Il y a des jours comme ça plus difficiles que d'autres. Peut être que la nuit passée dans un bus qui vient de nous mener de Nha Trang à Hoi An y est pour quelque chose. Peut être qu'encore endormis et vaseux des quelques maigres heures de mauvais sommeil, recroquevillés sur des sièges vous laissant une délicieuse barre dans les reins, les arrêts forcés dans les hôtels "recommandés" par le chauffeur nous fatiguent déjà un peu les nerfs. Comme cette propriétaire qui nous exaspère gentiment en faisant exprès (?) de ne pas comprendre que nous voulons la chambre la moins chère de son établissement, et que nous faire visiter au troisième étage une chambre avec vue au tarif deux fois plus élevé que le prix de base annoncé quelques minutes avant, nous fait perdre à la fois notre temps et amenuise la réserve de patience déjà bien entamée... Peut être enfin que le petit déjeuner pris dans la rue où clairement, à la demande du prix à payer, la cuisinière "réfléchit" et se demande quel prix incongru elle va pouvoir demander à ces deux nouveaux débarqués finit d'installer le sentiment que nous venons d'atterrir dans le "tourist land" du Viêt-nam.

Prévenus nous étions ! Mais la force ne doit pas être en nous ce matin car le début de notre visite de la ville de Hoi An est un peu chaotique. Une petite marche pour mettre le corps et le cerveau en fonctionnement afin de rejoindre le centre historique et très vite nous comprenons l'attrait international pour cette cité qui se pose comme un passage incontournable d'un séjour au Viêt-nam. En une phrase simple : l'architecture du coeur de Hoi An demeure quasi inchangée depuis plusieurs siècles.

Pour une fois le progrès associé aux matériaux modernes comme le béton et la tôle n'a pas touché ce lieu, et ce pour une raison très simple. Le déclin commercial après une prospérité multi centenaire. Direction le XV ème siècle, quand Hoi An était le centre le plus important de cette région d'Asie du Sud Est tant sur le plan commercial que culturel. De nombreux négociants venus d'Asie et d'Europe passaient par la cité et la période du XVI ème au XVIII ème siècle fut celle de l'apogée de Hoi An. Même au XIX ème alors que la dynastie des Nguyên avait décidé la fermeture commerciale du pays, la cité conserva son statut de port principal du pays. Cependant à la fin de ce même siècle, l'essor d'autres ports du Viêt-nam vit son déclin. La conséquence de ce désintéressement économique fut que la ville préserva remarquablement son apparence ancienne ! La plupart des édifices sont en bois et bien sûr furent rénovés au cours des siècles mais la dernière "vague" de travaux eu lieu à la fin du XIX ème et au XX ème siècle aucune pression économique n'est venue imposer le remplacement des bâtiments et donc l'emploi des matériaux modernes !

Quelle chance pour nous aujourd'hui de pouvoir visiter un musée à ciel ouvert où les influences des diverses communautés qui vivaient là ont enrichi considérablement l'architecture des lieux ! Hors vietnamiennes, elles sont principalement chinoises, mais également japonaises. La vieille ville située sur les bords du fleuve Thu Bon couvre une zone assez limitée de 0,3 km² (1000 mètres d'ouest en est, 300 du nord au sud) constituée de 4 rues parallèles au fleuve et d'un réseau de ruelles perpendiculaires. Comme le tracé traditionnel des rues a été préservé de façon remarquable, l’authenticité globale de cette ville historique est encore renforcée. Un inventaire précis fut fait entre 1993 et 1995 et nous pouvons apprécier aujourd'hui dix-huit maisons communautaires, quatorze pagodes et sanctuaires, cinq salles de réunion, dix-neuf maisons de culte et quinze grandes sépultures, et bien que nombre d'entre eux furent rénovés au XIX ème siècle, une bonne proportion présentent encore les caractéristiques architecturales du XVII et XVIII ème siècles. Le reste des habitations présente une architecture classique de bois avec toit en tuile. On remarquera aussi un superbe pont de bois de style japonais sur lequel fut construit une pagode et bien qu'il fut reconstruit plusieurs fois, son installation date du XVIII ème siècle.

