Tous les goûts sont dans la nature

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Des fruits qui se posent là. Photo : Gérard Bonnafont/CVN

Pour l’Occidental familier des pommes, poires, cerises ou prunes, l’étal d’un marchand de fruits au Vietnam peut être l’objet d’étonnement fruitier ou fruité.

«T’as vu ces fruits ? C’est quoi ?» La question ne manque pas de surgir dès les premiers pas dans des rues où des fruits ventrus, sphériques, oblongues, biscornus  s’étalent sans pudeur en pyramide ou en corbeille. Pour satisfaire la curiosité d’amis visiteurs, il m’a fallu aller au contact de ces curieuses gourmandises, aux noms inconnus du côté de l’Atlantique.

J’ai donc tâté, avec résolution, épluché, décortiqué, coupé avec enthousiasme, croqué, sucé goulûment et parfois froncé du nez devant des parfums inattendus. Loin de moi, l’idée de concurrencer mon confrère qui nous ouvre les clefs d’une botanique bienfaisante à quelques pages de cette chronique, mais permettez-moi de vous conduire dans les méandres de ces vergers aux arbres dont les fruits portent des noms étranges à l’oreille étrangère.

Ça poisse

On met de côté la pomme de Normandie, la poire d’Alsace, la prune d’Agen ou la fraise de Plougastel pour plonger dans les vergers d’anones, litchis, jacquiers et autres arbres à fruits surprenants. Ce n’est pas le plus imposant, mais c’est un des plus inconnus du touriste, qui le confond parfois avec un petit artichaut. C’est vrai que de prime abord, il fait penser à ce légume, cher à Dà Lat (province de Lâm Dông, hauts plateaux du Centre), mais à peine en main, la comparaison avec l’astéracée s’estompe rapidement.

Au toucher, la pomme-cannelle, puisqu’il faut l’appeler par son nom, est douce comme du velours. Légèrement molle quand elle est mure, il faut prendre garde à la saisir délicatement, sous peine d’éventration inopinée. Sous la peau vert tendre, une chair blanche parsemée de noyaux noirs, nichés dans des alvéoles. Le tableau pourrait inspirer un peintre. Mais ça se corse à la dégustation. C’est bon, c’est sucré, ça poisse, ça colle aux doigts, aux lèvres, à tout ce qui entre en contact avec elle.


La pomme-cannelle : sous la peau vert tendre, une chair blanche. Photo : CTV/CVN

Sans serviette ou mouchoir à portée de main, on est condamné à adopter la posture du chirurgien en attente de ses gants : mains en l’air, évitant tout effleurement, frôlement ou toucher qui puisse les contaminer. Et surtout éviter de serrer la main à celui qui vous a offert ce fruit, sous peine de partager son intimité jusqu’au moment où vous disposerez d’un récipient d’eau chaude pour vous séparer de lui.

Donc mon conseil : avoir une petite cuillère sur soi si l’on souhaite faire la connaissance de la pomme-cannelle, au coin de la rue. L’aimable fruit à des cousins germains aux noms à inquiéter nos papilles : le corossol, plus ferme, à la peau piquée de petites excroissances, souvent présent sous formes de crèmes glacées ou sorbets dans les bacs des glaciers locaux ; le chérimole, dont on dit que c’est le meilleur fruit du monde.

Et pour compliquer la chose, tout cela appartient à la famille des anones, de l’arbre du même nom, dont certains produisent des anones, fruit proche, mais différent des précédents. Heureusement que ces fruits se sont forgés une excellente réputation thérapeutique, sinon je les mettais tous dans le même sac.

Ça se gobe

Plus connus des tables occidentales, les litchis. Petites sphères  un peu en forme de cœur, elles s’agrippent les unes aux autres en longues grappes qui pendent aux branches des litchis. Sans doute, l’éponymie entre fruit et arbre permet-elle d’éviter une fâcheuse consonance sur la dernière syllabe, ce qu’ignore banane et bananier par exemple. Tout le monde a en bouche cette texture un peu filandreuse et juteuse, ce goût sucré.


Pour l'Occidental, ce sera un peu difficile à déguster le litchi sans disposer d’un petit canif. Photo : CTV/CVN

Cependant, le litchi ne se laisse pas avaler sans y mettre la forme. En effet, pour ne pas paraître gourmet goujat, il faut inciser la peau sur un tiers du fruit, puis décalotter en laissant apparaître la chair, et gober en appuyant légèrement sur la peau sous le fruit : pas de contact avec les doigts, directement de la cosse à la bouche. Pas facile à faire quand on ne dispose pas d’un petit canif ou que l’on se ronge les ongles jusqu’à la lunule.

Le rituel est identique avec les cousins du litchi : le longane, litchi en miniature, à la peau beige sombre ; le ramboutan, à la peau aux teintes rouges violacées et poilue. Tout ça voisine allégrement sur les étals en attendant de se faire décerveler. Il fait figure de géant au pays des fruits. Énorme masse verte à la peau granuleuse, le jaquier en impose sur les étalages. Il peut atteindre plusieurs dizaines de kilos et pendouille au tronc du jaquier en attendant de se faire cueillir. La mûre dont il fait partie de la famille n’a qu’à bien se tenir.

Ça pue

Mais le pire de tous, ce n’est pas lui. C’est un autre monstre, à la peau jaune-vert, hérissée de piquants à décourager le frugivore. Non content de se présenter sous un jour si rebutant, il délivre toute sa capacité de nuisance quand on l’ouvre. Le durian, puisqu’il s’agit de lui, laisse alors exhaler une odeur à faire se pâmer un régiment. Pour la qualifier, j’hésite entre l’odeur du livarot faisandé et l’odeur de la putréfaction.


Le durian peut laisser exhaler une odeur à faire se pâmer un régiment. Photo : CTV/CVN

D’aucuns évoquent des excréments de porc, de térébenthine et d’oignons, le tout garni par une vieille chaussette. C’est vous dire! L’odeur est tellement redoutable que le durian est persona non grata dans les transports en commun,  les taxis, les aéroports et les avions, et jusque dans les chambres d’hôtel.

Des panneaux d’interdiction, où figure un durian barré d’un trait rouge, sont apposés aux endroits stratégiques. Et pourtant, le bougre a de quoi se vanter : une chair savoureuse, juste sucrée comme il faut, avec un léger goût de pâte d’amande, plus des textures difficiles à décrire tant la palette est riche et variée. Vous aurez le nez fin, en le dégustant en plein air, et en vous lavant généreusement les mains ensuite.

J’espère que cette petite incursion au rayon des fruits du Vietnam vous donnera envie d’y goûter et d’aller à la rencontre de tous ceux que je n’ai pas cité ici. En plus, c’est la saison, alors pourquoi se priver.

Gérard Bonnafont/CVN

(Source media : Le Courrier du Vietnam)

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