Vietnam : voyage au cœur d’un pays atypique

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Vietnam : voyage au cœur d’un pays atypique

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Le Vietnam n’attire pas beaucoup de touristes marocains, mais c’est une destination touristique par excellence. Une quarantaine d’enfants nés de pères marocains, anciens soldats de l’armée française décédés au Vietnam, y vivent encore. Ils réclament leur filiation marocaine.

Des images terrifiantes d’enfants et d’adultes brûlés au napalm, de cadavres de Vietnamiens abattus par des soldats américains. Une autre montrant un supplicié attaché par les pieds à un char qui le traîne sauvagement  jusqu’à la mort. D’autres images atroces de mutilés, victimes des bombes au phosphore, ou celle du largage d’un Vietnamien depuis un hélicoptère… Un échantillon de la quincaillerie de guerre laissée par les Américains est exposé, dans le jardin : hélicoptère, avions de combat, pièces d’artillerie, bulldozer, lance-flammes…
 
Ce n’est pas un cauchemar, mais on est au musée des vestiges de la guerre à Ho Chi Minh-Ville, la plus grande cité du Vietnam et la plus peuplée (8 millions d’habitants). En ce mois de novembre 2012, la ville, qu’on appelle encore Saïgon, palpite au rythme d’une atmosphère bien loin de ces horribles images. Une marée de scooters sillonnent librement les grandes artères ; bars, restaurants, troquets, cafés branchés avec musique pop-rock et autres boîtes de nuit restent ouverts jusqu’à une heure tardive dans la nuit. Et une jeunesse (le tiers de la population du Vietnam, quelque 86 millions d’habitants, a moins de 20 ans) aspirant au mode de vie occidental, ne voulant retenir de son pays ravagé par trente ans de guerre (où deux armées coloniales, française et américaine, furent battues à plate couture) que le présent et l’avenir.
 
Camille, une Vietnamienne vivant en France depuis 23 ans, rencontrée par hasard lors d’une visite dans un musée, ne se fait plus d’illusion. «La guerre, c’est le dernier souci des jeunes d’aujourd’hui, ils songent plus à goûter au mode de vie occidental qu’à ressasser le passé. Mais peu en ont les moyens. Quand on se marie, on loge le plus souvent chez les parents. Cela dit, les Vietnamiens ne sont pas rancuniers ; de nature, ils n’aiment pas le conflit», remarque-t-elle. Elle n’a pas tort : tant à Ho Chi Minh-Ville qu’à Hanoï, la capitale, nous n’avons été témoins pendant notre séjour de la moindre rixe dans les rues, qui bourdonnent pourtant à longueur de journée du bruit des embouteillages interminables de vélomoteurs, de voitures, de bus et de pousse-pousse promenant des touristes. On est loin en tout cas de ces scènes d’accrochages et d’insultes échangées à tout bout de champ entre conducteurs à Casablanca. Là, dans ce pays asiatique, la population est visiblement zen, malgré tous les ingrédients du conflit. «Ils tirent sûrement cela de leur culture bouddhiste  inculquée depuis leur jeune âge qui leur apprend la non-violence, la concertation, le détachement et la tolérance», commente Salwa, une jeune étudiante marocaine, en stage à Saïgon dans une firme agroalimentaire. Et  d’ajouter, elle qui les a côtoyés pendant plusieurs mois : «Les Vietnamiens sont aussi nerveux que chez nous, mais ravalent leur colère. Par ailleurs, ils sont tièdes et peu accueillants à l’égard des étrangers».
 
Une population zen qui sait ravaler sa colère
 
Ils sont tièdes, mais sans être inoffensifs : les vols à l’arraché sont nombreux dans les grandes villes, et la sécurité n’est pas toujours assurée, malgré la présence dans les grandes artères d’une police dédiée à la protection des touristes. Ces derniers doivent être sur leurs gardes et les femmes ont intérêt à ne pas se promener avec leurs sacs à main accrochés à l’épaule. Un  point commun avec le Maroc : il faut bien marchander  avant d’acheter un objet de souvenir. Pour les touristes, les prix sont multipliés par deux ou trois.

Outre le musée des vestiges de la guerre, quelques autres monuments valent le détour, particulièrement le musée d’histoire du Vietnam, le musée de la femme vietnamienne et, pour les fanatiques du «père de la nation Ho Chi Minh», le musée qui lui est dédié en plein centre de la ville. Installé dans une vieille bâtisse coloniale, les portraits du leader trônent sur les murs, avec des inscriptions sur sa vie en vietnamien traduites en anglais. On comprend sommairement en lisant l’une d’elle, explications baragouinées en français par le guide aidant, que l’oncle Hô embarqua, à 21 ans, le 5 juin 1911, à bord d’un paquebot où il s’était fait engagé comme cuisinier, avant de se rendre en France. Il ne revient dans son pays que trois décennies plus tard, après être passé par les Etats-Unis, l’Union soviétique et la Chine.
 
