Reportage - Au Vietnam, bienvenue chez «Maman Chance»

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Reportage - Au Vietnam, bienvenue chez «Maman Chance»

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Depuis vingt-cinq au Pays du dragon et des rizières, la Genevoise Aline Tim Rebeaud se dévoue sans compter pour les laissés-pour-compte du Vietnam, redonnant un sourire à ceux qui n’en avaient plus. Un dévouement incroyable et une histoire peu banale. Rencontre avec une femme d’exception.

Elle est un peu la maman des cœurs brisés, la bonne fée des oubliés, des laissés-pour-compte, des miséreux et des âmes errantes du Sud-Est asiatique. Tout à la fois sainte Mère Teresa des enfants perdus, docteur Schweitzer en jupon d’un pays meurtri par des années de guerre. Elle s’appelle Aline Rebeaud. Son nom ne vous dit peut-être rien. Mais c’est une femme d’exception, comme on dit volontiers de ces héroïnes qui se sont surpassées pour atteindre leurs rêves, défendre leurs convictions. Connue comme le loup blanc ici dans le delta du Mékong pour son engagement en faveur des plus démunis, mais presque inconnue dans son propre pays, patrie d’Henry Dunant, berceau de la tradition humanitaire, où elle est pourtant née voici quarante-cinq ans. Le sacerdoce oriental et sans faille d’Aline Rebeaud mériterait cependant d’être connu, salué, honoré par tous ses compatriotes, à l’image d’un Beat «Beatocello» Richner, l’homme au violoncelle qui a ouvert des hôpitaux pour enfants au Cambodge, vénéré aujourd’hui outre-Sarine, ou d’un René Prêtre qui, à travers sa fondation Le Petit Cœur, parcourt l’Afrique et l’Asie pour sauver les enfants touchés par des malformations cardiaques, salué partout et même au-delà.

Mais rien n’est perdu, l’heure viendra, forcément. Aline Tim (son prénom vietnamien) Rebeaud est déjà ici, dans les rues de Ho Chi Minh-Ville, l’ancienne Saigon, la Suissesse la plus connue du Vietnam, à 10 000 kilomètres de chez elle. Un petit miracle, car les incroyables défis qu’elle s’était fixés étaient loin d’être gagnés dans un pays où rien n’est vraiment facile. Un pays sorti de la guerre il y a un peu plus de quarante ans lors la chute de Saigon le 30 avril 1975 et plongé depuis dans une situation politique, comment dire, plutôt difficile – le Vietnam est un des derniers bastions communistes de la planète.

90 salariés et 150 pensionnaires

Au pays du dragon, la jeune femme est aujourd’hui à la tête d’une petite ONG toujours plus grande, comptant 90 salariés, une dizaine de bénévoles permanents, plus de 150 pensionnaires handicapés vivant à demeure sous son toit. Plus de 300 enfants des rues y sont scolarisés aussi, tout ce petit monde d’éclopés créant au fil des ans une véritable communauté de vie dans un environnement aussi complet que possible, dont l’un des fondamentaux est de rester ouvert sur l’extérieur. Une aventure unique et singulière. Mais Aline Rebeaud, tout en discrétion et pudeur, n’a jamais vraiment aimé se mettre en avant. A ses yeux, ceux qu’il faut mettre sur le devant la scène, ce sont toujours les autres, même s’il faut bien parfois apparaître pour trouver des fonds, inlassablement, pour les rendre heureux. Mais c’est plus fort qu’elle, ancré dans sa chair: faire les choses sans faire trop de bruit, c’est le caractère profond de cette femme à l’inoxydable sourire et au dynamisme à toute épreuve. Son histoire, d’ailleurs, est irrésistible à raconter.

Entre le concert des klaxons des rues alentour et les nuages de pollution s’échappant des gaz d’échappement d’une mégalopole grouillante, celle que tout le monde ici appelle «Maman Tim» s’est assise sur une des petites chaises en bois de sa fondation, devant un café froid, savourant un croissant venu tout droit de l’atelier de boulangerie d’à côté. Autour d’elle, en permanence, des enfants vont et viennent, saluent, avec respect et tendresse. Parfaitement bilingue, elle parle avec tous, échangeant un mot, une caresse, un regard. Parfois, accrochée à son portable, elle donne des ordres, en bon chef d’une «entreprise» pas comme les autres. Aline Tim est la fille de l’ancien journaliste et conseiller national vaudois Laurent Rebeaud, disparu à la suite d’un stupide accident de moto en décembre 2015, et de Marianne Sébastien, musicienne, cantatrice et fondatrice d’une association aidant les mineurs en Bolivie. Son frère, Vincent, est sourd de naissance, «un frère qui m’a aidée à apprécier la richesse des différences» – et qui travaille aujourd’hui à l’Etat de Vaud. Une enfance versée dans l’humanitaire, confrontée aussi aux problèmes du handicap. «C’est dire si plonger dans un modèle de vie standard, avec un métier normal, un mari et des enfants, m’aurait semblé inutile…» Son credo est simple, c’est l’amour, l’amour des autres. Tout simplement. Un amour d’une incroyable pureté. «Ça me rend heureuse de les voir épanouis, plus indépendants et plus dignes», sourit-elle.

