Le Vietnam en deuil après la mort du général Vo Nguyen Giap

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Une figure adulée"Giap, le volcan sous la neige", par Jean LacoutureVo Nguyen Giap: Ma stratégie était celle de la paixQuand le général Giap, héros vietnamien de Dien Bien Phu, a chanté « La Marseillaise »

 Interwiew par des journalistes français du Général,année 1964 

Une figure adulée

Le Vietnam était en deuil vendredi 4 octobre 2013 après la mort du général Vo Nguyen Giap, héros militaire de l'indépendance et une des figures les plus adorées de la population après Ho Chi Minh.

Le général Vo Nguyen Giap, héros militaire de l'indépendance vietnamienne et artisan de la débâcle française à Dien Bien Phu, est décédé vendredi à l'âge de 102 ans, ont indiqué des sources gouvernementale et militaire.

Giap, dernier dirigeant historique du Vietnam communiste encore en vie, était une des figures les plus adorées de la population après le fondateur du Parti communiste du Vietnam Ho Chi Minh.

"Repose en paix, héros du peuple. Tu seras toujours notre plus grand général", a écrit un internaute sur Facebook, un des nombreux témoignages inondant les réseaux sociaux avant même l'annonce officielle de sa mort

Rts Info / Afp 

 

"Giap, le volcan sous la neige", par Jean Lacouture

Deux ans avant la bataille décisive de Dien Bien Phu (1954), le journaliste Jean Lacouture dressait déjà, le 5 décembre 1952, dans les colonnes du Monde, le portrait du général vietnamien, mort vendredi 4 octobre à l'âge de 102 ans.

En février 1946, Vô Nguyen Giap était ministre de l'intérieur du gouvernement présidé par Ho Chi-Minh depuis six mois. Il apparaissait déjà comme le meilleur lieutenant du vieux leader et les journaux vietminh de Hanoï le montraient constamment aux côtés du "président Ho". Un mois plus tôt il avait "fait" des élections qui donnaient au Vietminh 90 % des voix et une écrasante majorité à la Chambre populaire.


L'"homme fort" du régime ne s'imposait cependant pas d'emblée au visiteur qui voyait entrer dans le grand salon de l'ancien résident supérieur au Tonkin, un petit homme de trente-cinq ans environ, mince, un peu voûté ; le large visage coupé de lèvres épaisses aurait paru banal n'étaient le front énorme qui le dominait et les yeux un peu globuleux, mais brûlant d'un feu soutenu. La voix douce se faisait brusquement rugueuse, et le très bon français du leader communiste reprenait alors le rythme sautillant de l'accent vietnamien.

 Nous avions naturellement parlé des possibilités d'insérer une indépendance vietnamienne dans la communauté française. Giap dit, abaissant à demi les paupières, et cachant mal une passion sans limite (à Saïgon, un de ses camarades l'avait défini devant nous : le "volcan sous la neige". Oui, ou le machiavélien romantique) : "Si les conditions sur lesquelles nous ne transigerons pas, et qui peuvent se résumer en ces deux mots : indépendance et alliance, ne sont pas acceptées, si la France est assez myope pour déclencher un conflit, sachez que nous lutterons jusqu'à la mort, sans nous laisser arrêter par aucune considération de personnes, par aucune destruction..." Déjà le petit homme au grand front avait cessé de faire penser à un étudiant "bûcheur", mais dix jours plus tard, le 7 mars, c'est encore un tout autre homme qui se dressait sur le balcon du théâtre de Hanoï, saisissant à pleine main le micro, devant plusieurs dizaines de milliers de Hanoïens venus entendre expliquer par les leaders du Vietminh"pourquoi nous avons traité hier avec les Français". Le large visage, vu de loin, prenait une puissance léonine. Et la voix, enflée par le micro, une intensité surprenante. Ce fut un tribun populaire, railleur d'abord, et puis violent, d'un cynisme étonnant, qui retourna la foule indécise. Il avait fondé son argumentation sur les nécessités tactiques, parlé de "simple pause", et donné Brest-Litovsk en exemple.
 