Deux autres bâtisses très recommandées par le Routard : le Palais de la réunification (des deux Vietnam, le nord communiste et le sud capitaliste) et la Poste centrale. Cette dernière est un bijou architectural : Gustave Eiffel (le constructeur de la fameuse tour de Paris) est passé par là, la bâtisse est supportée par une immense charpente métallique, œuvre de ce dernier. Construit en 1891, c’est un monument dont les Saïgonnais sont fiers, avec au fond un immense portrait de l’oncle Hô.

Mais Ho Chi Minh-Ville n’est pas la seule ville qui attire le touriste. Au nord du pays, à deux mille kilomètres, se situe Hanoï, la capitale, plus ancrée que Saïgon dans les traditions ancestrales du pays. Ses petites ruelles, style ancienne médina marocaine (qu’on appelle centre traditionnel), séduisent le voyageur. Le soir, à l’heure de l’apéro, les trottoirs sont bondés de jeunes, qui s’assoient en cercles sur des tabourets autour de tables, sirotent leur bière et picorent de leurs baguettes nems, riz, cailles, poulet..., la viande de chien, elle, réputée dans ce pays pour avoir des vertus aphrodisiaques, est servie plutôt dans des restaurants spécialisés.

Une atmosphère bon enfant qui subjugue le touriste occidental en manque de convivialité.

A 80 km, c’est la baie d’Along (Ha long) sur la mer de Chine, le site le plus visité par les touristes au nord du Vietnam, comme l’est le delta du fleuve Mékong au sud. Ha long signifie descente du dragon, qui, selon la légende, serait descendu dans la baie pour y domestiquer les courants marins. Avec les mouvements de sa queue, il aurait entaillé la montagne, d’où des îlots émergeant un peu partout. Au site, classé par l’Unesco patrimoine de l’humanité depuis 1993 sous le critère de «beauté naturelle», une visite s’impose : un package de deux nuits, l’une sur le bateau et l’autre sur les rivages d’une île (transport par bus de Hanoï à la baie et nourriture compris), est vendu à 113 dollars par personne. Nous n’avons pas hésité à faire le séjour sur les îles, tellement les paysages sont féeriques. Un seul regret : la pollution engendrée par les bateaux. «L’eau de mer n’est plus aussi cristalline qu’elle était il y a seulement quelques décennies», racontent quelques habitués des lieux.
 
Un restaurant marocain, «Le Marrakech», a ouvert en plein Hanoï
 
Certes, le Vietnam n’est pas encore la destination favorite des touristes marocains (malgré l’ouverture d’une mission diplomatique de ce pays à Rabat en 2005), ces derniers sont encore séduits par la Chine, la Thaïlande ou la Malaisie, mais ce pays «est attachant et regorge de potentialités touristiques», selon El Houcine Fardani, ambassadeur du Maroc au Vietnam depuis l’ouverture de l’ambassade à Hanoï en mars 2006.

Une idée sur le nombre de touristes marocains dans ce pays ? «Il n’y a pas de statistiques exactes, mais leur nombre ne devrait pas excéder quelques centaines», répond-il. Quant aux Marocains qui vivent d’une façon permanente au Vietnam, ils se comptent sur les bouts des doigts, il s’agit surtout, selon l’ambassadeur, «de femmes marocaines qui sont mariées à des étrangers, souvent dans le cadre de la coopération entre le Vietnam et des pays européens». Mais il y a aussi quelques jeunes Marocains, étudiants à l’origine en France, qui y ont débarqué pour faire leur stage de fin d’études à Ho Chi Minh-Ville ou à Hanoï, dans le cadre de coopération entre des universités vietnamiennes et des écoles supérieures françaises ; certains y sont venus travailler avec des CDD dans des entreprises françaises dans le cadre de programmes européens dédiés aux jeunes diplômés. Parmi les rares Marocains venus s’installer au Vietnam, Malika Rochdi, qui a fait le choix d’émigrer avec son mari à Hanoï, pour y travailler comme diplomate d’abord, et ouvrir ensuite un restaurant marocain, «Le Marrakech». Mais l’histoire de cette dame est un peu particulière, elle se confond avec celle de ces enfants nés au Vietnam (c’est son cas) de pères marocains et de mères vietnamiennes. Les pères, qui se comptaient par dizaines, étaient des soldats engagés dans l’armée française et avaient combattu à partir de 1947 en Indochine dans le corps expéditionnaire français d’extrême-Orient (CEFEO). Une fois arrivés au Vietnam, ils avaient déserté pour rallier les Viêt-Minh, embrassant ainsi la cause d’un peuple qui menait l’une des guerres de libération des plus héroïques du XXe siècle.

L’histoire de cette centaine de soldats marocains déserteurs ne s’arrêta pas là. La bataille de Dien Bien Phû, en 1954, sonnant le glas de l’occupation française dans cette région, ne mit pas fin à leur aventure, laquelle se transforma en saga, racontée avec brio par l’écrivaine française née au Maroc, Nelcya Delanoë, dans un livre qui a fait date, publié il y a une dizaine d’années(*)(voir encadré). Ils ne purent regagner leur patrie, avec leurs femmes et leurs enfants (du moins pour ceux d’entre eux qui survécurent), qu’en 1972, à bord d’un avion affrété par feu Hassan II. La plupart avaient regagné leurs douars à Sidi Yahya, près de Kénitra. Les enfants nés au Vietnam sont envoyés à l’école. Une fois adultes, plusieurs ont refusé de couper les liens avec leur pays d’origine et ont ouvert des restaurants à spécialité vietnamienne.
 
