Guerre du Viêt Nam et Accords de Paris : c'était il y a quarante ans

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Guerre du Viêt Nam et Accords de Paris : c'était il y a quarante ans

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En mai 1968, commençaient à Paris les négociations entre Américains et Nord-Vietnamiens, bientôt rejoints par le Gouvernement révolutionnaire populaire (GRP), créé par le Front National de Libération (FNL), et le Gouvernement de Saïgon. Il s’agissait alors de trouver une solution politique à la « seconde » guerre du Viêt Nam, la guerre « américaine », principal conflit militaire de l’époque. Le 27 janvier 1973, après cinq années de négociations, les Accords de Paix de Paris sont signés. Un cessez-le-feu doit être proclamé dans les 24 heures, les troupes américaines retirées sous 2 mois et les prisonniers américains libérés. Après avoir fait plier les colonialistes français, le peuple vietnamien met ainsi en échec l’impérialisme américain. Mais les troupes américaines retirées, les combats perdureront avec le gouvernement de Saïgon jusqu’à sa chute le 30 avril 1975… Retour sur lesdits Accords.

Paris, avenue Kléber, 13 mai 1968. En plein cœur des « événements », alors qu’une immense manifestation sillonne Paris (mais dans d’autres quartiers…), les délégations nord-vietnamienne (Hanoi) et américaine de la conférence de Paris arrivent avenue Kléber et se rencontrent pour la première fois. Celle de la République démocratique du Viêt Nam (Hanoi) est conduite par Xuan Thuy. Le principal décideur sera ensuite Le Duc Tho, membre du bureau politique du PCV. Côté États-Unis, au début de la conférence, c’est l’administration Johnson (démocrate) qui dirige le pays ; la délégation est dirigée par Averel Harriman.

Plus tard, avec l’avènement du républicain Nixon, Kissinger prendra le relais. Il semble cependant évident à plus d’un observateur que d’autres interlocuteurs doivent être parties prenantes. À Saigon subsiste un gouvernement, que ses adversaires taxent de « fantoche », mais qui contrôle, certes porté à bout de bras par Washington, une partie du territoire du Sud. Par contre, de vastes zones lui échappent désormais, contrôlées par le Front national de libération (FNL), allié de Hanoi. Quelques mois plus tard, ces deux nouveaux interlocuteurs rejoignent la table de négociation. Entre-temps, le FNL s’est doté d’un organisme politique, le gouvernement révolutionnaire provisoire (GRP), dont la délégation est menée par son ministre des affaires étrangères, Mme Nguyen Thi Binh, qui deviendra vite une figure populaire dans le monde entier.

En guerre depuis une génération

En cette années 1968, le Viêt Nam est en guerre, quasi sans interruption, depuis une génération, précisément depuis qu’un gouvernement issu de la Résistance française avait décidé de répondre par la force aux aspirations nationales de son peuple, exprimées par Ho Chi Minh (proclamation de l’indépendance, 2 septembre 1945, Hanoi). Deux semaines plus tard, le corps expéditionnaire débarqué à la hâte au Sud (appelé alors artificiellement Cochinchine) commençait l’offensive.

Neuf ans plus tard d’une première guerre extrêmement violente – sans commune mesure cependant avec ce que fut l’ère américaine – et les colonialistes français étaient battus à Dien Bien Phu (7 mai 1954), puis quittaient piteusement le pays (d’autant plus vite que l’épreuve algérienne commençait immédiatement après…). Les Accords de Genève de juillet 1954, qui avaient sanctionné cet échec, coupèrent le Viêt Nam en deux, à hauteur du 17e parallèle : au nord (Hanoi), le régime Ho Chi Minh s’installa ; au sud (Saigon), Ngo Dinh Diem installa un régime de fer, qui se voulait barrage contre le communisme.

On n’insistera jamais assez sur ce point : ce 17e parallèle ne fut jamais, en droit international, une frontière. Les accords avaient en effet également programmé une réunification dans les deux années, au terme d’élections qualifiées de « libres et générales ». Or, tous les observateurs prévoyaient une victoire, peut-être un raz-de-marée, des partisans d’Ho Chi Minh. Donc… les élections n’eurent jamais lieu. Sur le terrain, au sud, Washington, déjà fortement impliqué dès la guerre française, avait pris en mains les leviers de commande. Tout, alors, se ligua contre une réunification pacifique qui eût épargné au Viêt Nam vingt et une années de malheurs supplémentaires : Mendès France fut, dans le sud-est asiatique, l’homme qui prit la responsabilité de passer le flambeau de la défense du « monde libre » à Washington… le gouvernement de la Chine populaire encouragea, de fait, le maintien de la partition du Viêt Nam… L’Union soviétique fut étrangement passive… La coexistence pacifique avait ses raisons : les Vietnamiens attendraient…

Ils n’attendirent pas.
Au sud du Viêt Nam, Diem commença immédiatement une politique d’élimination systématique des opposants, tous taxés de « communistes ». C’était une question de vie ou de mort : s’ils voulaient survivre, les partisans de la réunification devaient prendre les armes. En 1960 fut fondé un Front de libération nationale. Washington dictant sa loi au sud, Hanoi soutenant le FLN, la « seconde » guerre du Viêt Nam, dite encore guerre « américaine », commençait.