Il n'aima pas beaucoup se l'entendre rappeler, six semaines plus tard, lors de la conférence de Dalat. Chef de la délégation du Vietminh, il luttait pied à pied contre les arguments de la délégation française, dont le conseiller militaire était le général Salan. Dans la pénombre d'une chambre du Lang-Biang Palace, Giap s'expliquait :"J'ai parlé de Brest-Litovsk ? Peut-être. N'y voyez pas de duplicité... Mais nous nous tenons sur nos gardes. J'ai vu les forces de Leclerc. Comment ne tenteriez-vous pas de consolider vos positions ? C'est dans la logique des choses. Il nous faut donc, de notre côté, tenir le peuple en alerte. La lutte est devenue pacifique, à l'intérieur du cadre du traité. Mais elle continue..." Quelques jours plus tard, la lutte diplomatique, menée de part et d'autre avec intransigeance, conduisait la conférence à l'échec. "C'est un désaccord cordial", nous glissait Giap dans un demi-sourire. Trois mois plus tard on comprenait ce que Giap entendait par "dans le cadre du traité"...
 
Le désaccord est devenu sanglant, et le diplomate ironique de Dalat est depuis cinq ans le général Giap, commandant en chef des forces armées du Vietminh, l'homme qui a décidé le massacre de Hanoï du 19 décembre 1946 et qui tient en échec depuis lors les meilleures troupes de l'Union française.
 
UNE EXISTENCE IMPITOYABLE

Il est né en 1911 à An-Xa, petit village de la province de Quang-Binh, dans le Nord-Annam. Son père cultivait un petit terrain et sa mère tissait la toile. Malingre, l'enfant apprit néanmoins de son père, petit lettré, les caractères chinois. Au collège de Hué il se fit remarquer à la fois par sa passion pour la poésie et son adhésion aux doctrines du vieux révolutionnaire Pham Boï-Chau, rentré depuis peu en Indochine et dont les pamphlets nationalistes enflammaient une partie de la Jeunesse.
Il organisa des grèves d'étudiants, fonda un journal manuscrit et collabora bientôt au Tieng Dan (La Voix du peuple), dirigé par un leader nationaliste déjà célèbre, Huynh Tuc-Hang (qui devait d'ailleurs lui succéder au début de mars 1946 comme ministre de l'intérieur du Vietminh). Entré à 19 ans au parti communiste, il était bientôt arrêté.

Quand trois ans après Giap sortit de la prison de Hué, ses parents ne trouvèrent plus les moyens de le nourrir. Il gagna Hanoï, où un professeur du lycée, M. Dang Thaï-Mai, futur leader vietminh, l'hébergea et le prépara au baccalauréat. Il devenait bientôt le précepteur des jeunes frères de son professeur, puis épousait leur sœur. Étudiant en droit, Giap collaborait au journal Le Peuple.

En 1939, lors de l'interdiction du parti communiste, il échappa à une perquisition. Mais plusieurs de ses amis et sa femme étaient arrêtés. Il ne la revit pas. Elle devait mourir en prison, deux ans plus tard (et l'on ne peut oublier cet épisode tragique dès qu'il s'agit de définir Giap, homme de passions totales...). Il réussit àgagner la Chine. Quand il arrive à Yun-Nan-Fou, à trente ans, Vô Nguyen Giap est déjà l'une des trois ou quatre meilleures têtes du PCI (Parti Communiste Indochinois) En décembre 1944, désigné par le "Tong Bo", ou comité central du parti, Giap revient, le premier parmi les leaders du Vietminh, dans la haute région tonkinoise pour prendre le commandement de petits groupes de guérilleros qui luttent d'abord avec une certaine efficacité contre l'administration française et qui, se retournant ensuite contre les "Japs", permettront au Vietminh de se targuer plus tard d'une "résistance" antijaponaise dont le caractère symbolique ne pouvait échapper à l'état-major nippon.
Mais la carrière militaire de Giap est commencée...
 
L'HOMME DE GOUVERNEMENT

Dans le premier cabinet Ho Chi-Minh, Giap reçoit non le portefeuille de la guerre, mais celui de l'intérieur, celui de l' " ordre révolutionnaire ". Sa poigne évitera à Hanoï les horreurs de massacres tels que ceux qui le 2 septembre ensanglantèrent Saigon. Mais elle s'appliquera bientôt à une épuration dont les nationalistes non communistes seront les nombreuses victimes.
Entre tous les leaders vietminh, Giap s'impose bientôt comme le " politique " par excellence, face aux théoriciens formés à Moscou et aux extrémistes de culturechinoise tels que Ha Ba-Kang, Ho Tung-Mau et Tran Huy-Lieu. Il est alors l'homme des compromis et des coalitions, de la tactique de " front national ", d'autant plus opportune qu'en France le tripartisme est au pouvoir. Il est aussi tout simplement le plus intelligent et sera l'un des artisans de l'accord du 6 mars 1946 : reconnaissance de fait du gouvernement Ho Chi-Minh et de la " liberté du Vietnamau sein de l'Union française ".

