Un peu de sel dans votre riz ?

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Un peu de sel dans votre riz ?

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L’eau de mer remonte peu à peu dans le delta du Mékong et imprègne les terresdu “grenier à riz”  vietnamien. La solution : des hybrides tolérant mieux le sel.   

Des pousses vertes craquellent la terre salée d’une rizière miniature. A côté, des plantes en pot, alourdies de grains, jaunissent. Dans les serres de l’Institut de recherche sur le riz du delta du Mékong (Cuu Long Delta Rice Research Institute, CLRRI), à proximité de la ville de Can Tho, dans le sud du Vietnam, des agronomes élaborent la céréale de demain. Un impératif : elle devra s’épanouir dans un environnement chargé en sel. De mars à mai, pendant la saison sèche, l’eau de mer affecte chaque année davantage de cultures. Ces mois-ci, au moins 700 000 hectares de rizières, situées jusqu’à 70 km du littoral, souffrent de la salinité dans le delta du Mékong.

“Il faut sans cesse repousser les limitesde la tolérance de la plante au sel”, insiste Nguyen Thi Lang, généticienne au CLRRI. La méthode ? Combiner une variété résistante à une eau salée avec une autre réputée pour son rendement en grains, à force de croisements sur plusieurs générations. Grâce à des marqueurs moléculaires sur les gènes recherchés – un gain de temps –, la technique s’est perfectionnée ces dernières années. Cet institut du ministère vietnamien de l’Agriculture a ainsi mis au point plusieurs hybrides, aux noms d’astéroïdes. L’AS996, par exemple, s’accommode d’une eau deux à trois fois plus salée que celle que peut supporter un riz classique. Il a servi à ensemencer des districts côtiers du Vietnam ainsi que des régions du Bangladesh, également pays de deltas. “Mais nous devons développer des gammes, car chaque région comporte ses propres caractéristiques, précise Nguyen Thi Lang. Nous ne cherchons pas une variété miracle.”

Dans les laboratoires du CLRRI a été créé un riz, à planter pendant la saison des pluies, adapté aux innombrables bassins de crevettes – fortement salés – de Ca Mau. Dans cette province, la plus au sud du pays, Tran alterne aquaculture et riziculture. “Je gagne davantage avec les crevettes”, dit cet habitant d’une bicoque en tôle située au bord de son exploitation. “Mais les maladies peuvent détruire un élevage entier. Le riz garantit un revenu plus stable.”

Deuxième exportateur mondial de la céréale la plus consommée de la planète, le Vietnam s’inquiète pour l’avenir de son “grenier à riz”, ce delta du Mékong qui assure la moitié de la production nationale. Les épisodes prolongés de sécheresse et les barrages en amont appauvrissent le fleuve en eau douce, ce qui laisse libre cours à l’intrusion saline. “Maintenir la quantité de riz cultivé tient désormais du défi. Et nous devons le relever impérativement, car la population du Vietnam [86 millions d’habitants] comptera 14 millions de bouches supplémentaires d’ici à 2020”, avertit Le Van Banh, le directeur du CLRRI. Selon l’ONU, il faudra augmenter la production mondiale de 40 % avant 2030 pour répondre à la croissance démographique.

Améliorer le rendement des rizières malgré le sel : et si la solution se trouvait chez une autre espèce ? “Des scientifiques vietnamiens travaillent sur les gènes de certaines algues”, confie Le Quang Hoa, chercheur à l’Institut polytechnique de Hanoi et auteur d’une thèse sur la salinité et le riz. “Mais il est délicat, pour un pays exportateur, d’adopter une céréale transgénique.”

Tout en recherchant l’antidote au sel, les chercheurs prônent, entre autres, le rehaussement des digues autour des cultures. Selon les prévisions d’élévation du niveau de la mer, la moitié des terres du delta du Mékong sera submergée en 2100. Impossible d’imaginer un riz marin. “Même si on réussit à doubler ou tripler le seuil detolérance au sel des variétés les plus performantes (qui se situe à 5 ou 6 grammes/litre aujourd’hui), ce sera trop peu pour résister à la salinité de l’océan, qui est d’environ 30 g/l”, prévient Le Quang Hoa. Bien avant la grande submersion, des agriculteurs renoncent déjà. “Ce mois-ci, par trois fois, la rivière qui irrigue la commune s’est chargée en sel”, se désole Nguyen Thanh Thu, un agriculteur de Soc Trang, dans le delta du Mékong, pourtant à une soixantaine de kilomètres du littoral. “Enfant, j’y nageais, jamais elle n’avait un goût salé.” Le CLRRI de Can Tho sensibilise les riziculteurs à d’autres cultures, comme le sésame ou le soja. “Bien sûr, on continuera à chercher et à créer de nouvelles variétés plus résistantes”, veut croire Nguyen Thi Lang, la généticienne. “Mais il faut envisager des zones impropres à la culture de riz et, pour la population, d’autres sources de revenus.”

Ce matin, Nguyen Thanh Thu inspecte le travail de ses ouvriers. La parcelle qu’il visite est parcourue de rigoles, entre lesquelles la terre est recouverte d’une bâche en plastique. Des femmes, protégées du soleil sous leurs chapeaux coniques, la percent à l’aide d’un outil en fer. Elles préparent la prochaine récolte. “Ici, il y a deux ans, c’était une rizière, lâche Thu. Maintenant, c’est un champ de pastèques.”

source: www.courrierinternational.com   Hervé Lisandre

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