Guerres cruelles, comme elles le sont toutes

L’actualité est hélas remplie, saturée, de nouvelles du monde qui évoquent des conflits. Depuis plus de 40 ans, Israël occupe illégalement des territoires palestiniens. En Irak, en Afghanistan, l’Occident, sûr de ses valeurs, a porté le fer. En Libye hier, en Syrie et au Mali en ce moment, de véritables guerres civiles – où là encore l’Occident joue un rôle trouble – ont eu lieu, ou ont lieu.

« La mémoire humaine est ainsi faite que, un conflit chassant l’autre, la guerre « américaine » du Viêt Nam s’est banalisée, avec les décennies. »

La mémoire humaine est ainsi faite que, un conflit chassant l’autre, la guerre « américaine » du Viêt Nam s’est banalisée, avec les décennies. Seule peut-être la filmographie américaine raconte encore, évidemment à sa façon, ce conflit. Ou encore la référence au Viêt Nam chaque fois qu’une expédition armée occidentale s’enlise. Et pourtant, il ne faut pas, il ne faudrait pas oublier la spécificité de cette guerre, la plus longue et sans doute l’une des plus meurtrières du XXe siècle.

La plus longue : c’est en fait à septembre 1945, on l’a vu, qu’il faudrait remonter. Saigon 1945 – Saigon (bientôt Ho Chi Minh-ville) 1975 : trente années, donc, de guerre. Certes, la phase « française » fut moins intense que la phase « américaine ». Certes, il y eut des accalmies, des moments de négociations. Mais aussi, à partir de 1965, avec une violence inimaginable, des pertes humaines dramatiques.

La décennie 1965-1975 sera en effet terrifiante. Tout le « complexe militaro-industriel » américain est mobilisé. En tout, 3 millions de soldats américains sont envoyés sur le terrain, l’apogée étant atteint en 1968 (516 000 hommes). Cette élite de l’armée américaine pourra compter sur un immense potentiel de feu. L’aviation américaine larguera deux fois plus de bombes que la totalité de celles utilisées durant la Seconde Guerre mondiale (7 800 000 tonnes contre 3 500 000, chiffres officiels américains). La seule RDV (160 000 km², moins du tiers de la France) recevra autant de bombes que tous les champs de combats du Pacifique de 1941 à 1945. Le Sud, le plus touché, recevra « une tonne de bombes à la minute pendant trois ans », selon l’image du Washington Post (avril 1972), dont 372 000 tonnes de napalm. Et que dire de l’utilisation systématique des défoliants et des armes chimiques ? On sait que c’est pendant cette guerre qu’a été formé le mot « écocide ». Que dire, encore, de la répression politique qui atteint des niveaux inimaginables, comme par exemple lors de l’opération Phénix, véritable entreprise d’extermination physique des cadres révolutionnaires du sud ? Un autre aspect est l’exportation du conflit vers le Laos, puis le Cambodge, qui avaient été relativement épargnés lors de la phase française.

Mais, au grand étonnement du monde, qui craignait la victoire de la surpuissante machine de guerre américaine, le Viêt Nam résiste, le Viêt Nam marque des points sur le terrain. L’offensive du Têt, début 1968, est de ce point de vue un formidable défi à cette machine de guerre. Si les pertes vietnamiennes sont fortes, si le bilan militaire doit être de ce fait réévalué, l’écho politique dans le monde est énorme. Aux États-Unis, l’opinion s’inquiète. Cette première grande guerre télévisée, comme on l’a qualifiée depuis, marque les esprits. Des manifestations, d’abord étudiantes, puis plus générales, ont lieu, en particulier à Washington. Ailleurs dans le monde – et la France n’est pas la dernière – les manifestations, les meetings, les prises de parole se multiplient.

Le 31 mars 1968, le président Johnson annonce qu’il ne se présentera pas pour briguer un second mandat. Le piétinement de ses armées au Viêt Nam est la cause majeure de cet aveu d’impuissance.