Avec Ho Chi Minh, en 1950.
Le début de la conférence franco-vietnamienne de Fontainebleau marque son apogée politique : Ho Chi-Minh est parti pour la France, et c'est Giap, nommé entre temps président du comité de défense, qui prend en main, pour ne plus lesabandonner, les responsabilités fondamentales. Dans son Histoire du Vietnam de 1940 à 1952, Philippe Devillers a résumé cette phase des relations franco-vietnamiennes et de la carrière du leader communiste en ce titre d'un chapitre :"Giap forge ses armes". Quatre mois plus tard il était en mesure d'opposer à l'ultimatum de Haïphong d'autres menaces et de les mettre à exécution. Qui définira jamais la part exacte des responsabilités dans le déclenchement du coup de force du 19 décembre 1946 ? On pense généralement que c'est Giap qui l'imposa à un Ho Chi-Minh malade et déçu.
 
La guerre s'ouvrait. Et le président du comité de défense, devenu généralissime, prenait le maquis et devenait le premier maître à bord. A la radio désormais sa voix allait alterner avec celle du président – encore que depuis deux ans l'un et l'autre aient dû souvent céder le pas au secrétaire général du "Parti ouvrier", Doang Xuan-Khu, ou à Truong Chinh, l'un des premiers compagnons d'exil de Giap.
 
LE STRATÈGE

Le "général" Giap allait-il égaler le militant, le tribun, le diplomate ? Dût-on suscitersa colère, on verra en lui le Trotski de la révolution vietnamienne. Chez lui l'organisateur domine naturellement le stratège, et depuis deux ans le premier a peut-être porté tort au second. Car certains mettent au passif de cet étonnant chef de guerre deux fautes importantes : l'acceptation des grandes batailles et la création de vastes unités régulières, divisions comprises. Les deux erreurs sont liées : grandes unités lourdes en vue de grandes batailles. D'où renoncement à la tactique plus " payante " de guérilla généralisée. Mais la faute essentielle de Giap ce fut, selon l'un des meilleurs observateurs de la guerre du Vietnam, un "péché d'orgueil". Lorsque le général de Lattre fut envoyé à Saigon, Giap prononça à la radio une étonnante allocution : "Les Français viennent d'envoyer à l'arméepopulaire un adversaire digne d'elle. Nous le battrons sur son terrain." Et ce fut Vinh-Yen, la première grande bataille de la guerre, les vagues d'assaut des hommes noirs jetées sur les mitrailleuses françaises, une hécatombe. Deux fois encore, à Dong-Trieu et à Ninh-Binh, Giap allait renouveler son défi à de Lattre. Deux fois ses meilleurs régiments remontèrent décimés vers la montagne ou les collines calcaires qui surplombent au sud la rizière du delta. Hanoï s'éloignait de Ho Chi-Minh.
Mais en dépit d'erreurs de conception, surprenantes chez ce réaliste, on convient volontiers dans les milieux militaires qu'il a souvent fait preuve d'une véritable habileté manœuvrière, et que l'offensive sur Ninh-Binh notamment révèle un authentique chef de guerre. C'est néanmoins par l'emploi de la guérilla que Giap fait peser sur ses adversaires la plus lourde menace. Et non seulement la guérilla militaire, mais aussi la politique. Sur ce dernier plan le jeu qu'il mène est d'une virtuosité déconcertante : il sait choisir le moment favorable, l'opération la plus gênante pour ses adversaires, la plus impressionnante aussi pour l'opinion publique de Hanoï, de Saigon ou de Paris. Politique, propagande et stratégie sont en chacune de ses actions constamment liées.
La guerre totale, dont il a donné le signal voilà six ans, il la mène avec une rigueur de leader communiste et de chef de guerre asiatique. "... Nous ne nous laisserons arrêter, disait-il, par aucune considération de personnes, par aucune destruction."Giap a tenu parole.
 