Malika était alors parmi ces enfants rapatriés avec leurs parents, elle avait six ans. Trente ans plus tard, elle retourne dans son pays natal, en tant que diplomate à l’ambassade du Maroc à Hanoï, et ouvre son restaurant. Son histoire ne s’arrête pas là, elle devient une fois de retour au Vietnam la porte-parole d’une quarantaine de Maroco-vietnamiens dont les pères avaient décédé avant 1972, et qui n’ont pas pu être rapatriés avec les autres. Ils vivent encore, à ce jour, au Vietnam, dans la région de Yen Bai au nord de Hanoï, ignorant tout du pays de leurs pères. Mais ils tiennent à renouer avec les origines de leurs pères. Aidés par Malika, ils sont à pied d’œuvre pour obtenir la nationalité marocaine. M. Fardani confirme : «Depuis l’ouverture de l’ambassade à Hanoï, ils ont entrepris des démarches pour la reconnaissance de leur filiation marocaine.

Notre ambassade a saisi les autorités marocaines compétentes à ce sujet. C’est un dossier très complexe. Mais je garde espoir que dans un proche avenir cette question trouvera un dénouement positif pour ces familles».

(*) «Poussières d’empires», Puf et Tarik éditions, août 2002, 222 pages.
 

Vietnam : «Poussières d’empires», un livre capital sur ces soldats marocains

Comment et dans quelles conditions ces soldats marocains avaient-ils été enrôlés dans une guerre qui n’était pas la leur ? Pourquoi avaient-ils déserté pour rallier «l’ennemi» ? Pour quelles raisons étaient-ils restés dans  ce pays lointain, livrés à leur sort, bien que traités avec dignité, rongés par l’angoisse de ne plus revoir le ciel flamboyant de leur pays, lequel ne fit rien pour les rapatrier comme ils le souhaitaient ardemment ? Et  question non moins taraudante : comment ont-ils pu reconstruire leur vie, avec des enfants nés là-bas d’épouses vietnamiennes, après un demi-siècle d’absence forcée de leur pays dont ils n’avaient de nouvelles qu’à travers les ondes de «Radio du Caire» ?

Toutes ces questions sont restées sans réponse, aucun chercheur ne s’est intéressé à cette histoire jusqu’à ce qu’une enquête soit menée, publiée sous forme de livre en 2002, par Nelcya Delanoë, fille de Guy Delanoë, président de «Conscience Française», une ONG créée pendant les années 1950 par quelques Français pour soutenir l’indépendance du Maroc. Certes, il y a un autre livre sur le même sujet sorti en 1996, celui d’Abdellah Saâf, une espèce de biographie de M’Hammed Benomar Lahrech, alias Anh Ma, général marocain de l’armée populaire du Vietnam, mais le livre de Delanoë reste capital pour la connaissance de cette histoire.

Vietnam : «La porte des Marocains» à Ba Vi, à 40 km de Hanoï existe encore...

A la fin de la guerre, les soldats marocains qui ont fondé une famille avec des femmes vietnamiennes cultivaient la terre, élevaient poules et canards, chassaient et pêchaient à Ba Vi, un village situé à 40 km de Hanoï.

Ils donnèrent au village l’aspect d’un douar marocain, avec les odeurs d’animaux et des champs enivrants des lieux. Ils y menaient une vie paisible en attendant des jours meilleurs. Pour parfaire le décor, les hommes se lancèrent dans la construction d’un ouvrage grandiose. Un portail à l’entrée de la ferme, comme on en trouve à l’entrée d’une ville marocaine, «comme Bab El Mansour, ou Bab Marrakech, avec trois arches, des piliers, des frises, des sculptures. C’était très beau, c’était chez nous», avait déclaré à N. Delanoï, l’un des soldats survivants au moment où elle menait son enquête. Glissée comme un fait de peu de valeur dans les propos de cet ancien soldat, la révélation prit les allures d’une découverte archéologique aux yeux de l’historienne.

Elle jure alors de s’y rendre, une fois au Vietnam, pour un complément d’enquête. Et elle le fit, non sans peine. Elle trouva la ferme, et l’édifice bâti, qui reste malgré l’usure du temps, debout, comme une «archive pétrifiée, poème anonyme, prière païenne, royal témoignage». En 2009, les arcades de «la porte des Marocains» ont été restaurées par l’ambassade marocaine, elles constituent encore à ce jour un témoignage vivant de l’histoire de ces Marocains au Vietnam.

Jaouad Mdidech. La Vie éco
www.lavieeco.com

(source de l'article : http://www.lavieeco.com/news/societe/vietnam-voyage-au-c-ur-d-un-pays-at...)
 

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