« Entre un régime vermoulu, impopulaire et corrompu, et la dynamique révolutionnaire, portée par la perspective de la réunification, la lutte n’est désormais plus égale. »

C’est cette situation, et non une supposée bonne volonté, qui amène les Américains à accepter la négociation. Pourtant, durant la négociation de Paris, la guerre ne cessa pas et même, dans certains cas, s’amplifia. On sait que c’est finalement le 27 janvier 1973, il y a donc un peu plus de quarante ans, que les délégations entérinent l’accord. C’est une immense victoire pour un Viêt Nam, qui vient ainsi, après avoir fait plier les genoux au colonialisme français, de mettre en échec l’impérialisme américain. Immense victoire ? Certes. Mais le régime de Saigon, toujours porté à bout de bras et surarmé par Washington, occupe encore une large portion du territoire du sud. Était-il imaginable que ces bellicistes, ces militaires anticommunistes acceptent la situation nouvelle ? Non. L’encre à peine sèche, les derniers soldats américains partis, les accrochages, sur le terrain, reprennent. De janvier 1973 à mai 1974, Saigon est à l’initiative. Puis, les révolutionnaires, maquisards du FLN et soldats du nord, reprennent la main. Le rapport des forces, insensiblement, bascule. Entre un régime vermoulu, impopulaire et corrompu, et la dynamique révolutionnaire, portée par la perspective de la réunification, la lutte n’est désormais plus égale.

S’ajoute à cet état de fait l’affaiblissement du grand allié américain. C’est précisément à cette époque qu’éclate le scandale dit « du Watergate », qui va affaiblir durablement l’exécutif américain, au moment même où son allié saïgonnais s’essouffle. Le 8 août 1974, c’est un Nixon abattu qui annonce à ses compatriotes sa démission, effective le lendemain. L’aigle de l’impérialisme américain bat de l’aile. Et ce n’est pas le faible Gerald Ford qui peut lui redonner son agressivité passée. Une année encore, une dernière campagne, et les révolutionnaires entrent à Saigon le 30 avril 1975. Le lendemain, 1er mai, magnifique symbole, le Viêt Nam connaît son premier jour de paix depuis, donc, 1945.

Sur les racines de la politique vietnamienne

Beaucoup d’observateurs se sont interrogés sur la contradiction entre la signature d’un accord de paix en janvier 1973 et une offensive militaire, deux ans plus tard, au printemps 1975.
Contradiction apparente. Il faut, me semble-t-il, partir de deux données complémentaires pour comprendre cette politique : l’attachement multiséculaire des Vietnamiens à l’unité de leur pays ; la confiance limitée qu’ils avaient dans leurs alliances internationales.

Hô Chi Minh

Sur la première thématique, il faudrait des heures d’explication pour faire comprendre à des observateurs étrangers l’immense, l’irrésistible aspiration des Vietnamiens à l’unité de leur pays. La politique de l’Occident a toujours été de tenter de diviser ce pays. Les Français avaient imaginé des entités totalement artificielles, une Cochinchine au sud, un Annam au centre et un Tonkin au nord. Plus tard, on l’a vu, l’Accord de Genève imagina un Nord Viêt Nam et un Sud Viêt Nam tout aussi artificiels. À force de répéter sans cesse ces deux noms, il est à gager que bien des politiques, des journalistes, des observateurs, crurent sincèrement qu’il y avait désormais deux pays, de part et d’autre du 17e parallèle…

Pour les Vietnamiens, il n’en était rien : de la frontière chinoise à la pointe de Ca Mau, toutes sensibilités politiques confondues, il n’y avait jamais eu, depuis des siècles, qu’un seul pays, leur pays, le Viêt Nam. Même les hommes politiques que l’Occident a voulu mettre en avant pour contrecarrer l’influence d’Ho Chi Minh l’ont affirmé. Lorsque De Gaulle, en 1945, contacte le prince Vinh San, l’ex-empereur Duy Tan, celui-ci répond qu’il exige une politique respectant cette unité. Lorsque, ensuite, Paris joue la carte Bao Dai, lorsque Washington joue celle de Ngo Dinh Diem, puis de ses multiples successeurs, ces leaders, pourtant plutôt dociles sur les autres points, ne veulent pas sacrifier cette unité.
Et, bien sûr, les leaders révolutionnaires n’ont jamais transigé sur ce principe. C’est tout autant sur la question de l’unité que sur celle de l’indépendance que les négociations avec Ho Chi Minh, à Paris en 1946, échouent. Et, plus tard, après Genève, quand ils entendirent leurs ennemis prétendre que « le Nord » agressait « le Sud », quand ils constatèrent que leurs alliés leur conseillaient l’attente (jusqu’à quand ?) avant toute réunification, il y a fort à parier qu’ils laissèrent parler… mais ne dévièrent pas d’un iota de leur but final..