Jean Lacouture  "Le Monde" 1952

Vo Nguyen Giap: Ma stratégie était celle de la paix

Le stratège de l'indépendance du Vietnam est mort ce vendredi 4 octobre. Pour l'Humanité, Dominique Bari avait rencontré le général Vo Nguyen Giap, chez lui à Hanoï. Nous republions cet entretien exclusif recueilli en 2004

Hanoï, envoyée spéciale. À une trentaine de mètres en retrait de la rue Hoang Diêu, se situe la villa où vit le général Vo Nguyen Giap, entouré de sa femme Dang Bich Ha et de ses enfants et petits-enfants. Un petit-fils passera la tête au cours de l'entretien que nous accorde le général, en uniforme, dans le salon du bâtiment «officiel» où s'entrecroisent les drapeaux.

Sur les murs des photos de Hô Chi Minh et des messages de salutations brodés venus de tout le pays. Nous irons ensuite dans la villa familiale où nous attend Dang Bich Ha. L'interview se déroule en français, langue que maîtrise parfaitement le général Giap. Ce sera aussi l'occasion d'exprimer son regret de ne jamais avoir pu aller en France. «Je ne connais de Paris que son aéroport où j'ai fait escale quelques heures pour me rendre à Cuba.»

Il y a cinquante ans, la chute de Dien Bien Phu ouvrait la voie aux accords de Genève et à la fin de la première guerre du Vietnam. La France aurait, elle, pu éviter ce conflit ?

Général Giap. Nous avions proclamé notre indépendance le 2 septembre 1945 mais les colonialistes français ont voulu réimposer par la force leur domination sur la péninsule indochinoise. De Gaulle avait déclaré à Brazzaville qu'il fallait restaurer le régime colonial par les forces armées. Nous avons toujours cherché à négocier pour éviter que le sang coule. Leclerc, envoyé à la tête de l'armée française pour reconquérir l'ancienne colonie, s'est vite rendu compte qu'il ne s'agissait pas d'une promenade militaire mais, a-t-il dit, du combat de tout un peuple. Leclerc était un réaliste. Avec Sainteny, il faisait partie de ces gens raisonnables qui étaient en faveur de pourparlers, mais du côté du gouvernement français, on ne l'entendait pas ainsi. Nous avions conclu un accord en mars 1946 et fait une grande concession sur la Cochinchine, notre objectif final de l'indépendance totale et l'unité du pays.

À la mi-avril 1946, je participais à la conférence de Dalat. Les Français ne cachaient pas leur intention de rétablir leur domination en Indochine. Je leur ai dit alors clairement que l'ère des gouvernements généraux d'Indochine était close. J'ai quitté Dalat convaincu que la guerre était inévitable. Une fois déclenchée, il y a eu pourtant quelques chances de l'arrêter. Le président Hô a plus d'une fois appelé le gouvernement français à négocier. Pour montrer notre bonne volonté, Hô Chi Minh n'ajourna pas sa visite en France pour participer à la conférence de Fontainebleau. Pendant ce temps, la situation ne cessait de s'aggraver, au Nord comme au Sud. À la fin novembre 1946, les troupes françaises attaquèrent et occupèrent le port de Haiphong. Un mois plus tard, le général Morlière, commandant des troupes françaises au nord de l'Indochine, lançait un ultimatum exigeant la présence française dans un certain nombre de positions, le droit de maintenir l'ordre dans la capitale, et le désarmement des milices d'auto-défense de Hanoi. Nous décidâmes de déclencher la résistance.

1946-1975, le Vietnam a connu trente ans de guerre. Quelles ont été les différences entre les deux conflits?

Général Giap. La guerre reste la guerre mais avec les Américains, ce fut autre chose, un conflit néocolonial avec d'abord une intervention de troupes américaines et, après, une guerre vietnamisée. On a alors changé la couleur de peau des cadavres. Les Américains étaient naturellement sûrs de leur victoire et n'ont pas voulu entendre les conseils des Français qui avaient fait l'expérience de se battre contre les Vietnamiens. Les États-Unis avaient effectivement engagé des forces colossales et peu de gens, même parmi nos amis, croyaient en notre capacité de les vaincre. Mais les Américains n'avaient aucune connaissance de notre histoire, de notre culture, de nos coutumes, de la personnalité des Vietnamiens en général et de leurs dirigeants en particulier. À MacNamara, ancien secrétaire à la Défense des États-Unis que j'ai rencontré en 1995, j'ai dit :«Vous avez engagé contre nous de formidables forces artilleries, aviation, gaz toxiques mais vous ne compreniez pas notre peuple, épris d'indépendance et de liberté et qui veut être maître de son pays.»