Cette journée qui avait commencé dans la peine se transforme en une flânerie bien sympathique dans les ruelles de Hoi An. Carte, guide et bon d'entrée pour visiter les architectures remarquables en main, le jeu, finalement simple étant donné la faible superficie de la vieille ville, consiste à retrouver au détour des rues les édifices-clefs : Le temple Quàng Dông abritant de superbes statues de dragons chinois entièrement décorés de mosaïques ;

le pont Japonais et sa pagode "petit format" construite en son milieu ; la vielle maison Tân Ky fondée par un marchand vietnamien et habitée depuis sept générations par la même famille, que l'on peut par bonheur partiellement visiter pour apprécier le mariage des influences architecturales japonaises mais surtout chinoises ;

enfin l'atelier artisanal Hôi An où les sculpteurs sur bois, sur bambou et sur pierre rivalisent de finesse avec les céramistes et les petites mains attachées à la confection de lanternes en soie.

C'est enfin dans le cadre de cette échoppe que nous apprécierons un concert de musique traditionnelle vietnamienne ainsi qu'à une charmante scénette de danse traditionnelle...

Enfin en sortant un peu du "parcours recommandé" nous tomberons par hasard sur des scènes de la vie courante révélant finalement que le style de vie traditionnel (vêtements des gens de la rue par exemple), la religion (une cérémonie dans une ruelle avec quantité d'offrandes présentées à grand renfort d'encens), les us et coutumes et la cuisine (que nous aurons goûté au marché pour notre pause déjeuner) semble bien préservés, comme en attestent les nombreux festivals qui continuent d’avoir lieu chaque année à Hoi An.

Tout semble parfait non ? Architecture conservée et fascinante, us et coutumes traditionnels au détour des ruelles... oui et bien tout ce tableau ne reflète peut être pas les changements qui aujourd'hui s'opèrent dans Hoi An. Depuis sa classification en 1999 par l'Unesco sur la liste du Patrimoine Mondial et donc depuis que le tourisme de masse fait escale par cette ville, les restaurants, les cafés, les échoppes de souvenirs, les mini-hôtels, les tailleurs ont envahis les ruelles et tendent à remplacer les manufactures d'art traditionnel dans les maisons de la vieille ville. Il est malheureux de constater qu'à la fin de la visite les images de maisons et de pagodes s'entrechoquent avec celles des boutiques de tailleurs et de souvenirs "bons marchés"...

Enfin bon marché... Dites-le vite car encore plus qu'ailleurs dans le pays, le touriste est vu comme un portefeuille géant. Dur d'accepter de payer sûrement trois ou quatre fois le prix local pour tout et n'importe quoi, et même si une assiette pour déjeuner dans le marché couvert ne nous coûtera que 40 centimes d'euro par personne, le sourire de

s attablés vietnamiens à l'annonce du prix (un local ne paiera sûrement pas plus de 10 centimes pour la même assiette) et la désinvolture de la cuisinière ne laisse aucun doute : nous sommes les dindons de la farce !

La faute est à imputer aux visiteurs de cette ville qui finalement garderont comme souvenir principal de Hoi An ce costume sur mesure ou le vêtement "vietnamien-chinois-design-special-touriste" qu'il en ramèneront. Nous payons le prix (au sens propre comme au figuré) d'un tourisme qui se trompe de centre d'intérêt. Si la préservation architecturale semble assurée grâce au travail de l'Unesco et à la loi de 1997 qui définit les réglementations de conservation (mises en oeuvre par le Centre de conservation et de gestion des monuments de Hoi An, qui est le bras exécutif du Comité populaire de la ville), il ne faudrait cependant pas que toute la vieille ville historique ne devienne un marché à ciel ouvert de produits "à touristes". L'intérêt de la vieille ville est bien réel, s'y promener est une expérience unique, jubilatoire pour l'amateur d'architecture et d'esthétisme issu d'un métissage culturel, mais le charme de Hoi An est sur le fil du rasoir.