C’est ici qu’intervient le second facteur, la confiance limitée dans leurs alliés. C’est, encore une fois, à l’expérience genevoise qu’il faut revenir. On l’a vu, en juillet 1954, le monde socialiste a incontestablement sacrifié la cause de l’unité du Viêt Nam sur l’autel de la coexistence pacifique. Un mot, jamais écrit à cette époque dans les documents vietnamiens, a alors pourtant cheminé dans tous les esprits : trahison.
On ne comprendrait rien à l’attitude des dirigeants vietnamiens lors de la conférence de Paris, puis dans les deux années qui ont suivi, sans avoir en tête cette situation : ils avaient été piégés une fois, ils ne le seraient pas une seconde.
Or, une situation comparable se dessinait à l’horizon. Les voyages de Nixon et Kissinger à Pékin et à Moscou, en 1972, immédiatement avant la signature des Accords de Paris, avaient fixé un cadre international qui, une fois de plus, voulait être imposé à Hanoi : les dirigeants chinois, en particulier, soutiendraient le Viêt Nam, politiquement et militairement… jusqu’à une certaine limite. Et cette limite s’appelait maintien de la division du pays, élément garant à leurs yeux de la docilité à venir d’un Nord Viêt Nam durablement amputé. On sait aujourd’hui que, lors de l’offensive du printemps 1975, Pékin tenta, en vain, d’imposer in extremis une solution qui aurait maintenu un État sud-vietnamien neutraliste.

« Dix millions de personnes, un Sud-Vietnamien sur deux, ont quitté leurs villages, ont abandonné leurs terres.
Toutes les familles du pays ont un, deux, dix morts à pleurer. »

N’oublions jamais un élément déterminant de la diplomatie chinoise de cette époque : toutes les forces politiques qui n’épousaient pas les thèses hostiles à Moscou alors en cours à Pékin étaient suspectes, voire potentiellement ennemies. Les Vietnamiens, fidèles en cela aux orientations définies par Ho Chi Minh, avaient fait un choix : ne pas choisir entre les deux frères ennemis.
C’est cette situation internationale et régionale qui explique le court délai entre la signature des accords de Paris et l’offensive d’avril 1975.
Les Vietnamiens avaient payé de 21 années de division de leur pays l’échec de la conférence de Genève, ils refusèrent de payer de 20 années supplémentaires les calculs stratégiques des grandes puissances.
Cette victoire, le peuple vietnamien l’a payée très cher.

Au nord du pays, plus de 4 000 communes, sur 5 778, ont connu à un moment ou à un autre, souvent plusieurs fois, des bombardements. Sur les 30 capitales provinciales, 28 ont été atteintes. 3 000 écoles, 500 hôpitaux, des dizaines de milliers d’habitations, d’édifices divers, ont été détruits, totalement ou partiellement. Au sud, les villes ont certes été moins touchées. Mais les « tares sociales », drogue, prostitution, délinquance, guerres des gangs, sont des phénomènes de masse. Les campagnes ont souffert, énormément souffert. Partout dans le pays, les champs, les rizières, les forêts sont truffés de bombes non explosées ou de défoliants. Dix millions de personnes, un Sud-Vietnamien sur deux, ont quitté leurs villages, ont abandonné leurs terres.
Toutes les familles du pays ont un, deux, dix morts à pleurer. Les blessés de guerre sont un demi-million, dont 200 000 estropiés, 100 000 aveugles, 20 000 paraplégiques… Il y a un million de veuves, 950 000 orphelins… Il faut faire face à tout, et vite. Or, on ne doit pas oublier que ce Viêt Nam, magnifié (trop ?) par ses amis, est pauvre, très pauvre.

Cela paraît aujourd’hui bien loin. Quarante années plus tard, le Viêt Nam est un pays en paix, souverain et unifié.

Alain Ruscio sur Ragemag (10/09/2013)Dr ès Lettres, chercheur indépendant. A consacré l'essentiel de son travail de recherche, dans un premier temps, à l'Indochine coloniale et à la phase finale de cette histoire, la guerre dite française d'Indochine (1945-1954). Depuis quelques années, il a orienté ses recherches vers une histoire comparative, étudiant les autres colonies françaises. Il a notamment porté ses travaux sur ce qu'il est convenu d'appeler le "regard colonial". Auteur de plusieurs ouvrages. A écrit pour « Le Monde Diplomatique » et « L'Humanité ».

 

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