C'est une vérité que l'histoire a de tout temps confirmée. Pendant 1000 ans de domination chinoise, (jusqu'au Xe siècle), nous n'avons pas été assimilés. Contre les B52, ce fut la victoire de l'intelligence vietnamienne sur la technologie et l'argent. Le facteur humain a été décisif. C'est pourquoi lorsqu'un conseiller américain du service de renseignements m'a demandé qui était le plus grand général sous mes ordres, je lui ai répondu qu'il s'agissait du peuple vietnamien. «J'ai apporté une contribution bien modeste, lui ai-je dit. C'est le peuple qui s'est battu». Brezjinski s'est aussi interrogé sur le pourquoi de notre victoire. Nous nous sommes rencontrés à Alger, peu après la fin de la guerre. «Quelle est votre stratégie?» interrogea-t-il. Ma réponse fut simple: «Ma stratégie est celle de la paix. Je suis un général de la paix, non de la guerre.» J'ai aussi eu l'occasion de recevoir des anciens combattants américains venus visiter le Vietnam. Ils me posaient la question: nous ne comprenons pas pourquoi vous nous accueillez aujourd'hui si bien? «Avant, vous veniez avec des armes en ennemis et vous étiez reçus comme tels, vous venez maintenant en touristes et nous vous accueillons avec la tradition hospitalière traditionnelle des Vietnamiens. »

Vous avez fait allusion au fait que peu de personnes croyaient en votre victoire finale sur les Américains...

Général Giap. C'est vrai. C'est le passé, maintenant on peut le dire. Nos camarades des pays socialistes ne croyaient pas en notre victoire. J'ai pu constater lorsque je voyageais dans ces pays qu'il y avait beaucoup de solidarité mais peu d'espoir de nous voir vaincre. À Pékin, où je participais à une délégation conduite par le président Hô, Deng Xiaoping, pour lequel j'avais beaucoup d'amitié et de respect, m'a tapé sur l'épaule en me disant: «Camarade général, occupez-vous du Nord, renforcez le Nord. Pour reconquérir le Sud, il vous faudra mille ans.» Une autre fois, j'étais à Moscou pour demander une aide renforcée et j'ai eu une réunion avec l'ensemble du bureau politique. Kossyguine m'a alors interpellé: «Camarade Giap, vous me parlez de vaincre les Américains. Je me permets de vous demander combien d'escadrilles d'avions à réaction avez-vous et combien, eux, en ont-ils?» «Malgré le grand décalage des forces militaires, ai-je répondu, je peux vous dire que si nous nous battons à la russe nous ne pouvons pas tenir deux heures. Mais nous battons à la vietnamienne et nous vaincrons. »

Licencié en droit et en économie politique, professeur d'histoire, vous n'aviez pas de formation militaire. Or, vous avez activement participé à l'élaboration de cette conception vietnamienne de la guerre. Comment êtes-vous devenu général?

Général Giap. Il aurait fallu faut poser la question au président Hô Chi Minh. C'est lui qui a choisi pour moi cette carrière militaire. Il m'a chargé de constituer l'embryon d'une force armée. Lorsque nous étions impatients de déclencher la lutte contre l'occupation française, Hô nous disait que l'heure du soulèvement n'était pas encore venue. Pour Hô, une armée révolutionnaire capable de vaincre était une armée du peuple. «Nous devons d'abord gagner le peuple à la révolution, s'appuyer sur lui, disait-il. Si nous avons le peuple, on aura tout.» C'est le peuple qui fait la victoire et aujourd'hui encore si le parti communiste veut se consolider et se développer, il doit s'appuyer sur lui.

Le Vietnam est aujourd'hui en paix, les conflits se sont déplacés sur d'autres continents. Que vous inspire la situation internationale?

Général Giap. Nous sommes en présence d'une situation mondiale difficile dont on ne sait quelle sera l'évolution. On parle de guerre préventive, de bonheur des peuples imposé par les armes ou par la loi du marché. Il s'agit surtout pour certains gouvernements d'imposer leur hégémonie. C'est plutôt la loi de la jungle. On ne peut prédire ce qu'il peut se passer mais je peux dire que le troisième millénaire doit être celui de la paix. C'est ce qui est le plus important. Nous avons vu de grandes manifestations pour le proclamer. La jeunesse doit savoir apprécier ce qu'est la paix. Le tout est de vivre et de vivre comme des hommes. Faire en sorte que toutes les nations aient leur souveraineté, que chaque homme ait le droit de vivre dignement.

