TRANCHE DE VIE :     

 

Je quitte le Cambodge un peu triste après avoir vécu mille aventures incroyables.  Me voici au Vietnam, dont je prévois de visiter la moitié Sud. Dès le passage de la frontière, les différences me sautent aux yeux entre cette république socialiste et les autres pays d’Asieque je viens de traverser.

Impossible de faire du stop au Vietnam m’a-t-on dit. Voyageurs comme vietnamiens, tous m’affirment avec une inébranlable conviction que ce n’est pas dans les mœurs de la population et que je n’avancerai pas d’un kilomètre de cette façon. Rien de tel pour me motiver encore plus. Impossible me disiez-vous? 1800km plus tard, voici le bilan…
 
Ajuster mon discours :
 
Comme dans chaque pays, avant de me lancer sur la route, je prends le temps de noter quelques mots (et les premiers chiffres) dans la langue locale afin de pouvoir saluer et remercier les personnes que je rencontre, et aussi expliquer ce qu’est l’autostop, notamment au Vietnam où c’est une pratique encore inconnue. J’ajoute donc toujours à ma liste de vocabulaire deux ou trois expressions, comme j’aimerais rencontrer des gens, je voyage autour du monde, ou je n’ai pas beaucoup d’argent.
Première journée au Vietnam, je discute avec mes différents conducteurs, et ils me questionnent au sujet de mon budget. Je sors ma phrase fétiche : toi khong co tien, ce qui signifie que je n’ai pas trop d’argent, que je vis donc avec peu. On me tend des billets à trois reprises. Je refuse bien sûr, mais je dois m’accrocher fermement pour parvenir à rendre l’argent à leurs propriétaires. Deuxième jour, refusant une quatrième fois et tenant bon, une femme que je connais à peine glisse le billet dans ma poche et condamne la portière de sa voiture. Elle me salue tendrement à travers la fenêtre, comme pour me souhaiter bon voyage, et s’en va.
Je réalise alors que ces personnes ne comprennent pas que je n’ai pas beaucoup d’argent, et me prennent en pitié. Ce n’est pas le propos que je souhaite tenir ni l’image que je souhaite véhiculer. Je donnerai un peu plus tard l’argent à un mendiant, et j’arrêterai définitivement d’évoquer mon petit budget.
 
Savoir accepter la générosité :
 
Je ne compte plus les sourires encourageants que je reçois depuis le début de mon aventure ici. Je ne compte plus les repas que les conducteurs de camions m’offrent sur la route. Je ne compte plus les milliers de petites attentions qui me tombent du ciel, toutes inattendues et pleines de bonté.
On me fait monter gratuitement dans un bus, pas n’importe lequel : un bus de luxe, avec couchettes et climatisation. Allongée confortablement, je m’émerveille devant les rizières verdoyantes qui s’étendent à perte de vue. Pause, les hommes restent faire leur affaire devant le bus, les femmes s’éloignent et je les suis. Je me fais attaquer l’oreille et le bras par un essaim de frelons. D’énormes frelons. Au moins six piqûres, une vive douleur m’envahit d’un trait. Je remonte dans le bus et fonds en larmes discrètement, la sensation de brûlure est trop intense, mon oreille a triplé de volume et un mal de crâne me domine en quelques secondes. Un papi qui se tient près de moi a vu la scène, et me sourit tendrement, en guise de réconfort. Il ne parle pas anglais, mais me fait la conversation en langage des signes jusqu’à la fin du trajet pour me changer les idées…
 

Extrait de mon carnet de voyage

Je ne compte plus les surprises qui rythment mes kilomètres : on me tend avec sympathie un fœtus de poussin dans un bel œuf, un verre de tord-boyaux qui porte bien son nom, une assiette de crevettes dont il faut manger la tête et la queue, ou d’autres mets que je ne peux décrypter. La générosité est partout, à chaque instant, et recouvre des formes dont j’ignorais jusqu’alors l’existence.
Tout au long de mon parcours, je suis hébergée chez des personnes qui me prennent sous leur aile, le temps de quelques jours. Comment ne pas citer Pierrette et Gérard, qui m’ouvrent leur porte sans même me connaître. En plus des moments heureux passés en leur compagnie, à discuter, rire, ou apprendre de leur grande expérience, ces deux expatriés français me remettent à neuf.
En trois jours, je reprends deux kilos, j’ai du linge tout propre, et je suis reposée. Pierrette apporte même mon sac à dos tout abîmé chez son couturier, afin qu’il répare la bretelle et change la fermeture éclair principale. Elle refuse que je paie les frais. Je quitte leur domicile aussi fraîche que si je venais de quitter le mien. Un immense merci…
 
Lâcher prise :
 