«Quand tu vas au bout de tes rêves, tu dois voler loin, lâche-t-elle encore avec une sagesse tout asiatique. Déjà toute petite je voulais être la reine des enfants du monde.» Sa maman lui a rapporté que, à l’âge de 5 ans, elle lui avait confié, avec ses mots d’enfant: «Quand je serai grande, je donnerai un beau berceau à tous ceux qui n’en ont pas, et un encore plus beau à ceux qui sont un peu moins beaux.» Puis un jour, Aline avait alors 10 ans, sa maman l’avait emmenée à la Bibliothèque municipale de Lausanne et l’avait laissée parmi les livres. Lorsqu’elle revint quelques heures plus tard, la petite est au rayon des grands en train de feuilleter un livre sur… le Vietnam.

Un pays qu’elle découvre finalement par hasard il y a plus de vingt ans lors d’un grand voyage sac au dos, sans se douter un instant que le Vietnam allait changer sa vie à jamais. Un soir, dans la rue, elle se retrouve face à un garçon d’une dizaine d’années, Dung, dans un triste état, seul, épuisé et affamé. Elle le prend par la main et va manger avec lui un bol de riz dans une petite cahute à même la rue. Il engloutit la précieuse pitance «comme un petit sauvage, mais son sourire était revenu», se souvient-elle. C’est le déclic. Elle cherche alors en vain une structure d’accueil pour le placer, mais rien n’existe vraiment. Tout est à faire. La suite, on la devine. Elle décide donc de s’en occuper elle-même. «Pourquoi ne sommes-nous pas tous nés sous une bonne étoile? Plus je comprenais la difficulté des plus délaissés de cette région du monde, plus je m’y sentais attachée. Un peu comme si cette terre avait été la mienne», raconte-t-elle. «J’étais une étrangère de 25 ans dédiée aux plus malchanceux de la société vietnamienne, mais je n’étais encadrée par aucun organisme humanitaire connu. Mon apparition dans ce pays qui venait de rouvrir ses frontières, c’était du jamais vu. Ce que je voulais faire n’était prévu dans aucune loi.»

Et voilà, près de vingt-cinq ans après, elle partage son univers au quotidien avec des centaines de malchanceux, orphelins et handicapés, qui sont devenus sa famille. Une grande famille qui s’appelle Maison Chance, composée de personnes n’ayant aucun lien biologique mais qui ont un seul point commun: un terrible destin qui aurait pu les faire sombrer, puis disparaître de ce monde. «Les bénéficiaires, valides et handicapés, ont pris leur envol au fil des années, détaille-t-elle. Certains sont retournés dans leur région d’origine, d’autres, lourdement handicapés, sont venus s’installer au Village Chance, un de mes foyers. La plupart se sont mariés et ont eu des enfants, qui sont devenus mes petits-enfants. Les couples de handicapés qui ne pouvaient pas en avoir en ont adopté. Je me suis retrouvée ainsi, à un peu plus de 40 ans, grand-mère de 83 petits-enfants.»

Jamais en retard d’une idée ou d’un combat à mener, cette Mère Courage enchaîne inlassablement les projets. «Le temps a passé, le pays où je suis arrivée s’est énormément développé, mais les services sociaux n’ont toujours pas trouvé de solution adéquate pour ceux que nous aidons. Le développement économique du Vietnam a transformé le pays, mais les laissés-pour-compte sont encore nombreux. Maison Chance reste l’unique structure prenant en charge à long terme les grands paralysés. Mon projet a toujours été de donner aux malchanceux auxquels je me suis attachée des perspectives d’avenir, la possibilité de devenir des personnes à part entière, aussi autonomes que possible en dépit de leurs handicaps ou de leur mauvais départ dans la vie. Ils ont le plus souvent l’impression d’avoir tout perdu. J’essaie de leur montrer la chance qu’ils ont dans leur malchance; je leur explique qu’ils possèdent toujours l’essentiel en eux: leur esprit.»



Tout cela, bien sûr, n’a pas été tous les jours facile, le chemin a été semé d’embûches – mais Aline, toujours positive, ne s’attarde jamais sur ses moments de spleen ou de découragement, occulte même un peu les questions qu’on lui pose à ce sujet. Car rien ne l’arrête jamais. «Cette année, on aidera 700 personnes au quotidien entre Saigon et Dak Nong», annonce-t-elle fièrement. Dak Nong, le mot est lâché, du nom d’une région à huit heures de route de route de Ho Chi Minh-Ville où elle va bientôt ouvrir un nouveau centre, encore plus grand, encore plus ambitieux, avec des animaux, destiné notamment à la thérapie des autistes. Un petit village à lui tout seul.

Eternellement en mouvement, toujours à courir d’un bureau à un atelier, d’un pauvre à secourir à un office administratif pour obtenir tampons et autorisations nécessaires, Aline Rebeaud ne sera jamais vraiment apaisée que le jour où elle aura pu rendre tous les pauvres gens heureux.

(Source info: www.illustre.ch)
 

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