L'Humanité fête son centenaire. Entre notre journal et le Vietnam, il y a une longue histoire de solidarité et de lutte commune pour la paix...

Général Giap. Nous avons beaucoup de souvenirs en commun avec l'Humanité et avec le PCF. Pendant les guerres française et américaine nous avons travaillé régulièrement avec les envoyés spéciaux et les correspondants du journal. Nos relations sont un exemple de solidarité et d'internationalisme. J'adresse à tous nos camarades et à l'Humanité, mes salutations et mon optimisme pour un monde qui, à l'heure de la révolution scientifique et technique, doit permettre à chaque homme de ne plus souffrir de la faim et de la maladie.

l'Humanité.fr

Vo Nguyen Giap, héros militaire de l’indépendance vietnamienne et artisan de la débâcle française à Dien Bien Phu, est mort ce vendredi à l’âge de 102 ans. Le jour même, Claude Blanchemaison, ancien ambassadeur de France au Vietnam, envoyait à l’imprimerie les épreuves de son ouvrage « La Marseillaise du général Giap » (éd. Michel de Maule, en vente le 10 octobre 2013). Nous publions quelques extraits avec son aimable autorisation.

« Ma première rencontre avec le général Giap qui avait autrefois réussi le triple exploit de harceler l’occupant japonais, de battre la puissance coloniale française puis de chasser les américains eut lieu au début du mois d’avril 1989 à Hanoï. J’avais pris mes fonctions d’ambassadeur de France au Vietnam quelques semaines plus tôt ;

Quelque peu intimidé, j’allai au rendez-vous fixé, en me remémorant ce que j’avais lu sur ce personnage hors du commun, dont il n’existait toujours pas de véritable biographie. Le héros de l’indépendance nationale pouvait aussi être vu comme un chef de guerre peu soucieux des vies humaines.

L’homme qui s’avance à ma rencontre me frappe par sa petite taille, son œil vif et son grand front surmonté d’une crinière blanche– le volcan sous la neige, disaient les journalistes. Il est en tenue militaire d’été très simple, de couleur kaki tirant sur le vert olive, avec une chemisette portant des écussons rouges étoilés sur le rebord du col.

Il fait tout pour se montrer aimable et pour me mettre à l’aise. Devinant sans doute mon appréhension et désireux de couper court à tout discours introductif embarrassé, il m’a pris le bras familièrement et m’a dit combien il appréciait la littérature française.

Manifestement heureux de parler notre langue, le vieux Général accueillait un ambassadeur de quarante-cinq ans, qui ne pouvait évidemment pas être nostalgique d’une époque qu’il n’avait pas connue.

D’entrée de jeu, il évoqua les affinités culturelles entre nos deux pays, l’importance de la francophonie et la nécessité de regarder vers l’avenir : il était grand temps, me dit-il, d’envisager de construire une coopération substantielle dans le domaine économique. La France pouvait aider le Vietnam à s’insérer dans un contexte international qui évoluait rapidement. Elle devrait aussi jouer un rôle beaucoup plus important dans la formation de ses cadres.

Il s’est cependant cru obligé d’évoquer l’histoire. Bien sûr la grande Révolution française, puisque c’était ici une référence permanente, mais aussi la colonisation, y compris dans ses aspects les plus décalés, comme par exemple l’existence d’un masque tragique de guerrier gaulois à grande moustache dans le décor en stuc au-dessus du rideau de scène à l’opéra de Hanoï.

Il mentionna ironiquement le fait qu’entre 1940 et 1944 les élèves du lycée Albert- Sarraut chantaient tous les matins Maréchal nous voilà ! , sur ordre de l’amiral gouverneur général de l’Indochine. d’une manière générale, celui-ci appliquait scrupuleusement les directives de Vichy, souligna mon interlocuteur. »

« Il faut toujours garder ses distances avec les Chinois »

« Il parla aussi des mille ans d’occupation chinoise. il ajouta en souriant qu’il fallait toujours garder ses distances avec les chinois. Sans nier l’importance de leur soutien logistique massif dans la lutte pour l’indépendance, il expliqua qu’il ne les avait jamais suivis aveuglément.