Avant mon arrivée au Vietnam, on m’avait mise en garde à de nombreuses reprises, contre une partie de la population qui serait malhonnête, et tenterait à coup sûr de me poser des problèmes. On m’avait bien prévenue : le stop ici, impossible. Tant de préjugés, d’idées préconçues, tout cela manque de relief. Le Vietnam ne se résume pas à une mauvaise expérience que certains ont pu vivre. C’est au contraire une palette concentrant les plus belles couleurs des sentiments humains.
J’arrive quelque part, je ne sais où. Un jeune qui ne parle pas anglais me fait monter à l’arrière de sa moto, et me dépose à Hoi An, où je souhaite me rendre. Il s’inquiète pour moi et ne veut pas me laisser n’importe où. Il appelle alors son amie bilingue qui habite Da Nang, à une trentaine de kilomètres de là, pour qu’elle nous aide à communiquer. De fil en aiguille, cette dernière me propose de la rejoindre, nous reprenons donc la route en sens inverse. Elle est avec ses cousins, tous ont environ mon âge. Ils m’invitent au restaurant, refusant catégoriquement que je paie, je déguste ainsi mon premier pho vietnamien. Ils me font ensuite visiter Da Nang de nuit, nous roulons en moto à travers la ville, tout en riant aux éclats. Je ne sais toujours pas où je dormirai ce soir, mais qu’importe, je me laisse bercer par le deux roues, l’instant est trop bon…
 
Extrait de mon carnet de voyage
 
Si je ne dois retenir qu’une chose apprise au Vietnam, c’est bien qu’il faut parfois savoir lâcher prise. Lâcher prise sur mes dernières barrières qui m’empêchaient jusqu’alors de jouir entièrement de ma liberté. Lâcher prise sur ces quelques angoisses persistantes, qui me poussaient à vouloir contrôler le cours de ma journée. Lâcher prise sur la maîtrise de mon voyage.
J’ai rencontré sur les routes vietnamiennes des dizaines de personnes qui m’ont protégée, aidée, accompagnée, invitée, fait rire, ou bousculée dans mes derniers retranchements. Pour preuve, je n’ai jamais attendu un véhicule plus d’une poignée de minutes. Étant une femme, jeune, et étrangère, j’ai eu le sentiment qu’un peuple entier souhaitait m’épauler dans ma traversée du pays.
Alors j’ai appris à faire confiance. À faire vraiment confiance, en toutes ces personnes qui elles, croient en moi, d’emblée. Peu importe si j’arrive à ma prochaine étape dans la journée ou non, ici, je suis sûre de trouver un foyer où dormir sur ma route. Je me laisse porter par le flot de conducteurs qui me font grimper d’un véhicule à l’autre comme si je jouais à saute-moutons.
 
Et puis il y a eu Quang…
 
J’écris ces quelques lignes depuis Ho Chi Minh, où Quang m’héberge quelques jours. Un vietnamien de mon âge, qui vit entouré de sa famille si souriante. Quang, c’est la définition même de la bonté, il a le cœur pur. Chez lui, je vis des instants de bonheur à l’état brut. Il m’offre les plus beaux moments de mon séjour au Vietnam.
Toujours accompagné par sa bande d’amis, dont Trang, avec qui je sympathise énormément, Quang met un point d’honneur à me faire découvrir le tout Saigon en moto. Nous roulons des heures à travers cette mégalopole, dans laquelle je ne sais où donner de la tête. Les hordes de motobikes déferlent de tous côtés, nous coupant la route, se percutant parfois, et crachant leur fumée âcre de leur pot d’échappement.
Heureusement, j’ai déjà appris à lâcher prise, je m’en remets à Quang, et à sa conduite disons créative… Nous filons à travers les boulevards comme dans les plus petites ruelles. Trang nous suit sur sa moto, nous avançons de front, les blagues fusent entre deux accélérations.
La mère de Quang me prend en amitié même si nous ne parlons pas la même langue. Nous ouvrons Google Translate, elle m’apprend à cuisiner les nems vietnamiens puis me force à manger plus que raisonnablement.
Enfin, l’oncle de Quang est francophone, il a vécu deux ans à Paris alors que je n’étais pas encore née. Ses mots ne tarissent jamais et entre deux gorgées de bière locale il m’adresse tous ses encouragements pour le reste de mon voyage. Merci à Quang et à sa famille pour tous ces moments inoubliables…
 
De Da Nang à Ho Chi Minh en passant par Kontum, Nha Trang ou encore Dalat, je suis allée de surprise en surprise au Vietnam. C’est en apprenant à lâcher prise et en m’affranchissant de mes dernières barrières que j’ai eu la chance de recevoir toute cette générosité.
C’est au pays du dragon que j’ai eu pour la première fois le sentiment qu’un peuple entier soutenait mon aventure, et m’envoyait ses meilleurs vœux afin que tout se passe bien pour moi. Être émue par un simple bon voyage ou have a nice trip lancé à la volée, traduit bien toute la force de l’énergie positive que l’on m’a adressée.
 
Après 1800km de stop à travers les routes vietnamiennes, je ne me sens pas fatiguée comme après d’autres épopées, mais bien ressourcée, et prête à me lancer dans mille nouvelles aventures
 

Commentaires

votrè voyage au Vn

 Bonsoir Astrid, 

Formidable,  extraordinaire ! Quelle chance d'avoir pu vivre tout cela !!!

Je vous envie !!!

 

Vincent Tô.

 

bonjourdommage que tu ne te

bonjourdommage que tu ne te sois pas arretee dans ma ville (a proximite de KonTum et de HoiAn).

tu aurais ete tres bien recue egalement...

a bientot?

Merci Astrid

Merci Astrid d'avoir si bien parlé du Việt Nam de son peuple fier mais généreux.

René

 Magnifique aventure. C'est

 Magnifique aventure.

C'est comme ça que je connais le vietnam.

Accueillant, généreux en dehors des circuits commerciaux, souriant.

Bravo pour cette aventure.

Patchick

 

 

 

 

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