Montesquieu et Rousseau ne les avaient pas lus dans des éditions amenées par les administrateurs français, mais dans les traductions chinoises qu’on faisait venir clandestinement au Vietnam.
 
Aujourd’hui, au Nord Vietnam, Victor Hugo est traduit avec d’autres grands auteurs français dans la même collection que Cervantès, Tchékhov, Cholokhov, et les classiques chinois du roman. Diffusées à l’échelle de tout le pays, ces traductions des classiques de la littérature universelle pénètrent maintenant dans tous les villages, car chaque coopérative agricole possède déjà un embryon de bibliothèque.
 
Il est regrettable qu’au moment où le peuple vietnamien se met à étudier avec toute l’ardeur d’un peuple lancé sur une voie révolutionnaire totale, l’apport culturel des autres nations, que les gouvernements français qui se sont succédé depuis la fin de la guerre d’Indochine aient coupé toute relation officielle avec la République démocratique du Vietnam. La non-reconnaissance de la République démocratique du Vietnam- comme celle de la Chine populaire- a nui grandement au développement des échanges culturels entre la France et un pays où la culture française a été de tout  temps- même au temps de la pire oppression coloniale- tenue en haute estime.
 
Il faut espérer que cette exclusive sera rapidement levée.

Nguyên Khac Viên

(Europe, février-mars 1962)
 
____________________

Un intellectuel mondialement connu
 
Nguyên Khac Viên, est un intellectuel vietnamien de réputation nationale et internationale. Après Pham Van Ky, il est le deuxième vietnamien à avoir reçu le Grand Prix de la Francophonie de l’Académie française (1992).

Né en 1913 à Hà Tinh, province fertile en hommes de talent et grands patriotes, il est issu d’une famille de lettrés-mandarins. Docteur en médecine des Facultés de Hanoi et de Paris, il se spécialise dans la pédiatrie. Mais il abandonne la médecine pour se consacrer à la lutte pour l’indépendance de son pays : de 1952 à 1963, il est responsable politique de la colonie vietnamienne en France, malgré sa santé très fragile. Condamné par les médecins français qui lui ont enlevé un poumon et demi, il s’est inspiré des méthodes asiatiques de gymnastique psychosomatique traditionnelle pour créer sa propre méthode qui lui a permis de vivre et de travailler jusqu’à 85 ans.

Expulsé de France en 1963 à cause de ses activités patriotiques, Viên regagne son pays après 24 ans à l’étranger. De 1963 à 1984, il dirige à Hanoi les Études Vietnamiennes, le Courrier du Vietnam et les Éditions en langue étrangères du Vietnam, autant de porte-parole du peuple Vietnamien en lutte contre l’intervention américaine. À sa retraite en 1984, il créé la fondation N-T, centre d’études de psychologie infantile. Écrivain francophone, Viên a laissé une histoire du Vietnam, une excellente traduction du chef-d’œuvre Kiêu, il a dirigé avec Huu Ngoc l’élaboration de l’Anthologie de la littérature vietnamienne en quatre volumes, 2.000 pages.
 
Dans quel contexte historique Viên a écrit l’article Victor Hugo au Vietnam en 1962 ? Les accords de Genève de 1954 avaient mis fin à la domination française et décidé la partition provisoire du pays, prévoyant les élections générales en 1956 en vue de la réunification avec la garantie des puissances signataires. Mais, traumatisé par le désastre de Diên Biên Phu, préoccupé par les  événements d’Algérie, évincé par les Américains au Sud Vietnam, le gouvernement français se désintéressait du Vietnam. Viên a parlé de Hugo et de l’impact de la culture française sur les Vietnamiens pour rappeler aux Français l’importance de leurs atouts culturels dans ce pays d’Asie. Il ne fallait pas tarder de reconnaître la République démocratique du Vietnam (Nord Vietnam).
 
Au fil des dernières décennies, le rapprochement et la coopération entre les deux pays ont largement dépassé les vœux de Viên. La Francophonie est devenue, comme l’intégration mondiale et régionale

(ASEAN), un volet de la politique extérieure du Vietnam.
 
Huu Ngoc

_______________

(source media: lecourrier.vnanet.vn)
 

Nouveau Envoyer à un ami