Certes, il avait failli accepter l’idée des conseillers militaires venus de Pékin, qui avaient suggéré début 1954 de recourir à des vagues d’assaut successives contre le camp retranché de Diên Biên Phu, conformément à la tactique utilisée pendant la guerre de Corée.

Mais, la veille du jour initialement prévu pour l’attaque, après avoir réfléchi toute la nuit, il avait tout suspendu et avait entrepris d’expliquer à son état-major, ainsi qu’aux Chinois, que cette méthode lui paraissait, à la réflexion, totalement inappropriée.

Le système de défense français était bien conçu, véritable hérisson sur les pics duquel les assaillants auraient pu se briser et, en tout état de cause, cela aurait fait encore beaucoup plus de morts dans les rangs vietnamiens. Il alla jusqu’à me dire que le plan Navarre aurait pu réussir. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il avait préféré, précisa-t-il, l’approche progressive, le travail de sape, les boyaux et les tunnels sous les points d’appui.

À aucun moment, il ne critiqua les militaires français. il conclut ce rappel historique en citant hô chi Minh : “Nous n’avons pas eu de chars, d’hélicoptères ou d’avions détruits, pour la bonne raison que nous n’en possédions aucun.” »

« Aux armes, citoyens ! »

Quelques mois plus tard, toujours à Hanoï, 14 juillet 1989, six heures du soir. Alors que l’on célèbre le bicentenaire de la Révolution française, le général Giap, se rendra pour la première fois de sa vie à l’ambassade de France. Dans son livre, Claude Blanchemaison raconte que Giap s’amuse : il évoque dans son français parfait ses souvenirs de lycée, cite des auteurs classiques et, soudain, au moment où retentit « La Marseillaise », il se met spontanément à en fredonner le refrain : « Aux armes, citoyens ! » 

Rue 89 - Nouvel Observateur

Commentaires

Décès de Vô Nguyen Giap

Bonjour,

Mes parenrs ont milité contre la guerre d'Indochine et c'est adolescente que j'ai entendu parler pour la 1ère fois de Giap - Etudiante j'ai pris la relève contre la guerre américaine pour l'indépendance du Viêt Nam .

En 1961 son livre "Guerre du Peuple, armée du peuple a été édité en France (Maspéro);

sa stratégie à la fois militaire et politique y est expliquée avec clarté.

En mai 2013 alors que je visitais son quartier général à Dien Bien Phu, avec des amis, nous avons rencontré un groupe de vétérans vietnamiens;  ils sont venus vers nous en questionnant " Phap, Phap?  A notre aquiescement, ils nous ont serré les mains en demandant " comment allez-vous, comment va la France?"

Et bien sûr nous avons fait honneur à l'alcool de riz  de l'amitié.Ce fut une rencontre extrêmement émouvante;

Comme Baskogitane, je souhaite que les jeunes vietnamiens, leurs enfants et petits enfants se souviennent de ces hommes et femmes qui ont consacré leur vie pour que leur pays soit aujourd'hui libre;

Mais j'ai confiance car le peuple vietnamien est un peuple magnifique plein de courage d'énergie et de vitalité.

Ma devise : Il y a longtemps déjà nous avons forgé au pays des Viêt une nation indépendante

le décès de monsieur GIAP

mon père était militaire, et il a à grand regret participé à la guerre d'indépendance de ce magnifique pays.

j'ai été élevée dans le respect et l'admiration les plus absolus pour les vietnamiens, et pour leurs dirigeants indépendantistes. (peut-être parce que je suis née de gitans et de républicains espagnols, peu importe... ma propre vie m'a appris ce qu'est l'injustice, le pouvoir et ses tentations, etc.)

je veux aujourd'hui adresser mon propre message à tous les vietnamiens: quelle que soit votre situation actuelle, vous n'êtes plus des "sous-hommes". votre pays est libre, et fait tout pour le rester.vous devez cela à notre  oncle Ho et au général d'armée le plus génial du XX° siècle : GIAP. quoique vous pensiez, ces deux hommes représentent des centaines de milliers d'hommes et de femmes qui ont tout donné pour que vous ayiez une patrie digne et indépendante.

ne les oubliez pas, aucun et aucune d'entre eux. essayez d'en être dignes. rendez-leur un hommage sincère, comme je le fais aujourd'hui...

Ma devise : toujours vivantes
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